Quel scénario pour la présidentielle en Guinée ?
À quelques mois de la présidentielle, les tensions entre majorité et opposition se ravivent. Avec leur lot de contestations, d’invectives et de violences. Alpha, Cellou, Sidya et les autres parviendront-ils à s’entendre, comme lors des législatives de 2013 ? Tout espoir n’est pas perdu…
L’épidémie d’Ebola l’an dernier, la crise politique cette année… La Guinée souffre, et la présidentielle, dont le premier tour est fixé au 11 octobre, risque d’être très tendue. À l’origine du bras de fer entre le pouvoir et l’opposition, il y a bien sûr ce vieux conflit entre les deux ethnies dominantes du pays – les Malinkés et les Peuls. Mais aussi l’incroyable scénario de la dernière présidentielle. En juin 2010, au premier tour, Cellou Dalein Diallo, le candidat de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), arrive largement en tête, avec plus de 43,6 % des suffrages exprimés. Alpha Condé, le candidat du Rassemblement du peuple de Guinée (RPG), est loin derrière, avec 18,25 %. Mais, en novembre, au second tour, c’est "Alpha" qui gagne, avec plus de 52,5 % des voix. Depuis, "Cellou" est persuadé, à tort ou à raison, qu’on lui a volé sa victoire.
Neutralité
"Les responsables de la mouvance présidentielle et de l’opposition ne se considèrent plus comme des frères, mais comme des ennemis", viennent de déclarer ensemble les deux principaux chefs religieux du pays, l’imam ratib et l’archevêque de Conakry. Leur parole, rare, témoigne de leur inquiétude. Au coeur de la crise actuelle, il y a la question de la neutralité des exécutifs des 304 communes rurales et des 38 communes urbaines du pays. Des conseils communaux ont été élus en décembre 2005. Mais, depuis l’expiration de leur mandat, ils sont remplacés par des délégations spéciales nommées par le pouvoir.
Un médecin de la clinique Jean-Paul-II, à Conakry, affirme avoir opéré plusieurs manifestants blessés par des tirs à balles réelles.
Pour l’opposition, ces exécutifs provisoires risquent d’être les agents d’une fraude massive, notamment lors de la distribution des cartes d’électeur en vue de la prochaine présidentielle. Cellou Dalein Diallo affirme que, lors des législatives de 2013, dans sa circonscription de Conakry, les chefs de quartier désignés par les autorités "ont extrait toutes les cartes d’électeur qui portaient des patronymes des ressortissants de [sa] communauté [peule], présumés automatiquement militants de l’opposition, pour les jeter à la poubelle". Réplique d’Alpha Condé dans sa dernière interview à Jeune Afrique : "Le nouveau code électoral a exclu toute participation des maires ou délégations au processus électoral." Toutefois, le chef de l’État se dit ouvert "à une discussion complémentaire sur ce point".
Selon Cellou Dalein Diallo et son allié Sidya Touré, le président de l’Union des forces républicaines, la solution la plus simple serait d’élire très vite de nouveaux conseils communaux, avant la présidentielle. Mais le pouvoir refuse d’inverser le calendrier électoral. Pour obtenir satisfaction, l’opposition multiplie les manifestations musclées. Auxquelles les forces de l’ordre réagissent avec brutalité. Le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme déplore la mort de six personnes depuis le 13 avril. Un médecin de la clinique Jean-Paul-II, à Conakry, affirme avoir opéré plusieurs manifestants blessés par des tirs à balles réelles.
Bons offices
Est-on dans une impasse ? A priori, oui. Dans les deux camps, les mots sont durs. Cellou traite Alpha de "Sékou Touré du XXIe siècle". Alpha accuse Cellou de "jeter des jeunes gens dans la rue en espérant qu’il y ait des morts afin de déclencher un coup d’État militaire". Cela dit, il y a deux ans, avant les législatives de septembre 2013, les deux camps s’étaient violemment affrontés en début d’année (près de 60 morts) et avaient fini par s’entendre pour recenser les électeurs.
Ce 20 mai, au palais présidentiel de Conakry, les frères ennemis Cellou et Alpha se sont rencontrés pendant une heure. Une première depuis trois ans. De ce tête-à-tête, il n’est rien sorti dans l’immédiat, mais, selon son porte-parole, Kiridi Bangoura (lire p. 65), le président guinéen s’est engagé à "écouter chacune des parties afin de trouver un consensus". Si le dialogue n’avance pas, le Ghanéen Mohammed Ibn Chambas, représentant spécial de l’ONU pour l’Afrique de l’Ouest, pourrait offrir ses bons offices, comme l’avait fait il y a deux ans son prédécesseur, l’Algérien Saïd Djinnit.
Où va la Guinée ? À la suite du drame d’Ebola, dont il n’est pas encore débarrassé, le pays risque d’entrer en récession (lire p. 71). Le grand banditisme progresse. En témoignent les assassinats, en pleine rue de Conakry, d’Aïssatou Boiro, la directrice du Trésor public, en novembre 2012, et de Thierno Aliou Diaouné, coordonnateur d’un fonds onusien, en février dernier.
"J’ai hérité d’un pays, pas d’un État", aime à dire le président Condé. S’ils ne veulent pas revivre le cauchemar de l’année 2009, sous le régime du capitaine Dadis Camara, Alpha, Cellou, Sidya et les autres vont devoir se considérer comme des frères et non comme des ennemis.
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