Blatter et nous

C’est l’histoire d’un vieil homme. Un quasi-octogénaire que rien ne prédisposait particulièrement au pouvoir.

L’ex-président de la Fifa, Sepp Blatter. © FABRICE COFFRINI / AFP

L’ex-président de la Fifa, Sepp Blatter. © FABRICE COFFRINI / AFP

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Publié le 8 juin 2015 Lecture : 3 minutes.

Un homme d’extraction modeste, doué en politique,même si on ne le découvrira que plus tard. Un homme qui, comme d’autres avant lui, connaîtra un destin aussi inattendu qu’exceptionnel. Le pouvoir, donc, à durée indéterminée, les milliards qu’il redistribue (un peu) pour assurer sa longévité,une cour pléthorique, des thuriféraires, le temps qui passe mais qui n’a aucune prise sur lui.

À la tête d’un budget colossal, limousines, chauffeurs, penthouse, un peu partout dans le monde, comptes bancaires
copieusement garnis. Un mandat, deux mandats, puis cinq. Le temps qui passe, l’antienne cent fois entendue: « Je n’ai pas fini mon travail mais je vous promets de faire en quatre ans ce que je n’ai pu réaliser en seize… » Les affaires, la corruption, un entourage de plus en plus visé. Lui n’y est pour rien, bien sûr ; il ne peut tout contrôler.

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La soif de changement s’exprime, d’abord en sourdine, mais la cour, qui a tant profité de son règne, fait barrage. Éternels arguments de la défense: la stabilité avant tout, le besoin d’expérience. En coulisses, l’évidence : on le défend parce que, grâce à lui,on a obtenu beaucoup. Des postes, des privilèges, des prébendes, des budgets, en fermant les yeux sur petites et grandes magouilles. À chaque scrutin, on vote pour lui, envers et contre tout. Bien sûr, le bruit court qu’il est bientôt fini, cuit, trop vieux, cerné
par les affaires.

Il entend mourir dans son fauteuil de chef, cela laisse le temps d’engranger quelques millions de plus, personne ne dira rien. Nous sommes protégés, rien ne peut nous arriver. La force de l’habitude… Ce « grand quelqu’un », contrairement à ce que vous pourriez penser, ne vit pas sous nos latitudes. Il n’est ni africain ni même du Sud. Ce n’est d’ailleurs pas un chef d’État. C’est Sepp Blatter, insubmersible patron de la Fifa, déboulonné en moins de temps qu’il n’en faut à Lionel Messi pour marquer un but. Comme souvent, du moins ces derniers temps, l’étincelle qui provoqua la chute du baobab de Zurich est une flammèche anodine.

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En l’occurrence, l’attribution de la Coupe du monde 2022 au Qatar, à ses pétrodollars censés nourrir les ambitions d’une grenouille qui voulait devenir plus grosse que le boeuf. Il se trouve que les toujours gendarmes du monde, quoi qu’on en dise, eux-mêmes candidats, ont été marris par la victoire des émirs du gaz. Branle-bas de combat au sein de la première puissance de la planète, les États-Unis, enquêtes du FBI, e-mails et comptes en banque épluchés, taupes, pièges, etc.

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Un fil est tiré, la pelote déroulée. Les affidés de Blatter tombent l’un après l’autre. Et dire que le parrain de Zurich n’était même pas un des défenseurs de la candidature qatarie…Il a tant à se reprocher, mais pas cela.

Morale de l’Histoire, au XXIe siècle en tout cas : ne vous fiez pas à votre omnipotence du moment, au fait que vous sembliez inamovible, à votre longévité, aux épreuves par lesquelles vous êtes passé, aux centaines de personnes qui chantent vos louanges et vous pressent, au nom de votre incomparable expérience et en l’absence de solution pour l’après, de prolonger votre bail, alors que tout indique que vous êtes, depuis longtemps déjà, au bout du chemin.

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Ces mêmes fidèles soldats, qui se disent prêts à tout pour vous défendre, vous tourneront le dos au moment même où leurs intérêts leur paraîtront mieux défendus en vous lâchant. Le socle de votre pouvoir se fissurera de façon jusqu’ici impensable. Ceux qui avaient peur et se cachaient plastronneront et se battront pour exhiber votre scalp.

L’impunité en vigueur deviendra insécurité permanente. À la place des jets privés, dans le meilleur des cas, des prisons plus oumoins dorées, ou l’exil. Bref, ce qui était valable hier ne l’est plus aujourd’hui. Y compris en Afrique. Le pouvoir aveugle, dit-on? Difficile désormais, pour ceux qui pourraient se sentir concernés, de ne pas enfin ouvrir les yeux…

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