Anas Sefrioui : « Le potentiel du marché africain est gigantesque »
Le leader marocain de la promotion immobilière fait ses premiers pas au sud du Sahara, avec des contrats en Côte d’Ivoire, au Cameroun et en Guinée. Comment compte-t-il décliner son modèle ? Le fondateur du groupe détaille les grandes lignes de sa stratégie continentale.
Siège d’Addoha, sur la route d’Aïn Sebaa, dans la banlieue industrielle de Casablanca. Impossible, en visitant les bureaux du premier groupe immobilier marocain, de rater les imposantes sculptures de bronze dans le grand hall d’entrée. « Elles représentent les valeurs de l’entreprise : l’ouverture de la conscience, l’action et ses conséquences, l’échange dynamique, l’attachement et l’engagement », explique Saad Sefrioui, directeur du groupe et neveu du fondateur, Anas Sefrioui. Débutée en 1987, sous la férule de cet autodidacte issu d’une famille bourgeoise, aujourd’hui l’un des hommes les plus riches d’Afrique, la belle aventure d’Addoha a pris corps grâce à un savant mélange entre volonté publique, ambitions privées et concertation avec tous les métiers de l’immobilier : banquiers, notaires, promoteurs, gouvernements, assureurs, etc.
Profil
• Naissance en 1957 à Fès, arrête ses études au collège
• Débute dans l’immobilier en 1987, crée le groupe Addoha en 1988
• PDG de Douja Promotion Groupe Addoha, président de Ciments de l’Atlas (Cimat) et de Ciments de l’Afrique (Cimaf)
• 16e homme le plus riche d’Afrique, selon le classement 2012 du magazine Forbes, avec une fortune estimée à 1 milliard d’euros
Premier opérateur immobilier coté à la Bourse de Casablanca (en 2006), Douja Promotion Groupe Addoha a réalisé en 2011 un chiffre d’affaires de 9,3 milliards de dirhams (834 millions d’euros) pour un résultat net part de groupe de 1,8 milliard de dirhams. Sa réserve foncière au Maroc avoisine les 6 000 hectares. Son slogan n’a pas changé : « Devenez propriétaire pour le prix d’un loyer. » Une méthode qui séduit aujourd’hui hors de ses frontières, en Afrique et même en Europe. « Des promoteurs français sont venus étudier notre fonctionnement, explique le patron d’Addoha. Chez eux, logement social rime avec ghetto et dégradation des biens. Pourquoi ? Parce que les habitants des HLM ne sont pas chez eux. Ils louent. Alors que chez nous, en tant que propriétaires, ils tiennent leur immeuble impeccablement. Ils sont heureux d’avoir acheté et de laisser un héritage, qui a pris deux à trois fois sa valeur initiale, à leurs enfants. » Avec d’autres promoteurs du pays (dont Alliances, lire p. 69), qui entendent construire près de 15 000 logements sociaux d’ici à deux ou trois ans au sud du Sahara (ils en bâtissent plus de 120 000 par an dans le royaume), Anas Sefrioui sera le fer de lance de la méthode marocaine. Les années qui viennent permettront de dire si elle a été la bonne.
Jeune Afrique : Vous venez d’annoncer vos premiers pas dans la promotion immobilière au sud du Sahara. Quelles sont vos ambitions ?
Anas Sefrioui : Notre concept d’appartement clés en main a séduit la plupart des délégations de ministres africains que nous avons reçues. Ils nous ont demandé de les accompagner pour faire la même chose chez eux. Dans plusieurs pays subsahariens, nous avons fait des études. On s’est aperçu que ces pays ne construisent que 1 000 à 1 500 logements par an, ce qui est très insuffisant compte tenu de la poussée démographique et de l’exode rural. Le potentiel de croissance du marché africain est gigantesque. On parle de 2 milliards d’habitants en 2050, contre un peu plus de 1 milliard actuellement.
Où vous implantez-vous actuellement dans le logement social ?
Nous avons signé une convention avec les autorités ivoiriennes pour démarrer la construction de 2 600 logements sociaux en 2013. D’autres accords ont été signés avec le gouvernement du Cameroun, pour 1 500 unités à Douala et Yaoundé, et avec celui de Guinée, pour 4 000 unités à Conakry. Dès l’année prochaine, nous nous implanterons au Gabon et au Burkina pour des opérations pilotes de 2 000 appartements par pays.
Nous allons communiquer pour que les populations comprennent qu’il est facile d’acquérir un appartement.
Un des goulets d’étranglement est le foncier. Quelle est votre stratégie pour sécuriser les titres de propriété ?
Pour réaliser ces logements, il faut mobiliser du foncier. Nous avons proposé à nos cinq pays partenaires de nous accompagner et de réfléchir sur cette question. Il est indispensable d’avoir des titres immatriculés, sinon la banque refuse d’accorder un prêt car elle ne peut prendre d’hypothèque. Nous recherchons des terrains pas trop loin des centres-villes, des transports, des infrastructures, des zones de travail, à acquérir auprès de l’État ou de privés. La difficulté concerne les bidonvilles, où les familles se sont installées de manière anarchique. Nous leur proposons alors des opérations de relogement dans des immeubles sur des sites intégrés, comprenant des structures comme une école, un centre de santé, afin de libérer les terrains occupés.
Quelle est la répartition des rôles entre l’État et le promoteur ?
L’État doit accompagner pour la fiscalité et l’obtention du foncier. Le promoteur doit assainir et viabiliser les terrains, assurer la construction grâce à ses fonds propres, prendre en charge la vente et les prestations complémentaires au client.
Y a-t-il une clientèle solvable au sud du Sahara ?
Oui. Nous travaillons avec nos partenaires banquiers pour les opérations. Il faut que la personne ait un travail avec des revenus fixes (qu’elle travaille pour les pouvoirs publics ou dans le privé) de manière à ce que la banque prélève les remboursements du crédit à la source. Dans un premier temps, nous allons donc nous appuyer sur une clientèle solvable. Et nous allons communiquer pour que les populations comprennent qu’il est facile d’acquérir un appartement, d’avoir un financement, de régler les problèmes administratifs…
Combien coûtera un appartement construit par Addoha en Afrique de l’Ouest ?
Nous travaillons encore avec les banques sur l’offre de crédit et les États sur le cadre d’incitation fiscale. Nous n’avons pas encore toutes les données pour établir le prix de revient du logement et le taux du crédit.
Quelles sont les projections de ventes au Maroc avec la crise économique ?
Notre activité ne connaît pas la crise. En 2012, nous avons construit 35 000 logements sociaux au Maroc, contre 5 000 quatre ans plus tôt. Nous en vendons 110 par jour ouvré. Et nous construisons 2 500 appartements de haut standing par an.
Vos prestations haut de gamme seront-elles aussi développées en Afrique subsaharienne ?
Notre marque haut de gamme Prestigia se vend bien dans les grandes villes marocaines telles que Casablanca, Rabat et Marrakech. Nous avons lancé des projets intégrés de 1 500 appartements et villas. Nous développerons peut-être ce concept au sud du Sahara dans cinq ou six ans.
Avez-vous des projets dans les pays arabes ?
Nous prospectons en Tunisie. Des promoteurs de plusieurs pays du Moyen-Orient nous ont également approchés. Nous devrions travailler en Arabie saoudite en 2013.
Clés en main
Au début des années 2000, soucieux de comprendre les difficultés d’accès à la propriété, Anas Sefrioui dépêche ses équipes à la rencontre des habitants des bidonvilles de Casablanca. L’enquête montre que leurs démarches sont longues et complexes. Il crée donc, en 2003, le guichet unique, devenu la marque de fabrique du groupe. Tout nouvel acquéreur doit passer devant le credit man, qui examine son dossier et fait une simulation de crédit. Après avoir donné son « bon pour accord », il envoie l’acheteur chez le banquier de son choix (toutes les grandes agences ont leurs bureaux sur le site et pratiquent le même taux, à 5,25 %). S’ensuit une série de rendez-vous, sur place, avec un notaire, les services des impôts, de la légalisation des signatures et de l’Agence nationale de la conservation foncière, du cadastre et de la cartographie, ainsi qu’avec la société de distribution d’eau et d’électricité. « Notre objectif est d’aider le client à remplir toutes les formalités en moins d’une journée », précise Saad Sefrioui. P.A.
Comment financez-vous tous ces projets ?
Dans notre modèle, les acheteurs versent des acomptes tout au long de la construction, ce qui permet de financer les investissements nécessaires. Pour la construction des cimenteries [de Ciments de l’Afrique, ou Cimaf, une société d’Anas Sefrioui distincte du groupe Addoha, NDLR], nous nous appuyons sur les trois banques marocaines installées en Afrique subsaharienne [Attijariwafa Bank, BMCE Bank et BCP].
Pourquoi investir aussi dans les cimenteries ?
D’abord parce qu’il y a un marché. Au Maroc, on [Ciments de l’Atlas, ou Cimat] a construit deux cimenteries qui sont entrées en production en 2010. Chaque complexe produit aujourd’hui 1,6 million de tonnes de ciment par an. La demande est très importante dans le pays et on fournit aussi des clients dans le reste de l’Afrique.
Et au sud du Sahara ?
En Afrique subsaharienne, il y a un réel problème d’approvisionnement. Les usines locales sont souvent polluantes et tournent à 20 % ou 30 % de leur capacité. Et les délais de livraison sont longs. Quant aux produits importés, ils viennent d’un peu partout, avec une qualité très inégale et une variation de prix du simple au triple durant l’année. Difficile, dans ces conditions, d’optimiser les coûts de nos logements sociaux.
Pourquoi de telles variations de prix ?
La spéculation, le manque de ressources disponibles par rapport à la demande et des installations très vieilles et très onéreuses.
Où en sont vos projets de cimenteries ?
Trois cimenteries sont en cours de construction, en Côte d’Ivoire, en Guinée et au Cameroun. La première sera livrée en juin 2013, la deuxième en août et la troisième en 2014. Nous allons prochainement débuter la construction de deux autres usines, au Burkina et au Gabon. Pour chaque complexe, la capacité initiale sera de 500 000 tonnes par an ; elle pourra être doublée rapidement. Ces cimenteries sont des répliques de nos usines marocaines, ultramodernes, automatisées, de fabrication allemande. Environ 15 % de l’investissement vise à réduire la pollution, proche de zéro, et à protéger l’environnement. On forme actuellement au Maroc des cadres africains qui dirigeront ces cimenteries. Il y aura un minimum d’expatriés, le but est de faire travailler les nationaux.
Lire aussi :
Le marocain Alliances construira 7000 logements en Côte d’Ivoire
Les bons résultats d’Addoha
Avec Anas Sefrioui, le Gabon aura une nouvelle cimenterie
L'éco du jour.
Chaque jour, recevez par e-mail l'essentiel de l'actualité économique.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus – Économie & Entreprises
- La Côte d’Ivoire, plus gros importateur de vin d’Afrique et cible des producteurs ...
- Au Maroc, l’UM6P se voit déjà en MIT
- Aérien : pourquoi se déplacer en Afrique coûte-t-il si cher ?
- Côte d’Ivoire : pour booster ses réseaux de transports, Abidjan a un plan
- La stratégie de Teyliom pour redessiner Abidjan