Portrait : Nassef Sawiris, le fils prodige ?
Bien moins connu que son frère Naguib, le dernier des héritiers de l’Égyptien Onsi Sawiris, fondateur du groupe Orascom, est le plus riche et le plus fin stratège de la fratrie. En vingt ans, il a fait évoluer son groupe de la construction au ciment avec succès. Et bâtit aujourd’hui un leader mondial de la production d’engrais.
La scène est cocasse. Elle se déroule en novembre 2012 dans le comté de Lee : un territoire d’environ 35 000 habitants, que 1 500 km séparent de New York et plus du double de San Francisco. Une pelle à la main, Nassef Sawiris s’est déplacé dans ce coeur agricole des États-Unis, aux confins de l’Iowa, de l’Illinois et du Missouri pour y lancer le chantier de ce qui est l’un de ses plus grands projets : la construction pour près de 2 milliards de dollars (1,7 milliard d’euros) d’une usine d’engrais. Comme à son habitude, le magnat égyptien, dernier des trois fils de la famille copte Sawiris, la plus riche du pays, est discret, presque effacé, au milieu des autres dirigeants de son groupe.
À mille lieues de l’image véhiculée par son aîné, Naguib Sawiris, fondateur d’un empire de télécoms (dont il a depuis revendu une large partie), qui se lance désormais dans la politique. Pourtant, c’est bien lui, Nassef, qui est depuis six ans le plus riche des Sawiris et la première fortune professionnelle d’Afrique du Nord. Selon les dernières estimations du magazine économique américain Forbes, elle s’élève à plus de 6 milliards de dollars, davantage que celles attribuées à l’Algérien Issad Rebrab ou au Marocain Othman Benjelloun.
Spectaculaire
Ce magot, Nassef Sawiris l’a fait prospérer à partir d’Orascom Construction Industries, le pôle BTP du groupe Orascom. Fondé dans les années 1960 par son père, Onsi, il a depuis évolué à la fois dans les télécoms (sous la houlette de Naguib) et le tourisme (avec Samih). Aux manettes de ce géant de la construction à partir du milieu des années 1990, Nassef le transforme d’abord en un groupe actif un peu partout sur le continent. En parallèle, il le diversifie dans le ciment, d’abord en Égypte dès 1999, puis en Algérie, aux Émirats arabes unis, au Pakistan et même en Corée du Nord…
En moins d’une décennie, la capacité de production de la division ciment passe de 1,5 million de tonnes à 35 millions pour une rentabilité largement comparable à celles des plus profitables des opérateurs de télécoms – une marge d’Ebitda de 50 %. C’est sur cette spectaculaire réalisation que Nassef Sawiris bâtit réellement sa fortune : en 2007, lorsqu’il vend Orascom Cement (dont il détient 60 %) à Lafarge, il touche une partie des 6 milliards d’euros en cash et perçoit surtout 2,8 milliards d’euros sous forme d’actions dans le groupe français. Depuis, il est le deuxième actionnaire du géant du ciment. Dans quelques semaines, il possédera même un peu plus de 5 % du capital du nouveau numéro un mondial du secteur, né de la fusion en cours entre Lafarge et le suisse Holcim.
« Hostile »
Nassef Sawiris utilise ensuite cette manne pour consolider son empire, qui repose sur le ciment et la construction, avec un troisième pilier : les engrais. En 2008, Orascom acquiert en effet la totalité du capital d’Egyptian Fertilizers Company, un géant de la production d’engrais azotés. Le début d’une longue aventure… Entre-temps, Nassef Sawiris transfère le siège social d’Orascom Construction Industries du Caire à Amsterdam : un exercice très complexe qu’il accomplit sans déclencher de réelle polémique et sans grand bruit médiatique.
« Il faut regarder cette décision dans le contexte de l’époque, celui d’un gouvernement [égyptien] qui était extrêmement hostile aux femmes, aux minorités, aux chrétiens et à beaucoup d’hommes d’affaires. Si nous n’avions pas déménagé aux Pays-Bas, nous serions partis en Sibérie ou en Alaska à cause des Frères musulmans, racontait début 2014 Nassef Sawiris dans une interview accordée au journal en ligne de la Wharton School [Université de Pennsylvanie]. Nous n’avons pas vraiment eu le choix : nous étions quotidiennement harcelés. »
Baptisé OCI N.V., le holding du groupe basé dans la métropole néerlandaise est coté depuis janvier 2013 sur le marché boursier Euronext. Il a acquis l’intégralité du capital d’Orascom Construction Industries. Et pèse aujourd’hui un peu plus de 5,5 milliards d’euros de capitalisation. Nassef, Samih et Onsi Sawiris détiennent un peu plus de la moitié des parts. Mais, signe de l’internationalisation du holding, ce dernier compte également parmi ses principaux actionnaires deux sociétés d’investissement américaines (Southeastern Asset Management et Davis Selected Advisers) ainsi que Bill Gates, fondateur de Microsoft et détenteur début mars 2015 de 6,1 % du capital d’OCI N.V.
Pour parachever son projet de refonte du groupe, Nassef Sawiris a finalisé il y a quelques semaines la sortie des activités de construction du périmètre d’OCI N.V., désormais logées dans une nouvelle entreprise, Orascom Construction, cotée depuis début mars à la Bourse du Caire et à celle de Dubaï. Cette entité affiche des revenus d’environ 2 milliards d’euros en 2014, avec une présence dans une vingtaine de pays, mais sa rentabilité reste très faible : depuis 2011, elle n’a plus dégagé de profits…
Joyau
Rendu totalement indépendant, le pôle construction à l’origine de la success-story familiale ne devrait plus peser négativement sur ce qui est désormais le joyau de la couronne de Nassef Sawiris : OCI N.V., entièrement tourné vers les engrais. La société est hautement rentable : en 2014, elle a dégagé environ 365 millions d’euros de bénéfices pour 2,2 milliards d’euros de revenus. Et elle figure parmi les leaders mondiaux des engrais azotés, produisant 6,8 millions de tonnes, à peu près à parts égales entre l’Égypte, l’Algérie et les Pays-Bas. Avec son déploiement à marche forcée aux États-Unis, OCI N.V. devrait encore augmenter d’environ 30 % sa capacité dans les engrais. Sans compter la production dans le même pays de méthanol, un autre dérivé du gaz naturel très utilisé dans la fabrication de produits chimiques (matières plastiques, peinture, etc.) et de plus en plus comme carburant automobile.
« Au cours des trois dernières années, notre priorité numéro un a été de devenir un acteur énergique de la monétisation du gaz aux États-Unis », confiait Nassef Sawiris au journal de la Wharton School. À coup de milliards de dollars d’investissement, le magnat égyptien semble bien positionné pour parvenir à son objectif, mûrement réfléchi. Les producteurs de la Corn Belt (principale zone de production agricole au monde, où la culture du maïs est prépondérante, située au coeur des États-Unis), immenses importateurs d’engrais, attendent la finalisation de l’usine du comté de Lee avec impatience. Quant au gaz naturel utilisé par ses futures usines américaines, il est désormais abondant en raison du boom des exploitations d’hydrocarbures non conventionnels dans le pays.
Et l’Égypte dans tout ça ? Toutes les activités de Nassef Sawiris gardent un pied dans son pays d’origine, et celui-ci mentionne régulièrement les projets qu’il y nourrit. Mais il s’en est quelque peu détourné, éprouvé, avec son père Onsi, par une bataille médiatique menée contre eux par le gouvernement des Frères musulmans. Un procès pour avoir supposément fraudé le fisc lors de la cession d’Orascom Cement à Lafarge, très suivi entre octobre 2012 et la chute du président Morsi en juillet 2013. La page est tournée, mais le sujet reste d’autant plus sensible que Naguib Sawiris a entamé après la chute de Moubarak, début 2011, une carrière politique. Un sujet sur lequel Nassef s’exprime peu, même s’il expliquait en 2013 au magazine français Challenges ne pas croire « qu’un businessman puisse faire de la politique ».
À l’écart
Depuis son nouvel appartement de 70 millions de dollars situé sur la 5e Avenue à New York, l’Égyptien veille à ses plus importants chantiers stratégiques. Ces dernières semaines, dans l’Iowa, une vive polémique a éclaté après le licenciement d’environ 1 500 travailleurs sur le site de construction de l’usine d’engrais d’OCI N.V., pourtant subventionné à coup de centaines de millions de dollars d’avantages fiscaux. Nassef Sawiris s’est pour l’instant tenu à l’écart de cette nouvelle crise.
Une stratégie qui lui avait réussi en Algérie : alors que son frère Naguib, alors propriétaire du premier opérateur de télécoms, était mis en cause pour ses pratiques fiscales, Nassef continuait son immense projet d’usine d’engrais près d’Oran, en coentreprise avec Sonatrach. Le site est entré en production l’an dernier. Preuve qu’on peut être comme tous les Sawiris un redoutable homme d’affaires mais préférer la retenue. Le tout en bâtissant en moins de vingt ans un véritable empire : des parts dans le premier cimentier mondial, le contrôle du plus grand groupe de BTP africain et de l’un des leaders mondiaux des engrais.
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