Développement : des milliardaires idéalistes
Quelle est la manière la plus efficace de lutter contre les inégalités les plus criantes, d’éradiquer l’extrême misère dont souffrent encore un milliard d’êtres humains, de faire reculer la mortalité infantile et les maladies qui ne sévissent plus que dans les pays sous-développés ?
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Béchir Ben Yahmed
Béchir Ben Yahmed a fondé Jeune Afrique le 17 octobre 1960 à Tunis. Il fut président-directeur général du groupe Jeune Afrique jusqu’à son décès, le 3 mai 2021.
Publié le 15 juillet 2015 Lecture : 4 minutes.
Comment faire pour que les très pauvres le soient moins, aient accès à la santé et à l’éducation, voient s’ouvrir des perspectives ? On en débat depuis des décennies sans que se dégage un consensus.
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Répondant à un champion du libéralisme qui soutenait « qu’il fallait laisser les riches devenir plus riches car, en vérité, il n’y a pas encore assez de riches et les taxer davantage n’enrichirait pas les pauvres », le professeur Jeffrey D. Sachs écrit : « Les 85 plus grandes fortunes au monde représentent un total de 2 000 milliards de dollars. Si ces 2 000 milliards étaient placés dans un fonds et rapportaient 5 % par an, on disposerait, chaque année, de 100 milliards de dollars supplémentaires pour améliorer le sort du milliard d’êtres humains extrêmement pauvres.
Ces 200 millions de foyers (de cinq personnes en moyenne) recevraient chacun 500 dollars par an et verraient alors leurs vies transformées.
En vérité, ces 100 milliards représentent le montant nécessaire pour nous permettre de lutter contre le sida, la tuberculose, la malaria, de vacciner ceux qui ne le sont pas, d’électrifier les parties du monde qui ne le sont pas, de sortir les plus pauvres de leur extrême pauvreté. »
Sans le dire expressément, Jeffrey Sachs souligne que l’argent fourni par l’Aide publique au développement (APD) est dramatiquement insuffisant pour faire reculer la misère.
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Le bilan 2014 de cette APD vient justement d’être rendu public : il est affligeant.
Une dizaine de pays riches (ou récemment enrichis) pourraient, eux aussi, verser leur obole à ce fonds d’aide mais ils ne le font pas ; la plupart des 29 États qui se sont engagés – il y a quarante-cinq ans, devant l’ONU – à consacrer 0,7 % de leur PIB annuel à aider les pays pauvres ne mettent même pas un point d’honneur à tenir cet engagement, qu’ils ont pourtant renouvelé en 2005.
Les États-Unis ne versent que 0,19 % de leur PIB, et l’aide de la France régresse d’année en année.
Mis à part le Luxembourg, les pays scandinaves (Danemark, Suède, Norvège) et, heureuse surprise, le Royaume-Uni, les 25 autres États membres du Comité d’aide au développement (CAD) n’en sont même pas à la moitié de l’objectif claironné.
Ils ont versé 134 milliards de dollars en 2014, soit 0,29 % de leur PIB annuel. Si l’objectif avait été seulement approché, on en serait à près de 300 milliards de dollars par an et l’on disposerait de ce qui manque aujourd’hui, selon le Pr Sachs, pour éradiquer l’extrême pauvreté…
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C’est donc pour répondre à un besoin réel que Bill et Melinda Gates, alors première fortune du monde, ont lancé avec leur ami Warren Buffett, autre milliardaire, Giving Pledge.
Aux termes de cette promesse de don, à leur demande, plusieurs dizaines de multimilliardaires se sont engagés à consacrer leur fortune (de leur vivant ou à leur mort) à l’amélioration du sort d’êtres humains qui n’ont pas eu leur chance plutôt que de la laisser à leurs héritiers.
Melinda Gates raconte : « Comme nous, Warren pense que nous avons réussi et sommes devenus riches parce que nous avons eu la chance de vivre dans un pays doté d’infrastructures de qualité, d’un système éducatif performant, d’axes routiers en bon état… Warren dit souvent que s’il était né en Tanzanie, il serait, au mieux, devenu agriculteur…
Nous pensons qu’il incombe aux milliardaires, mais aussi aux millionnaires et à ceux qui gagnent plus de 200 000 dollars par an, de donner l’exemple en offrant leur temps, leur énergie ou leur argent.
Cent vingt-sept milliardaires nous ont rejoints depuis cinq ans. La plupart sont de grands patrons qui ont bâti leur fortune au fil leur carrière. Il ne leur a pas été facile de réorienter l’énergie et le talent qu’ils ont déployés dans leur business vers la philanthropie. Nous observons avec plaisir que beaucoup d’entre eux se sont pris au jeu…
L’énorme contribution dont a décidé Warren Buffett – 30 milliards de dollars ! – a permis, en 2006, de doubler du jour au lendemain le montant des avoirs de la Fondation Bill et Melinda Gates.
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Au cours de ces quinze dernières années, nous avons beaucoup investi afin que des technologies et des innovations largement répandues dans le monde occidental soient disponibles dans les pays en développement : si les femmes de Londres, de Paris ou de Boston peuvent se procurer des contraceptifs dans leurs pharmacies, il n’y a aucune raison pour qu’une femme africaine qui le souhaite ne puisse pas en faire autant.
Notre conviction est que tout enfant a droit à un enseignement de qualité. L’éducation est un grand égalisateur social et un facteur clé de la démocratie. »
Melinda et Bill Gates donnent depuis le début de ce siècle, en plus de leur fortune, leur temps et leur savoir-faire pour tenter d’améliorer le sort de millions d’Africains et d’Asiatiques qui n’ont pas eu leur chance.
Je leur ai donné la parole longuement pour qu’ils expliquent leur démarche, dont ils savent qu’elle suscite de l’étonnement et, parfois, des sarcasmes. On a parlé d’idéalisme forcené, passible de psychanalyse, de milliardaires en quête de rédemption.
Pour ma part, je crois à la sincérité absolue de leur discours qui me touche et m’émeut parce qu’il ne procède d’aucune religion, ne sert aucun pays, aucune autre cause que celle de la fraternité humaine.
Écoutez Bill Gates nous annoncer au début de cette année les grands changements qui vont se produire :
« Nous allons gagner la bataille contre la mortalité des enfants en bas âge car les immenses progrès réalisés ont montré à la majorité des gens que la victoire est à portée de main. Nous avons déjà réduit cette mortalité de moitié et le chemin qui reste à parcourir pour éradiquer d’autres maladies n’est plus bien long.
L’extrême pauvreté a déjà reculé et va continuer de le faire. Les vaccins se diversifient et sont acheminés jusque dans les endroits les plus reculés. Les moustiquaires traitées à l’insecticide prémunissent des millions de gens contre la malaria.
Les prochaines années verront de nouvelles grandes avancées. La plupart des habitants des pays pauvres vivront plus longtemps et en meilleure santé. Ils auront, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, l’occasion de faire des études et de se nourrir de façon plus diversifiée. »
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