Sénégal : Thione Seck, complice d’escroquerie ou victime de maraboutage ? #2
C’est un millefeuilles sénégalais où se superposent de faux billets artisanaux, de vrais Francs CFA, une arnaque « à la nigériane » et un zeste de maraboutage. La version officielle de l’affaire Thione Ballago Seck recèle de sérieuses invraisemblances… et autant de mystères.
Le 2 juin, Thione Seck et Alaye Djiteye sont inculpés et placés sous mandat de dépôt. Soupçonnés de détention (pour le premier) et de contrefaçon (pour le second) de signes monétaires ayant cours légal, d’association de malfaiteurs et de blanchiment, les deux hommes atterrissent à la prison de Rebeuss. Au-dehors, le Sénégal est en émoi. Car depuis le 29 mai, la presse « divulgue » en temps réel le contenu de la procédure de flagrance. Des « fuites » parfois contradictoires, qui s’accordent toutefois sur une certitude commune : 50 millions d’euros contrefaits auraient été découverts chez Thione Seck. Des responsables politiques aux artistes, les marques d’affection le disputent à l’incrédulité.
Pourtant, les commentateurs passent à côté d’une évidence : au vu du maigre dossier de flagrance et de la simple logique, il semble en effet exclu que les gendarmes aient pu découvrir 50 millions d’euros en faux billets chez Thione Seck. Dans le procès-verbal dressant l’inventaire des pièces à conviction, la désignation du contenu du fameux sac noir laisse en effet sceptique: « Un paquet de papiers verts estimé à 1 million d’euros, suivant la déclaration du mis en cause. »
Première bizarrerie: comment les 50 millions d’acompte évoqués par Thione Seck auraient-ils fondu de 49 million d’euros si l’estimation est basée sur sa propre déclaration ? Deuxième incohérence : comment des « papiers verts » (et non des billets de banque) pourraient-ils représenter une valeur financière d’un million d’euros ? Dans les différents PV, le mystère entoure le contenu du sac découvert chez Thione Seck. Jamais il n’est question de liasses de 100 euros (une coupure dont la couleur dominante est le vert), mais seulement de « coupures de papiers verts ».
« L’équivalent de dix belles valises »
En attendant l’ouverture des scellés par le juge d’instruction, en présence des avocats des inculpés, il est permis de douter que le contenu du sac puisse avoisiner les 50 millions d’euros évoqués par les médias. En effet, cela signifierait qu’un simple sac de voyage pourrait contenir 500 000 billets de 100 euros. « Un billet pesant environ 1 gramme, cela représenterait un poids total de 500 kilos, constate un policier français spécialisé dans la répression du faux monnayage. Autrement dit, l’équivalent de dix belles valises. »
Mais ce n’est pas tout. Selon les chiffres rendus publics par la Banque centrale européenne (BCE), les saisies totales de faux billets pour l’année 2014 représentaient une valeur cumulée de 19,6 millions d’euros. Autrement dit, les gendarmes dakarois auraient mis la main, en une seule prise, sur un stock de faux billets représentant 255% de la valeur totale des saisies annuelles effectuée dans la zone euro ! « En Europe, une saisie tournant autour de 13 ou 14 millions d’euros représente une belle prise », analyse notre policier. Autant dire qu’en termes de productivité, Alaye Djiteye aurait battu à plates-coutures les imprimeries sophistiquées de la Camorra napolitaine.
Équipé d’un scanner et de quelques imprimantes, le Malien aurait-il pu reproduire une telle quantité de faux billets ? « Ça représenterait une somme très importante mais ça n’est pas impossible à imprimer, commente la même source. À condition toutefois d’avoir la capacité de produire en grosse quantité, donc de disposer d’une imprimerie offset. » Or même dans l’hypothèse où Alaye Djiteye aurait eu accès à une imprimerie clandestine, resterait un défi de taille : « Le vrai problème, avec une telle somme, c’est d’écouler les faux billets », estime notre spécialiste français du faux monnayage.
Faussaire d’appartement
Une tache d’autant plus ardue pour un faussaire d’appartement. Car pour obtenir de fausses coupures crédibles, cela requiert des compétences techniques et un matériel très pointus. Papier ressemblant à du papier fiduciaire, encres spéciales, presse offset ou imprimantes semi-industrielles, capacité à simuler les divers signes de sécurité (filigranes, hologrammes, taille-douce)… Avec un matériel rudimentaire, à moins d’être un orfèvre, le résultat oscille entre un « billet de Monopoly » et un faux billet détectable à l’œil nu ou au toucher.
Reste une hypothèse, encore incertaine, selon laquelle, en guise de trafic industriel de fausse monnaie, la véritable activité de Djiteye et de ses complices consistait plutôt à arnaquer de crédules « pigeons » – la fausse monnaie leur servant de leurre. Une hypothèse accréditée par un court passage de la procédure dans lequel on peut lire que Thione Seck se serait associé à Cherif Sakho, lequel aurait eu pour mission « de trouver un technicien pour laver les billets ». « Ce terme ne m’évoque rien en termes de faux monnayage, indique notre policier français. Ça me fait plutôt penser à l’arnaque aux billets noircis. »
Ce classique de la délinquance astucieuse a beau être connu depuis des lustres, il continue de faire des victimes sur tous les continents. Des escrocs font miroiter à leur cible qu’ils détiennent un stock de vrais billets en voie d’incinération ou de démonétisation. En guise de protection, prétendent-ils, ceux-ci ont été enduits d’une encre noire indélébile. Au terme d’un tour de passe-passe, les escrocs parviennent à persuader le pigeon qu’ils sont en possession d’un produit miracle pouvant redonner aux billets leur apparence d’origine. Ils lui font miroiter qu’ils accepteraient de lui céder une partie de leur pactole à condition que celui-ci investisse dans le fameux liquide, évidemment onéreux. Mue par la cupidité, la cible s’exécute et fournit à ses interlocuteurs une somme confortable en vrais billets. Lorsque ceux-ci se sont volatilisés, ne reste à la victime qu’un stock de papier noir… et ses yeux pour pleurer.
Dénégations peu convaincantes
Selon la source policière interrogée par J.A., il arrive que cette arnaque se décline avec un papier d’une autre couleur que le noir. Thione Seck aurait-il imaginé qu’en investissant 85 millions de F CFA pour obtenir le produit miracle, il transformerait de simples « papiers verts » en vraies coupures de 100 euros? « Si escroquerie il y a, il ne faut pas exclure l’hypothèse qu’il en soit partie prenante », relativise une source policière européenne à Dakar. Il est vrai que les dénégations peu convaincantes et autres explications tortueuses de Thione Seck incitent à s’interroger sur son véritable rôle.
Selon l’un des avocats de l’artiste, Alaye Djiteye aurait toutefois reconnu en garde à vue avoir tenté d’escroquer son client sans que cette précision ne soit mentionnée sur le PV. Pour les gendarmes, en revanche, Thione Seck aurait « volontairement investi dans la confection de faux billets de banque ». « À ce stade de la procédure, il est encore trop tôt pour y voir clair », relève le même avocat, qui prédit que l’instruction permettra de faire la part des choses entre fausse monnaie européenne et arnaque à l’africaine.
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