L’Afrique malade de ses ressources naturelles ?
Tribune d’Ibrahim Thiaw, sous-secrétaire général des Nations unies et directeur exécutif adjoint du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE).
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Ibrahim Thiaw
Secrétaire général adjoint des Nations unies et Secrétaire exécutif de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (CNULCD)
Publié le 15 juin 2015 Lecture : 4 minutes.
Une fois de plus, les conflits sont à l’ordre du jour. Un sujet récurrent des sommets de l’Union africaine. Celui de Johannesburg qui se déroule en ce moment s’évertuera sans doute à étouffer les nombreux foyers de tension. S’est-on suffisamment penché sur les causes profondes des conflits qui rongent l’Afrique ? La richesse du continent en ressources naturelles est-elle un atout ou une malédiction ?
En Afrique, le moteur du développement économique et social carbure aux ressources naturelles, richesses exceptionnelles d’un continent béni par la nature. La logique du développement durable avec son triptyque économique, social et environnemental s’applique à l’Afrique, peut-être mieux que partout ailleurs. Comment en effet, imaginer une Afrique qui décollerait en laissant en rade ses richesses naturelles ? De quoi sera fait le lendemain si les ressources du sol, du sous-sol et des fonds marins sont pillées, volées, saccagées par des groupes de criminels de diverses origines ? Des bandes criminelles de plus en plus sophistiquées sillonnent le continent et sapent les fondations de son développement, dans une quasi-impunité.
De l’exploitation illégale de la flore et de la faune à l’extraction illicite des ressources minières à haute valeur monétaire, jusqu’à l’extorsion et la taxation de revenus alimentant, dans certains cas, des bandes armées, voire des groupes terroristes, la nature des crimes a évolué, se complexifiant davantage et associant le trafic de ressources naturelles à celui des armes et de la drogue, voire d’êtres humains.
Les pertes de revenus liés au commerce illicite des ressources naturelles sont estimées, au niveau mondial, jusqu’à 213 milliards de dollars par an. Ces trafics affectent principalement les pays en développement, notamment ceux connaissant des situations de crise. Ils concernent le bois, la faune, les mines, les produits halieutiques et le dumping de produits chimiques dangereux. En comparaison, l’aide publique au développement est estimée à 130 milliards de dollars par an.
Le commerce illicite des ressources naturelles a ceci de plus vicieux que le trafic de drogue, en ce qu’il prive les pays pauvres de revenus qui autrement auraient été utilisés pour construire des écoles, soigner des malades ou ériger des infrastructures. Ces activités sapent le développement, dérobant aux pays pauvres des moteurs et du carburant nécessaires à leur décollage économique.
Le commerce illicite a ceci de pernicieux, en ce qu’il alimente des conflits internes, souvent sciemment entretenus pour durer dans le temps, car la paix et la stabilité n’arrangent en rien les trafiquants. Les exemples sont nombreux en Afrique, notamment dans les pays des Grands Lacs. Une étude sur les conflits armés majeurs survenus entre 1950 et 2000 a révélé que 90% des conflits ont eu lieu dans des pays riches en biodiversité. Un rapport de la Banque mondiale révèle en 2003 qu’au cours des 40 années précédentes, les pays en développement ne disposant pas de richesses naturelles s’étaient développés deux ou trois fois plus rapidement que les pays riches en ressources naturelles rares.
L’on entend, dans ces conditions, des conclusions insoutenables, puisées dans l’impuissance, à savoir : « plus les pays sont riches en ressources naturelles, plus pauvres sont leurs populations ». D’autres concluent avec la notion encore plus insoutenable de « la malédiction des ressources ». Rien n’est plus inexact ! Le remède se trouve dans la bonne gouvernance des richesses.
Les crimes contre la vie sauvage représentent des crimes sérieux, pas des faits divers. Ils appellent une réponse coordonnée, cohérente et efficace tant au niveau local et régional que mondial. Les réseaux criminels transnationaux, de plus en plus sophistiqués, s’abreuvent aux sources des faiblesses institutionnelles, du manque de coopération et des lacunes juridiques et institutionnelles.
Combien de temps ces criminels vont-ils continuer à opérer dans une relative impunité, transcendant les frontières et de ce fait, échapant aux pouvoirs régaliens et aux juridictions des États pris isolément ? N’est-il pas grand temps de fédérer les moyens des services de renseignements et de surveillance, y compris par l’utilisation des moyens technologiques modernes tels les drones ? Pour être efficace, la lutte contre le braconnage et contre l’exploitation illicite des ressources naturelles doit se moderniser, s’adapter aux nouveaux défis. Les États doivent repenser leur approche, généralement parcellaire et sectorielle. Il convient désormais de fusionner les unités d’intervention. À l’instar des plans ORSEC permettant de mobiliser, sous un commandement unique, tous les services compétents, les États doivent réfléchir à réagir de manière intégrée à cette nouvelle fièvre épidémique qui affaiblit leur système immunitaire et ruine leur santé économique.
Le combat contre le bradage des richesses nationales ne peut se faire sans moderniser les cadres juridiques et réformer les systèmes judiciaires, afin d’être à même de traquer la corruption et les complicités internes et externes aux états d’origine. Au niveau international, les états doivent s’accorder à identifier et pêcher les gros poissons, étouffer leurs réseaux mafieux, les appréhender et les mettre à la disposition de la justice. Il faut, en même temps, démanteler les petits réseaux nationaux et anéantir les systèmes régionaux de complicité et de duplicité.
Feu professeur Joseph Ki-Zerbo du Burkina Faso disait : « Dormir sur la natte des autres, c’est comme si l’on dormait par terre ». L’Afrique dormira sur sa propre natte et comptera sur elle-même, avant de faire appel aux nattes des autres, et ce en application d’un principe très simple: « on se développe, on ne développe pas ». Une sagesse africaine dit : «quand la tête est là, il ne faut pas que le genou prétende vouloir porter le bonnet ».
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