Xavier Gobille, Tata Africa : « Nous voulons bâtir un grand réseau multimarque »

Le groupe indien, déjà présent dans seize pays d’Afrique, vise un chiffre d’affaires de 1 milliard de dollars d’ici à trois ans sur le continent. Xavier Gobille, directeur de la distribution automobile de Tata Africa a répondu aux questions de « Jeune Afrique ».

Xavier Gobille espère imposer Tata dans le domaine des véhicules passagers, avec l’arrivée de nouveaux modèles comme les citadines Zelt et Bolt. © Tata International

Xavier Gobille espère imposer Tata dans le domaine des véhicules passagers, avec l’arrivée de nouveaux modèles comme les citadines Zelt et Bolt. © Tata International

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Publié le 24 mai 2015 Lecture : 5 minutes.

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Entre 4 et 5 millions de voitures de seconde main arrivent chaque année en Afrique pour y être revendues. Un marché largement détenu par le secteur informel, mais que les distributeurs officiels commencent à convoiter.

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Ancien directeur de Renault Afrique du Sud, ce Français basé à Johannesburg pilote depuis 2012 la branche de distribution automobile de Tata, déjà présent dans seize pays. Il explique la stratégie du groupe indien pour se développer face à CFAO et à Tractafric Motors, en mettant le cap sur l’Afrique francophone.

Propos recueillis par Christophe Le Bec

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Jeune Afrique : Vous êtes un distributeur intégré à un grand groupe. Votre activité est-elle consacrée uniquement à Tata ?

Xavier Gobille : Nous sommes pour Tata l’équivalent de Toyota Tsusho Corporation [TTC] pour le groupe Toyota. Nous vendons certains produits de Tata sur le continent : les camions et voitures de la marque Tata Motors ; ceux de Tata Daewoo Commercial Vehicle, né du rachat de la branche camion du coréen Daewoo en 2004 ; et, en Zambie et au Ghana, les véhicules de Jaguar Land Rover [JLR], la société britannique rachetée par le groupe en 2008. Mais nous écoulons aussi les tracteurs et équipements agricoles John Deere, qui ne font pas partie du groupe Tata. Et nous discutons avec plusieurs autres grandes marques internationales pour les distribuer sur le continent, principalement en Asie.

Tata dispose avec l’Inde d’un immense marché toujours en croissance. L’Afrique est-elle une véritable priorité pour lui ?

Nous sommes présents dans seize pays du continent, nous y comptons environ 3 800 salariés, et notre chiffre d’affaires oscille entre 400 et 500 millions de dollars [de 350 à 440 millions d’euros]. Nous prévoyons d’atteindre le milliard de chiffre d’affaires d’ici à trois ans, avec un taux de croissance annuel de plus de 25 %. L’Afrique est le deuxième marché du groupe, après l’Inde. Noel Tata, qui dirige Tata International, le holding de Tata Africa, en a fait sa priorité, et est venu souvent sur le continent pour appuyer la branche distribution ainsi que d’autres composantes du groupe qui y sont actives, notamment Tata Steel [mines et sidérurgie] et Tata Power [énergie].

Tata souhaite être plus présent en Afrique francophone.

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Vous distribuez en même temps des voitures, des camions, des engins. Arrivez-vous à créer des synergies entre ces diverses activités ?

Nous voulons bâtir un réseau au service de différentes grandes marques, couvrant les besoins les plus larges des clients africains. Pour se développer, le continent doit disposer de moyens de transports – donc de voitures, de camions et de bus -, mais aussi d’infrastructures – donc d’engins de travaux publics – et d’un développement agricole et extractif – donc de machines agricoles et minières. Nous avons des produits pour répondre à ces besoins. Compte tenu des contraintes et des coûts de la distribution sur le continent, c’est la mise en place d’un réseau multifranchise qui nous paraît le plus à même de permettre des économies d’échelle. Il est possible d’organiser une logistique commune, un support unique pour la mécanique, voire un même circuit de commercialisation pour ces équipements différents. Parfois, il y a un seul et même client pour tous les produits : par exemple, un gérant d’exploitation agricole pourra avoir besoin de camions, de voitures passagers et d’engins agricoles ; et une société minière, de bus et d’engins d’extraction…

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Comment vous différenciez-vous de vos deux grands concurrents, CFAO (filiale de TTC), et Tractafric Motors Corporation, les plus actifs dans la zone francophone ?

Notre force, face à un groupe comme CFAO qui vend surtout des voitures, c’est d’être adossé à un grand groupe offensif et capable d’offrir des véhicules très différents, du camion au tracteur. Et nous bénéficions de la réputation de Tata dans les pays africains, qui y voient un exemple d’un groupe industriel solide dans un pays émergent. Noel Tata, appuyé par la diplomatie indienne, est très souvent reçu par des dirigeants politiques en Afrique subsaharienne. Ces derniers comprennent que nous pouvons leur apporter beaucoup, notamment pour doper la production de matières premières à destination de l’Inde, mais aussi de la Chine. Par ailleurs, à la différence de CFAO, nous ne voulons pas nous diversifier vers la grande distribution ou la pharmacie, nous n’y voyons pas de synergies avec notre activité actuelle.

Tata arrive-t-il à percer au-delà du marché des camions ?

Il est vrai que pour le moment les camions et les bus représentent à peu près 80 % de notre chiffre d’affaires sur le continent. En Afrique comme en Inde, Tata Motors est d’abord reconnu comme un spécialiste des camions petits et moyens, depuis les années 1950. Nous attendons l’arrivée en Afrique d’une nouvelle famille de camions, la gamme Prima, pour renforcer notre domination sur ce marché. Sur le marché des véhicules passagers nous sommes arrivés tardivement, en 1998, ce qui explique les résultats encore modestes de cette branche. Nous sommes encore un « bébé » par rapport aux vieilles marques européennes, japonaises et américaines ! Mais l’arrivée de nouveaux véhicules développés en Inde par Tata Motors et adaptés au continent, comme les modèles de citadines Zelt et Bolt, nous permettra de rivaliser avec les meilleurs. Sur ce segment des véhicules passagers, nous espérons étendre à d’autres pays notre partenariat avec JLR, sur la base de nos performances au Ghana et en Zambie, où nous vendons leurs véhicules dans des succursales distinctes. Nous voulons ainsi étendre notre gamme pour couvrir les segments que nous jugeons prioritaires.

Vous êtes surtout présent en Afrique anglophone. Qu’en est-il des pays francophones ?

Nous travaillons en Afrique subsaharienne depuis 1977. Nous avons commencé en Zambie, avant de nous étendre d’abord dans la région australe et vers l’est, puis vers l’ouest. Les pays où nous réalisons les meilleures ventes aujourd’hui sont, dans l’ordre, l’Afrique du Sud, le Kenya, la Tanzanie et le Nigeria. Mais Madagascar, l’Ouganda, la Zambie et le Zimbabwe nous semblent prometteurs. Nous souhaitons être plus présent en Afrique francophone. C’est pour cela que nous nous sommes réinstallés rapidement en Côte d’Ivoire après la crise politique qu’a connue ce pays. Au Sénégal, nous avons racheté un distributeur local de camions, Unitech Motors. Par ailleurs, nous envisageons une implantation en Angola, qui est encore un marché captif des distributeurs portugais.

Discutez-vous avec d’autres marques que Tata ?

Pour enrichir notre gamme, nous sommes prêts à distribuer d’autres marques – européennes, américaines ou asiatiques. Nous discutons actuellement avec des Sud-Coréens. Nous leur offrons une bonne connaissance de seize marchés – et bientôt plus – et de solides compétences logistiques et techniques. Les groupes internationaux sont pragmatiques. Du moment que vous avez de bonnes capacités marketing, logistiques et techniques, ils acceptent le principe de concessions multimarque, qui permettent la mise en commun de services, tout en disposant de vendeurs spécialisés dans chaque type de produit ou constructeur.

Est-il envisageable d’avoir dans votre portefeuille d’autres marques indiennes que Tata ?

Tout comme d’autres japonais ne souhaitent pas être distribués par une filiale de Toyota, nos concurrents indiens les plus présents en Afrique – principalement Mahindra et Ashok Leyland – ne veulent pas dépendre de Tata, leur principal compétiteur domestique. Mais des groupes sud-coréens, chinois, et européens devraient étudier la question ! Pour ces derniers, réussir la distribution de Jaguar et de Land Rover sera notre meilleure publicité !

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