Pierre-Olivier Sur : « Ce projet n’est pas celui du barreau de Paris »

Le bâtonnier de l’Ordre des avocats de Paris, qui devait présenter hier un projet de création de barreau devant le Conseil des ministres de l’Ohada, y a renoncé devant la pression. Il s’explique.

Pierre-Olivier Sur est le bâtonnier de Paris. © DR

Pierre-Olivier Sur est le bâtonnier de Paris. © DR

ProfilAuteur_FredMaury

Publié le 12 juin 2015 Lecture : 4 minutes.

De retour de Côte d’Ivoire, Pierre-Olivier Sur n’en revient toujours pas de la polémique qu’il a déclenché, avec l’Ordre des avocats de Paris dont il est le bâtonnier, en soutenant un peu trop activement un projet de création d’un barreau Ohada, une association basée en Côte d’Ivoire et regroupant l’ensemble des avocats intervenant auprès de la Cour commune de justice et d’arbitrage (CCJA). Il s’explique pour Jeune Afrique.

Jeune Afrique : Depuis quelques jours, un projet que vous portez suscite la polémique chez les avocats africains. Expliquez-nous ?

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Pierre-Olivier Sur : Il y a une tradition juridique commune entre l’Afrique et la France. Paris est l’une des principales places de droit au monde, en particulier pour l’arbitrage international. En Afrique, un lien très fort a été juridiquement constitué depuis 1993, dans le cadre d’une zone d’harmonisation et d’intégration des règles de droit des affaires, entre 17 Etats. C’est l’Ohada. Il s’agit d’une organisation dont l’objectif principal est la sécurité juridique. Pour nourrir cette sécurité juridique et mettre au même niveau tous les avocats, ceux d’Afrique et ceux des cabinets internationaux, nous sommes de longue date sollicités, afin de contribuer à la formation professionnelle. C’est dans cette perspective qu’on nous a demandé de réfléchir à la création d’un barreau Ohada (pour harmoniser la déontologie entre tous les confrères provenant de barreaux différents) et d’une Carpa Ohada (pour sécuriser les règlements pécuniaires entre avocats pour le compte de leurs clients).

Mais qui a eu cette idée et vous a sollicités ?

C’est le président de la Cour commune de justice et d’arbitrage de l’Ohada (CCJA), Marcel Sérékoïssé-Samba. Il s’est tourné vers moi, car le barreau de Paris, qui compte 27 000 membres et dont la Carpa fait transiter près de 15 milliards d’euros de flux financiers par an, en a l’expertise. Et lui-même en a présenté le projet au Conseil des Ministres de l’Ohada en janvier dernier !

Comprenez-vous la vive réaction de plusieurs barreaux africains ?

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Non ! Je pensais que tout le monde était d’accord ! En effet nous avions échangé avec la plupart des bâtonniers de la zone, tant au Mali l’année dernière qu’au Burkina Faso cette année, de façon complètement transparente et publique…

Car les barreaux vous reprochent de ne pas les avoir informés de ce projet avant de le présenter devant le Conseil des ministres de l’Ohada…

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C’est faux. Je le répète, il y a quelques mois, une rencontre de bâtonniers à Ouagadougou à l’occasion du 25ème anniversaire du barreau du Burkina a été organisé et le sujet a été évoqué. Un petit-déjeuner s’est tenu la veille à l’ambassade de France à Ouagadougou, avec le bâtonnier du Burkina. On ne parlait que de cela. De même l’année dernière à Bamako, devant des centaines d’avocats, le Premier Ministre et le Garde des sceaux, bon nombre d’avocats français (dont le Président de la CIB), le projet d’un barreau Ohada avait aussi été débattu. La CCJA m’ayant alors fait inviter au Conseil des ministres de l’Ohada pour faire une communication sur ce sujet, j’ai accepté. Monsieur Jacques Bouyssou, membre du conseil de l’Ordre du barreau de Paris, responsable de la Commission internationale, a préparé un projet de convention qu’il a adressé il y a 8 jours à tous les bâtonniers de la zone. Je n’ai eu aucune réponse. Mais mon confrère malien, Mamadou Konaté, qui était en quelque sorte l’interface sur ce projet entre les barreaux africains et le barreau de Paris m’a assuré que tout le monde était d’accord. Ce qui était une réalité et une évidence eu égard aux contacts que j’avais moi-même noués, jusqu’à la bronca de ces derniers jours.

L’article 4 du projet de statuts du barreau Ohada prévoit la possibilité que soient membres des avocats issus d’un barreau non africain si ce dernier a conclu une convention de coopération avec un barreau Ohada. Certains avocats disent que cette disposition est une tentative d’ouvrir l’espace juridique africain à des avocats étrangers. Que répondez-vous ?

Je réponds que c’est déjà la situation juridique applicable. Les barreaux ont conclu des conventions de réciprocité qui nous permettent tous et réciproquement de plaider en Afrique et en France, dans la zone Ohada et bien évidemment, devant la CCJA.

On vous accuse de “néo-colonialisme juridique”…

Mercredi soir, devant le Conseil des Ministres Ohada, la ministre française de la Justice Christiane Taubira a consacré un quart de son discours à la Carpa et au barreau Ohada. Elle s’est totalement associée au projet. Elle a plaidé pour une harmonisation toujours plus sécurisée, afin d’augmenter le volume des échanges et de la croissance, ce qui doit profiter à tout le monde dans le cadre d’une redistribution qu’elle a présentée avec des accents et un lyrisme mitterrandien. J’insiste pour dire qu’elle a fait un triomphe et qu’elle a été énormément applaudie. Pour nous, cette coopération ne consiste nullement à rechercher des postes de présidences, des secrétariats généraux ou autres, mais à participer, à l’opposé de ce qui se faisait par le passé, à une mise à disposition sans conditions, de véhicules juridiques et financiers, pour harmoniser par le haut une globalisation du droit. Peut-on sérieusement accuser madame Christiane Taubira d’être néo-colonialiste à travers notre projet de mise à disposition ? Franchement ce n’est pas sérieux et même ridicule !

Au final, avez-vous présenté ce projet devant le Conseil des Ministres ?

Je devais intervenir devant les ministres, à huis-clos. Etant donné la situation, certains ministres voulaient maintenir la présentation, d’autres non. Il a semblé préférable à tout le monde que je ne le fasse pas. Maintenant, j’ai envie de dire : que les avocats africains se réunissent, se concertent et choisissent l’avenir qu’ils veulent se donner.

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