Guinée : le pessimisme, c’est contagieux
Après l’épidémie d’Ebola, qui n’est pas terminée, la Guinée doit-elle redouter que le pire reste à venir en matière d’économie ?
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Alain Faujas
Alain Faujas est spécialisé en macro-économie.
Publié le 15 juin 2015 Lecture : 4 minutes.
Désormais, si l’on en croit les autorités sanitaires, les nouveaux cas d’Ebola se compteraient sur les doigts des deux mains, et c’est une très bonne nouvelle pour la Guinée. En revanche, on peut redouter que le pire soit à venir en matière d’économie. Certes, tout n’est pas noir. En dépit de l’épidémie, les réserves du pays se maintiennent au niveau de trois mois d’importations, et le taux officiel d’inflation est revenu de 15,2 % en 2012 à 8,5 % au mois de mars dernier. Reste que la croissance, qui n’était déjà pas très fringante, décline inexorablement – fruit du cocktail funeste que forment Ebola, la chute des cours des matières premières et la perspective de l’élection présidentielle. Selon le FMI, elle est tombée de 2,3 % en 2013 à 0,4 % en 2014, et la récession semble inévitable (- 0,3 %) cette année.
Comment aurait-il pu en être autrement dans un pays figé, où déplacements et échanges sont paralysés par les risques de propagation du virus ? Une situation qui a gravement déséquilibré les comptes de l’État, puisqu’elle a entraîné une hausse rapide des dépenses de santé (surcoût : 348 millions de dollars, soit 316,8 millions d’euros) au moment où les recettes diminuaient sous l’effet du ralentissement de l’activité économique et du tarissement des investissements. Le trou atteint 13 % du PIB, ce qui est énorme.
L’effondrement des cours du fer, la médiocre tenue de ceux de l’alumine et de l’or ont poussé à différer les opérations d’exploration et d’exploitation de nouveaux gisements.L’extraction annoncée de 100 000 tonnes/an du minerai de fer d’exceptionnelle qualité de Simandou, les 670 km de voies ferrées destinées à les transporter vers le littoral, la vingtaine de milliards de dollars nécessaires à la réalisation de ce projet et les 45 000 emplois induits… Tous ces objectifs ne se concrétiseront pas avant 2018, au mieux. Pas étonnant, dans ces conditions, que la balance des paiements du pays ait accusé un déficit de 444 millions de dollars en 2014. Seule l’aide internationale a permis de le combler, pour moitié sous forme de dons et pour moitié sous forme de prêts.
Les défis que doit affronter le président Condé sont colossaux. Il faudrait pas moins de 1,3 milliard de dollars pour réhabiliter un système de santé dont les carences sont largement responsables de la propagation d’Ebola. Les infrastructures routières sont en piteux état ; les coupures d’électricité exaspèrent une population dont plus de la moitié vit avec moins de 2,25 dollars par jour ; la croissance démographique annuelle, de 2,5 %, est supérieure à la croissance économique, ce qui aggrave encore cette pauvreté endémique. Enfin, le climat des affaires décourage l’investissement privé et entrave la création de richesses sans quoi il est illusoire d’espérer une amélioration du sort des 12 millions de Guinéens…
On comprend dès lors qu’Alpha Condé ait poussé un cri d’alarme en avril à Washington, aux côtés de ses pairs libérien et sierra-léonais, lors des assemblées du FMI et de la Banque mondiale. Ensemble, ils évaluent à 8 milliards de dollars l’aide nécessaire pour relancer l’économie de leurs trois pays et y éradiquer la maladie.
Cet appel au secours serait plus crédible si la Guinée n’avait à organiser une élection présidentielle avant la fin de l’année dans un pays fracturé en une myriade de partis (quinze sont représentés à l’Assemblée nationale), formations de type ethnique dont la qualité première n’est pas la défense de l’intérêt collectif. Et l’on peut craindre qu’une agitation sporadique à Conakry comme dans les grandes agglomérations ne conduise le pouvoir à réprimer plus ou moins durement une opposition qui l’accuse de ne pas respecter ses promesses de transparence et d’honnêteté. Rien de tel pour rebuter les investisseurs étrangers.
On peut aussi redouter que le gouvernement ne cède à la tentation d’ouvrir les vannes budgétaires pour se concilier les bonnes grâces du corps électoral. La mission du FMI en Guinée, dont les conclusions ont été publiées le 8 mai, s’inquiète de cette démagogie déjà à l’oeuvre. « L’augmentation récente des salaires du secteur public et la réduction significative des prix de l’essence à la pompe vont compliquer la réalisation du programme d’investissement public ambitieux » élaboré par le gouvernement pour améliorer les conditions de vie, peut-on y lire.
Cela explique la prudence d’Ousmane Diagana, directeur des opérations de la Banque mondiale pour la Guinée. « Si la maîtrise d’Ebola se poursuit, l’économie se rétablira, mais pas au rythme qui était le sien avant l’épidémie, souligne-t-il. La Guinée demeure un pays fragile où les espoirs de décollage se concrétiseront seulement lorsque la situation politique, sanitaire, juridique et sociale sera stabilisée. Peut-être en 2016. Il va falloir encore l’aider. » Le patient guinéen n’en a pas fini avec les perfusions.
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