Reportage : au coeur de l’African Leadership Academy, la fabrique des élites
En dix ans, cette école située à Johannesburg s’est imposée comme la voie royale pour intégrer les plus prestigieuses universités et les plus grandes entreprises du monde. Elle a ouvert ses portes à « Jeune Afrique ».
Tous les lundis à 14 h 30, l’auditorium de l’African Leadership Academy (ALA) de Johannesburg se remplit de deux promotions d’étudiants qui se préparent à intégrer les meilleures universités internationales. Issus de 45 pays africains, les 190 jeunes de 17 à 20 ans traversent le campus verdoyant de l’académie de la banlieue cossue de Honeydew et convergent vers le bâtiment pour participer à ce rassemblement hebdomadaire. L’occasion pour les étudiants de se confronter à la prise de parole en public au travers de présentations et de performances artistiques ou sportives. Chaque intervention – sur un ton très assuré – commence par un « Good afternoon academy », auquel l’assemblée répond en choeur, à l’américaine. Ce 16 février, c’est la Sud-Africaine Muduva Dutino, 19 ans, qui présente son « parcours de vie » à ses camarades, avant de laisser la parole à deux autres étudiants – un Kényan et une Sénégalaise – puis à Uzoamaka Agyare-Kumi, la doyenne nigériane de l’académie. L’invité de marque, ce jour-là, est le Franco-Sénégalais Karim Sy, créateur des espaces collaboratifs Jokkolabs.
« Prep school »
Fondée il y a une dizaine d’années par un trio de trentenaires qui s’étaient rencontrés sur les bancs de l’université californienne Stanford, le Ghanéen Fred Swaniker, le Camerounais Acha Leke et l’Américain Chris Bradford, l’ALA est organisée sur le modèle – africanisé – des « prep schools », les classes préparatoires aux grandes universités américaines. D’ailleurs, l’établissement met en avant des partenariats privilégiés avec l’Ivy League, la prestigieuse association universitaire de la côte Est (dont font partie Harvard, Yale, Princeton et Columbia), mais aussi avec la London School of Economics et l’université du Cap. « Environ 80 % de nos étudiants intègrent une université aux États-Unis, et 30 % un établissement de l’Ivy League », fait valoir Frank Aswani, vice-président chargé des relations stratégiques. « Quelque 10 % des élèves choisissent le Royaume-Uni, une petite dizaine la France, et quatre la Chine », ajoute cet énergique Kényan.
Drastique
Pour dénicher ces brillants éléments, l’ALA organise un concours dans des lycées africains repérés par son réseau. La sélection est drastique : seuls 5 % des élèves sont retenus. « Il n’y a pas uniquement leurs résultats scolaires qui comptent, mais aussi leur capacité à entreprendre, précise le vice-président. Nous prenons en considération leurs qualités d’engagement, d’empathie et d’ouverture d’esprit via une méthode de tests et d’entretiens élaborée pour l’université de Stanford, mais adaptée au contexte local. » Interrogés à la sortie de l’auditorium, les étudiants francophones sont en effet de bons élèves, mais pas seulement. « Le lycée d’Akwa Nord, où j’étudiais à Douala, est l’un des 20 meilleurs du Cameroun, mais mes engagements, notamment dans un projet de recyclage, ont joué un rôle crucial dans le fait que j’aie été sélectionnée », indique Leyla Mouli, 19 ans, étudiante en deuxième année. Sa camarade ivoirienne, Alexia Sahue, 20 ans, une ancienne du lycée Sainte-Marie d’Abidjan, confirme avoir été « une des meilleures élèves de [sa] classe de terminale » mais aussi chef du choeur de sa paroisse et responsable d’un petit groupe caritatif. Quant à Joseph M’Poyeti, en première année, il participait à des projets de gestion de l’eau dans sa région rurale d’origine.
Travail en groupe, avec de nombreux projets créatifs, hiérarchie peu marquée avec les professeurs… Côté pédagogie, l’école se veut novatrice. « Les enseignants sont là pour nous accompagner, pas pour nous diriger », explique Alexia Sahue. « Il y en a un pour quinze élèves, cela facilite les choses », complète Leyla Mouli. « Les professeurs sont originaires de 25 pays différents, détaille Frank Aswani. Environ 75 % d’entre eux sont africains mais certains viennent des États-Unis, de France et d’Allemagne. Tous sont passionnés par l’Afrique et par l’éducation. »
Aux enseignements classiques s’ajoutent des cours d’ »études africaines » et d’ »entrepreneuriat ». Et pour choisir leurs matières et les universités qu’ils intégreront ensuite, et ainsi construire leur projet professionnel, les étudiants sont accompagnés par des conseillers d’orientation. « Toutes les options sont possibles, nous ne cherchons pas forcément à faire d’eux les futurs managers de groupes privés, avance Aswani. Ils peuvent se tromper et faire évoluer leurs choix, confronter leurs rêves à la découverte concrète des métiers, grâce à des rencontres. » Alors que Leyla Mouli s’imagine poursuivre des études d’urbanisme, Alexia Sahue s’intéresse à l’économie et Joseph M’Poyeti à l’environnement…
Mécènes
La force de l’ALA, c’est aussi celle de son réseau d’entreprises. « Nous pouvons compter sur quelque 600 partenaires et institutions, de toutes tailles et de tous types, des ONG d’importance moyenne jusqu’aux multinationales », explique Aswani. L’établissement a notamment réussi à tisser des liens avec des établissements financiers comme le sud-africain Standard Bank et le kényan Equity Bank, des industriels comme IBM et General Electric, ou encore le cabinet McKinsey, qui voient dans ce rapprochement un intérêt majeur pour leurs recrutements.
Ces mécènes financent la plus grande partie du budget de 25 millions de dollars (environ 23 millions d’euros) de l’école. « Au moins la moitié des étudiants sont issus de milieux peu favorisés mais, grâce aux soutiens financiers de nos partenaires, le critère des revenus n’entre pas en compte dans leur recrutement », affirme-t-il. D’ailleurs, 92 % d’entre eux reçoivent une bourse. « Pour 60 % des élèves, celle-ci couvre même la quasi-totalité des coûts, soit 30 000 dollars pour les cours, la nourriture et le logement, précise le vice-président. Nous demandons toutefois une contribution minimale des familles de 100 dollars par mois. »
« Une fois admis dans des universités internationales prestigieuses – pour deux à cinq ans -, nos anciens élèves ne perdent pas le contact avec l’Afrique, y effectuant des stages au sein des entreprises du réseau de l’ALA, l’Academy Careers Network, précise Frank Aswani, qui en est le principal animateur. Les étudiants se frottent à des pays du continent, à des sociétés et à des métiers différents, et les entreprises prennent le temps de les connaître. » À leur sortie des universités internationales, ils sont plus de 70 % à revenir travailler en Afrique, souvent embauchés dans une des entreprises dans lesquelles ils ont effectué un stage.
Diversité
Vis-à-vis des dirigeants de ces groupes, Frank Aswani met en avant la possibilité de recruter en un seul lieu des personnes originaires de tout le continent. Et pour accroître davantage encore cette diversité, le vice-président veut augmenter la part des étudiants francophones (actuellement 30 %) et lusophones (6 %). Pour cela, l’établissement met en place un accompagnement linguistique plus étoffé des étudiants non anglophones – qui ont toutefois un niveau d’anglais correct au moment de la sélection. À l’inverse, pour les anglophones, « nous pourrions inclure des cours de français et de portugais, afin qu’ils soient parfaitement bilingues, une qualité particulièrement appréciée par les multinationales », suggère Aswani.
Actuellement, l’ALA cherche à se rapprocher de grandes entreprises et universités francophones. En février, à Paris, à l’occasion du Forum franco-africain pour une croissance partagée, Frank Aswani a rencontré d’éventuels partenaires, comme le pétrolier Total ou le spécialiste des cartes à puce Gemalto.
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