Génocide des Tutsis : « Les lenteurs de la justice françaises sont désespérantes »

Alors qu’un prêtre rwandais réfugié en France fait l’objet d’une demande d’extradition vers le Rwanda, Alain Gauthier, président du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), s’inquiète des lenteurs de la justice française face aux auteurs présumés du génocide de 1994.

Des réfugiés fuyant Kigali en 1994. © AFP/GERARD JULIEN

Des réfugiés fuyant Kigali en 1994. © AFP/GERARD JULIEN

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Publié le 17 juin 2015 Lecture : 3 minutes.

Dix-huit ans après son arrivée en France, son passé a fini par le rattraper. Début juin, l’ancien aumônier militaire rwandais Martin Kabalira était déféré devant les magistrats de la Cour d’appel de Versailles, qui lui ont notifié qu’il faisait l’objet d’un mandat d’arrêt international avant de le placer sous contrôle judiciaire. Le sexagénaire, qui vit aujourd’hui à Trappes, en banlieue parisienne, après avoir un temps exercé la fonction de vicaire dans une paroisse de Haute-Garonne, dans le sud de la France, fait l’objet d’une demande d’extradition formulée par la justice rwandaise.

Selon l’acte d’accusation dressé en février 2014 par le procureur général du Rwanda, que Jeune Afrique a pu consulter, Martin Kabalira est recherché pour crimes de génocide et crimes contre l’humanité. En 1994, il aurait notamment « participé à des réunions préparant les tueries des Tutsis » et « participé à établir et contrôler [une] barrière », allant jusqu’à contrôler lui-même les cartes d’identité indiquant l’ethnie de leurs détenteurs. Avec d’autres génocidaires déjà condamnés, il aurait en outre « distribué des machettes aux Interahamwe [miliciens extrémistes hutus, NDLR] » et « dirigé et participé à une attaque au centre de santé de Sovu, où plus de 6 000 civils tutsis furent tués ». Des accusations que l’intéressé avait eu l’occasion de contester lorsque sa présence en France avait été révélée par la revue catholique Golias, en 1999.

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Président du Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), Alain Gauthier revient pour JA sur les lenteurs et réticences de la justice française face au génocide de 1994.

Jeune Afrique : pourquoi les juges français n’ont-ils jamais fait droit aux demandes d’extradition formulées par le Rwanda contre de présumés génocidaires ?

Alain Gauthier : effectivement, aucune demande d’extradition n’a jusqu’ici été suivie d’effet. À quelques reprises, des cours d’appel françaises y ont pourtant donné un avis favorable, mais la Cour de cassation a systématiquement cassé ces arrêts. Après avoir invoqué, à un certaine époque, que les personnes soupçonnées d’implication dans le génocide contre les Tutsis risquaient de ne pas bénéficier d’un procès équitable au Rwanda, la justice française se fonde désormais exclusivement sur le principe de non-rétroactivité des lois. En l’occurrence, sur le fait que la loi organique rwandaise qui définit le crime de génocide est postérieure au génocide lui-même.

Que vous inspire cette jurisprudence ?

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C’est un argument largement contestable car il serait possible de juger ces génocidaires en se fondant sur des conventions internationales dont le Rwanda était signataire avant 1994. Ni Maurice Papon ni Klaus Barbie n’auraient pu être jugés en France si l’on ne s’était pas appuyé sur de tels textes.

Que se passera-t-il si la justice française refuse d’extraderMartin Kabalira ?

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La justice attendra probablement que le CPCR dépose une plainte avec constitution de partie civile, comme on l’a vu dans la plupart des dossiers, et elle ouvrira alors une information judiciaire contre lui. On peut aussi envisager que le Parquet initiera lui-même des poursuites contre Martin Kabalira, comme cela est déjà arrivé dans deux affaires.

Les premières poursuites visant des Rwandais réfugiés en France pour leur participation présumée au génocide datent de 1995. Mais en 20 ans, un seul procès a pu se tenir. La justice française fait-elle preuve de mauvaise volonté ?

On constate effectivement des lenteurs difficiles à justifier. Même s’il faut reconnaître que depuis la création d’un pôle « génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre » au TGI de Paris, les choses ont évolué dans le bon sens. Aujourd’hui, trois juges d’instruction travaillent exclusivement sur ces dossiers. Mais les résultats ne sont pas encore au rendez-vous. Le seul Rwandais déjà jugé, Pascal Simbikangwa, a été condamné à 25 ans de prison en mars 2014. Il a fait appel mais on ne connaît toujours pas la date du second procès.

D’autres procès sont-ils prévus prochainement ?

On nous a annoncé que celui de deux anciens bourgmestres rwandais pourrait se tenir à partir de mai 2016. Mais dans le même temps, la justice française a récemment remis en liberté deux présumés génocidaires. Ces décisions et ces lenteurs sont désespérantes. Le génocide a eu lieu il y a vingt ans, une trentaines d’instructions sont ouvertes au pole génocide mais un seul procès a eu lieu jusqu’ici, dont le verdict n’est toujours pas définitif. La cour d’assises de Paris étant encombrée d’affaires, j’ignore comment la justice française pourra inverser la tendance. Nous avons régulièrement manifesté notre inquiétude à ce sujet.

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