Thierry Tanoh, Ecobank : « Nous devons être les plus rapides et les plus innovants »

À la tête du groupe panafricain depuis octobre, le financier ivoirien fonde sa stratégie sur trois piliers : service aux clients, satisfaction des actionnaires et fierté des employés. Autant d’axes majeurs pour hisser la banque au rang des plus grandes institutions du continent.

Cet Ivoirien né en 1962 détient un MBA de la Harvard Business School. © Jean-Marie Heidinger

Cet Ivoirien né en 1962 détient un MBA de la Harvard Business School. © Jean-Marie Heidinger

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© Vincent Fournier pour JA

Publié le 10 décembre 2012 Lecture : 8 minutes.

Le 23 décembre, un an se sera écoulé depuis l’annonce de la nomination de Thierry Tanoh à la tête d’Ecobank. Auparavant vice-président Afrique subsaharienne, Amérique latine et Europe de l’Ouest de la Société financière internationale (SFI, filiale de la Banque mondiale), l’Ivoirien a pris ses fonctions en juillet. Il était initialement prévu qu’il travaille jusqu’à la fin de l’année avec Arnold Ekpe, son prédécesseur, pour une passation de service harmonieuse, mais celle-ci aura finalement été plus courte. Thierry Tanoh a pris les rênes du groupe panafricain dès le mois d’octobre. Trois mois auront suffi. « J’ai eu l’occasion de mesurer le défi qui m’attend », dit-il.

Après une phase d’expansion rapide qui a permis au groupe d’être actuellement présent dans 32 pays (bientôt 35), une réorganisation de sa structure en deux pôles (banque de proximité d’une part, banque des grandes entreprises et d’investissement de l’autre) puis de son management (nomination de deux directeurs généraux adjoints), Ecobank est à un tournant décisif de son développement. Un tournant qui, s’il est bien négocié, lui permettra de se hisser au rang des plus grandes institutions financières du continent. Car pour l’heure, bien qu’ayant la plus forte présence géographique en Afrique, Ecobank, dont le total de bilan a explosé en 2011 (13,3 milliards d’euros, + 68,4 % sur un an) grâce à l’acquisition d’Oceanic Bank au Nigeria, reste un Petit Poucet par rapport aux mastodontes sud-africains Standard Bank (141,5 milliards d’euros) et Nedbank (61,5 milliards d’euros), ou même au marocain Attijariwafa Bank (30,8 milliards d’euros). Surtout, le groupe affiche un niveau de rentabilité nettement inférieur à celui de ses confrères.

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Profil

o Né en 1962 à Abidjan
o Diplômé de l’Institut national polytechnique (Yamoussoukro) en 1985
o Début de carrière à la Direction et contrôle des grands travaux (Côte d’Ivoire)
o MBA de la Harvard Business School (États-Unis) en 1994
o Nommé vice-président de la SFI en 2008 après quatorze ans au sein de cette institution
o Directeur général d’Ecobank depuis octobre 2012

Autant dire qu’il reste du chemin à parcourir. Thierry Tanoh, 50 ans, en est conscient. De fait, « optimisation de la plateforme », « qualité du service aux clients » ou encore « employeur de référence » sont les maîtres mots de la stratégie qu’il compte mettre en oeuvre.

Jeune Afrique : En décembre 2011, l’annonce de votre départ de la vice-présidence de la SFI a été une surprise. Pourquoi avez-vous choisi de quitter cette institution ?

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Thierry Tanoh : J’ai eu 50 ans en avril 2012. J’ai estimé que c’était un bon âge pour changer de direction. J’ai passé l’essentiel de ma carrière dans le développement et je voulais une institution qui, au-delà du business, ait une vision à long terme optimiste sur l’Afrique. Quand les chasseurs de têtes [du cabinet Korn Ferry, NDLR] m’ont parlé d’un groupe panafricain en forte expansion, cela m’a attiré. J’ai été encore plus intéressé quand j’ai su qu’il s’agissait d’Ecobank, qui offre à un Africain comme moi la possibilité de travailler en Afrique dans un groupe en pleine expansion, avec des collaborateurs voués à la cause et au développement du continent. Je ne pouvais pas rêver de meilleure opportunité pour transiter de la SFI vers le secteur privé. Je suis extrêmement content, mais c’est aussi avec une grande humilité que je prends cette fonction.

La phase d’expansion quasi achevée, il nous reste à optimiser notre plateforme.

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La SFI étant l’un des principaux actionnaires d’Ecobank, cette nomination a été vue comme pouvant créer des conflits d’intérêts…

Cette perception des choses est compréhensible. Mais à la SFI, je n’ai pas du tout été impliqué dans une quelconque négociation ou transaction avec Ecobank. Avant même mes discussions avec le groupe, le comité d’éthique de la SFI a revu mes engagements et a conclu qu’il n’y avait pas de conflit d’intérêts. Par ailleurs, des aménagements ont été apportés pour que je ne me retrouve pas, par exemple, à négocier avec des gens que j’ai nommés.

Quelques mois avant son départ, votre prédécesseur, Arnold Ekpe, a indiqué à Jeune Afrique que c’est vous qui alliez définir la nouvelle stratégie du groupe. Alors, qu’allez-vous changer ?

Arnold et moi, nous avons la même vision à long terme de ce que le groupe doit représenter, c’est-à-dire une banque panafricaine qui réponde aux standards internationaux. Une stratégie a d’autant plus de chances de réussir qu’elle est simple. Nous avons trois piliers majeurs. D’abord le service à nos clients. Du caissier au directeur général, nous allons oeuvrer à fournir un service de qualité, dans des délais compétitifs ; nous voulons que nos clients vivent une expérience qui les incite à nous amener d’autres clients. Ensuite, nous voulons donner à nos actionnaires un bon retour sur investissement. Le troisième pilier, qui est tout aussi important pour nous, c’est d’être l’employeur de référence en Afrique. Il s’agit de faire en sorte que nos équipes soient fières de travailler à Ecobank, un groupe qui leur permet d’avoir une carrière à la fois locale, régionale et panafricaine.

Une partie de votre clientèle juge les services d’Ecobank insuffisants. Comment comptez-vous y remédier ?

Je note vos commentaires, toute institution doit être ouverte à la critique. Nous ne vendons pas des produits de technologie de pointe ayant une exclusivité. De ce fait, il est très important, si on veut se différencier de la concurrence, d’être bon sur le plan du service clients. Il s’agit pour nous d’avoir de manière permanente le souci de leur satisfaction et de contourner les obstacles pour y parvenir. S’il n’y a pas d’électricité, par exemple, il faut trouver une solution… Nous allons mettre en place un système de feedback qui va nous permettre de nous adapter aux besoins des clients.

Début novembre, l’agence de notation Fitch Ratings a pointé la faiblesse de vos fonds propres. Comment comptez-vous résoudre ce problème ?

Si nous arrivons à augmenter la valeur boursière de notre action, cela va automatiquement augmenter la valeur de nos fonds propres. Cela nous donnera aussi plus de capacité à lever des fonds et à financer des opérations d’acquisitions si besoin. C’est un point important de notre stratégie.

Allez-vous augmenter les dividendes ?

Accroître la valeur boursière de notre action n’implique pas forcément une augmentation des dividendes. Mais il est vrai que, dans la sous-région, plus une entreprise a tendance à distribuer des dividendes, plus elle augmente la valeur de ses actions. Il faut avoir une combinaison des deux.

Comptez-vous lever des fonds prochainement ?

Nous sommes en train de finaliser notre budget pour les années à venir, nous allons avoir un conseil d’administration début décembre à l’occasion duquel nous allons présenter notre plan d’action pour l’année 2013.

Après la fin de la phase d’expansion du groupe Ecobank, quelle est la prochaine étape ?

Notre activité en Guinée équatoriale devrait effectivement démarrer dans les semaines à venir, et notre implantation en Angola et au Mozambique est toujours en cours. La grande phase d’expansion touchera ainsi à sa fin. Il nous reste désormais à optimiser notre plateforme. Nous sommes déjà présents dans 32 pays, nous devons profiter de cela pour être les premiers à financer le commerce intra-africain, par exemple. Nous avons beaucoup d’options de produits qui, s’ils sont bien développés et bien vendus, devraient nous permettre d’accroître considérablement nos parts de marché.


Le Nigeria représente aujourd’hui 43 % de vos revenus. C’est forcément une faiblesse pour un groupe qui est implanté dans 32 pays…

Je ne pense pas. Ecobank est un des rares investissements en Afrique qui vous permet d’avoir un portefeuille diversifié. En investissant dans Ecobank, vous investissez dans 32 pays. Qu’il y ait une pondération forte du Nigeria, oui. Mais il reste encore près de 60 % qui sont dans des devises différentes, dans des marchés différents qui ne sont pour certains absolument pas liés. Nous ne nous en contentons pas, nous continuons de travailler pour croître sur les autres marchés. Est-ce que cela vous choque de savoir que l’Afrique du Sud et le Nigeria représentent environ 50 % du PIB subsaharien ? Pourtant c’est une réalité, ce sont les deux plus grandes économies subsahariennes. Je ne pense pas que la taille du Nigeria dans nos revenus soit disproportionnée par rapport aux tailles des économies dans lesquelles nous sommes présents.

On a assisté ces dernières années à l’émergence de groupes bancaires africains. Peut-on dire que les Africains ont trouvé leur propre manière de faire de la banque ?

Faire de la banque en Afrique, c’est tenir compte de l’environnement dans lequel nous évoluons, c’est-à-dire dans lequel l’accès à l’information n’est pas aussi facile que dans d’autres pays. De ce fait, une adaptation des services est primordiale. Le succès du mobile banking est un exemple. Désormais, pour exister, il faut être plus rapide que les autres dans le service aux clients. Il va falloir mettre en place des systèmes d’information qui nous permettent de prendre les décisions appropriées au moment où il faut.

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Malgré le succès des banques africaines, les services aux particuliers sont très peu développés, les taux de bancarisation désespérément bas, les PME peu financées…

Ecobank prête au niveau tant des entreprises que des particuliers. Cela étant, il y a des domaines dans lesquels on pourrait faire mieux, dans le crédit immobilier par exemple. C’est quelque chose sur lequel nous travaillons. Il faut trouver des ressources à long terme pour pouvoir accorder ce type de crédits. Dans ce contexte, il nous faut être innovants et travailler, par exemple, en partenariat avec des secteurs qui sont demandeurs de produits financiers à long terme, tels que les assurances.

Les ressources à long terme constituent donc le principal obstacle ?

L’environnement juridique compte aussi. Par exemple, est-ce que les titres fonciers sont fiables ? Il y a des pays où une même propriété a trois à quatre titres fonciers. La fiabilité du système de cadastre et celle du système judiciaire en général sont des éléments importants pour permettre aux banques d’exercer dans la sûreté. Ces trois dernières années, il y a certains pays où aucune banque n’a gagné de procès.

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