Samna Daouda : « Barreau Ohada, ce que nous proposons »
Samna Soumana Daouda, bâtonnier de l’Ordre des avocats du Niger, réagit à la vive polémique qui agite les avocats africains depuis une dizaine de jours. Et plaide pour la création d’une conférence des barreaux Ohada, sans ingérence extérieure.
Une semaine après la présentation avortée par le bâtonnier de Paris d’un projet de création de barreau Ohada (un rassemblement sous forme d’association de tous les avocats Ohada), la polémique retombe à peine. Dans un communiqué diffusé sur le site de l’Ordre des avocats de Paris, Pierre-Olivier Sur a affirmé « regretter vivement la polémique déclenchée par son soutien au projet de création d’un Barreau Ohada » et rappeler, comme il l’avait fait la semaine dernière dans une interview à Jeune Afrique, qu’il ne s’agissait pas d’un projet du barreau de Paris.
Très surpris comme plusieurs de ses confrères par la manière (l’ordre des avocats de Paris a envoyé par mail le 8 juin des projets de statuts et une charte éthique pour ce futur barreau Ohada), le bâtonnier de l’ordre des avocats du Niger, Samna Soumana Daouda, a tenu à prendre la parole publiquement.
Dès le 9 juin, il avait estimé dans un courriel privé adressé à l’ordre des avocats de Paris qu’il « ne revient sûrement pas au barreau de Paris de porter un projet de la création d’un barreau Ohada regroupant tous les barreaux de l Ohada et d une Carpa dans notre espace. Une telle démarche ne peut se faire sans concertation de nos barreaux. »
Il rappelle aujourd’hui les projets d’intégration déjà menés par les avocats ouest-africains et plaide pour la création d’une conférence des barreaux au niveau de l’Ohada.
Propos recueillis par Frédéric Maury
Jeune Afrique : Le bâtonnier de Paris, Pierre-Olivier Sur, a affirmé dans une interview qu’il nous a accordée que vous étiez au courant du projet de création d’un barreau Ohada, projet dont vous auriez été informés à l’occasion du 25ème anniversaire du barreau du Burkina et de Campus Mali. Étiez-vous réellement au courant ?
Mais cette question a-t-elle été débattue à Ouagadougou ?
La question du barreau Ohada n’a pas été évoquée à Ouagadougou au cours de ce dîner. Je suis formel.
Pierre-Olivier Sur dit également que ce projet n’est pas celui du barreau de Paris mais qu’il a été initié par le président de la Cour commune de justice et d’arbitrage (CCJA). Que répondez-vous ?
Je ne pense pas que la création d’un barreau rentre dans les attributions de la Cour Commune de Justice de l’Ohada ou de son président. Et même si c’en était le cas, je ne pense pas que le bâtonnier de Paris serait le premier interlocuteur approprié de ce président, qui avait eu l’opportunité en octobre dernier d’avoir à Abidjan tous les bâtonniers et les présidents des chambres de notaires de l’espace. Même là, cette question n’avait pas été évoquée.
Mieux, créer un barreau Ohada induirait inéluctablement une modification de certaines dispositions du règlement de procédure de la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage ; notamment l’article 23. Les initiateurs du projet avaient-ils vraiment réfléchi aux conséquences ? J’en doute !
Les réactions des avocats africains, dénonçant une forme de colonialisme juridique et manifestant, ne sont-elles pas disproportionnées ?
Je comprends bien l’émoi provoqué par une telle initiative et aussi l’indignation de bon nombre de confrères dont certains aînés comme le Bâtonnier Robert Dossou, contre un projet envisageant la création d’un barreau qui regrouperait tous nos barreaux et qui serait constitué sous forme d’une association, donc soumis à un agrément avec sûrement comme irréductible conséquence la possible remise en cause de l’indépendance de notre profession.
Indépendance à laquelle nous sommes et restons tous fermement attachés.
Cependant, le bâtonnier Pierre-Olivier Sur s’est expliqué à travers non seulement des correspondances mais aussi de coups de fil; et il a regretté que cette initiative ait été ainsi perçue.
Il faut alors considérer que le barreau de Paris laissera la liberté à nos barreaux de choisir la forme et les modalités de notre intégration au sein de notre espace Ohada.
Sur le fond, soutenez-vous ou pas la création d’un barreau Ohada ?
Pour ma part, me fondant sur l’expérience de nos barreaux, je pense que la création d’une conférence des barreaux de l’espace Ohada serait mieux indiquée que la création d’un barreau. Regardez l’exemple de la Cour européenne : il n’y a pas un barreau à Strasbourg.
Mieux, l’espace Ohada n’est pas exclusivement constitué de pays francophones, nous avons la Guinée Bissau et la Guinée Equatoriale. Les règles régissant nos professions ne sont pas toujours identiques. Il faut en tenir compte.
Par ailleurs, nous avons déjà des exemples d’intégration de nos barreaux.
Pour la Cour de Justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), nous avons créé le WABA, le West African Bar Association. Pour l’Union économique et monétaire ouest-africaine, la Conférence des Barreaux de l’UEMOA. Et les barreaux de la Communauté Économique et Monétaire des États de l’Afrique Centrale (Cemac) sont à pied d’œuvre aussi pour une intégration régionale au niveau de leur zone.
Je pencherai alors plus pour la création d’une Conférence des Barreaux des Pays Membres de l’Ohada.
Mais encore une fois, nous sommes en train de nous concerter en interne d’abord sur ces questions et je suis convaincu qu’avec les autres bâtonniers, nous trouverons la forme appropriée sans ingérence aucune. Nous y tenons !
Les avocats de la zone ne sont donc pas restés inactifs en matière d’intégration juridique…
Bien au delà de l’intégration régionale, nos barreaux sont dans leur immense majorité membres de la Conférence internationale des barreaux (CIB) de tradition juridique commune regroupant les barreaux francophones. Nos barreaux n’ont jamais été fermés à l’extérieur. Et je me dois de saluer la position clairement exprimée dans le cadre de cet incident par le secrétaire général de la CIB, le Bâtonnier Vatier (ancien bâtonnier du Barreau de Paris) mais aussi celle du Conseil national des barreaux français.
Ces positions nous rassurent et nous confortent.
Quel pourrait être le rôle des avocats français, dont on sait – malgré la polémique actuelle – qu’ils ont grandement contribué à la naissance et à la vie du droit Ohada ?
Nous ne dénions pas leur expertise mais nous sommes mieux que quiconque à même de dire quelle forme d’intégration nous voulons.
Au delà des barreaux français, bon nombre de juristes français contribuent à la vie du droit Ohada et les barreaux français dont celui de Paris ont toujours été aux côtés de nos barreaux et cet incident ne peut ternir la qualité et la vitalité de nos échanges avec ces barreaux.
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