Tel Sisyphe, Mohamadou Bayero Fadil tente de relancer l’empire familial

Concentration, diversification, restructuration… À la tête du Groupe Fadil depuis vingt-six ans, ce Camerounais peine à le maintenir à flot. Au point de préparer sa reconversion ?

Au sein de la fratrie, le management de Mohamadou Bayero Fadil ne fait pas l’unanimité. © Fernand Kuissu

Au sein de la fratrie, le management de Mohamadou Bayero Fadil ne fait pas l’unanimité. © Fernand Kuissu

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Publié le 31 mai 2015 Lecture : 5 minutes.

La catastrophe a été évitée de justesse. Le 21 avril, alors que le Complexe chimique camerounais (CCC), entreprise du Groupe Fadil, était menacé par la saisie suivie de la vente aux enchères de certains de ses équipements dès le lendemain, Oumarou Fadil, son directeur général, a annoncé aux employés inquiets le report de l’opération à une date ultérieure.

Le patron camerounais a semble-t-il trouvé un terrain d’entente avec la Société de recouvrement des créances du Cameroun, qui cherche à récupérer plus de 600 millions de F CFA (près de 915 000 euros) de prêts accordés au groupe industriel dans les années 1980 par l’ex-Banque internationale pour l’Afrique occidentale (BIAO). Un soulagement pour son aîné, Mohamadou Bayero Fadil, président du groupe familial. Les deux frères se montrent peu diserts sur les termes du protocole d’accord, mais, d’après nos informations, le compromis porte sur la cession d’un hectare de terrain dans la zone industrielle de Bassa, à Douala.

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Pour Mohamadou Bayero Fadil, cette mésaventure vient chasser une bonne nouvelle, survenue quelques semaines plus tôt, pour l’un des plus importants empires industriels du Cameroun, qu’il tente de remettre à flot. Le 2 mars, il paraphait avec le français Accor une convention pour faire passer l’hôtel Méridien de Douala, propriété de la Société nouvelle des cocotiers (SNC, détenue par le Groupe Fadil), gérée jusqu’ici par l’américain Starwood Hotels & Resorts, sous la marque Pullman. « Nous avions l’occasion de réviser notre contrat de gestion. Mais nous nous sommes dit que nous pouvions explorer d’autres opportunités pour fidéliser une clientèle de plus en plus exigeante et pour consolider notre place de leader dans ce secteur », explique-t-il.

Ce changement de partenaire lui procure à tout le moins une bouffée d’oxygène. En effet, le groupe français apporte le financement nécessaire (dont le montant n’est pas divulgué) à la rénovation de cet établissement, qui a grand besoin d’une cure de jouvence, et à la construction d’hôtels Pullman à Yaoundé et dans d’autres localités du pays.

Bagage

C’est un joli coup pour cet héritier formé à l’université de Georgetown et à l’Institut polytechnique de New York, aux États-Unis. Deuxième fils du fondateur du groupe, El Hadj Fadil Abdoulaye Hassoumi, Mohamadou en a pris les rênes après son décès, en 1993. Une responsabilité à laquelle le prédisposait son important bagage en organisation industrielle et en économie. Depuis 1989, il était d’ailleurs directeur général du CCC, après avoir été formé aux subtilités du management par le dernier expatrié à avoir dirigé l’entreprise, le Chypriote Harry Saveriades.

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Dès son arrivée à la tête du business familial, il regroupe toutes les entreprises sous une même entité : CCC, SNC (hôtellerie), Selcam (sel), Société industrielle et chimique de Tiko (SICT, savonnerie), Compagnie pastorale africaine (CPA, élevage), Socaprod (boissons gazeuses, notamment Pepsi), ainsi qu’une importante réserve foncière et des immeubles en exploitation au Cameroun et à l’étranger. Ainsi naît le Groupe Fadil, dont il étend les frontières jusque dans la communication (EMG), la distribution (SDG), le transit (Catrans), les produits laitiers (Milco) et l’agriculture (CAIC).

Mais cette diversification tous azimuts ne produit pas les résultats escomptés, et le groupe voit sa croissance ralentir en 1997. Mohamadou Bayero Fadil se rapproche alors de Paul Soppo Priso, tycoon vieillissant détenteur du monopole de la distribution de la marque Pepsi dans le sud du Cameroun, pour obtenir une exclusivité à l’échelle nationale, voire sous-régionale. La multinationale américaine est prête à suivre, et se propose de mettre 20 millions de dollars (l’équivalent d’environ 17 millions d’euros à l’époque) sur la table pour les accompagner. Mais l’incertitude politique liée à l’élection présidentielle au Cameroun finit par dissuader les Américains. Fadil accuse le coup, mais se console en convolant en secondes noces avec l’une des filles du dictateur nigérian Sani Abacha.

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Dans la foulée, il entreprend une concentration horizontale en rachetant les parts de la Société nationale d’investissement (SNI) dans la Société des palmeraies de la ferme suisse (production d’huile de palme) et tente par la suite une OPA pour en devenir l’actionnaire majoritaire. La manoeuvre se heurte à l’hostilité des actionnaires français et coûte plus de 800 millions de F CFA. L’essentiel des fonds provient du CCC, sujet alors à des tensions de trésorerie et à des difficultés d’approvisionnement à la suite d’une brouille avec la Société camerounaise des palmeraies (Socapalm), le plus grand producteur d’huile de palme du pays.

Mamadou Bayero Fadil - Parcours © DR

Mamadou Bayero Fadil - Parcours © DR

Facebook

Aujourd’hui, à 55 ans, ce Peul musulman, féru de nouvelles technologies – il n’hésite pas à s’exposer sur Facebook -, tente tant bien que mal de relancer un groupe qui, selon lui, réalise plus de 30 milliards de F CFA de chiffre d’affaires et emploie près de 1 400 personnes. Des chiffres dont doutent certains de ses proches.

Car le périmètre industriel initial tracé par le père s’est rétréci avec la disparition de SICT, de Socaprod et de Selcam, du fait de la concurrence nigériane. Joyau de la couronne Fadil, le CCC, qui pèse plus de la moitié des revenus du groupe, a quant à lui subi les arrêts de la raffinerie d’huile, de la détergenterie et de l’unité de lipochimie (glycérine). « Nous produisons moins de 500 tonnes mensuelles de savon, pour une capacité optimale de 3 000 t. À cause essentiellement des difficultés d’approvisionnement en huile de palme », souligne un cadre qui accuse déjà sept mois d’arriérés de salaire.

En outre, la gestion de Mohamadou ne fait pas toujours l’unanimité au sein de la fratrie Fadil, composée d’une trentaine d’enfants. « Certains l’accusent de favoriser ses frères du même lit en les plaçant à des postes stratégiques ou en les nommant à la tête des entreprises existantes », lâche un proche de la famille. Il y a quelques années, à l’hebdomadaire L’oeil du Sahel, qui l’accusait de « s’être rempli les poches », l’intéressé avait répondu ceci : « Comme toute succession qui se respecte, celle de Fadil soulève en son sein des agitations stériles entretenues par des irresponsables tapis dans l’ombre, aux ambitions inavouées. » Une allusion à peine voilée à son frère, Aliyoum Fadil, député du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, au pouvoir).

Fier

Ces critiques ne semblent pas ébranler Mohamadou Bayero Fadil, lui-même sénateur suppléant de la région du Nord, également encarté RDPC. « Je suis fier de porter haut le nom de Fadil après trente ans à la tête du groupe », clame-t-il. Optimiste, ce père de onze enfants voit l’avenir du groupe en rose : « Une fois la restructuration terminée, nous espérons atteindre en trois ans un chiffre d’affaires de 100 milliards de F CFA. » Il envisage également l’introduction du CCC au Douala Stock Exchange.

En attendant la concrétisation de ces objectifs, Mohamadou Bayero Fadil, qui assure la présidence du conseil d’administration de l’Agence des normes et de la qualité, s’est lancé dans le « lobbying économique ». Depuis trois ans, il joue les facilitateurs auprès des autorités camerounaises pour le compte du qatari Haba Business Group, qui envisage de construire un aéroport au Cameroun, et le consortium turco-allemand Knauf-Prekons, intéressé par le logement social à Douala et à Yaoundé. Une reconversion assumée…

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