Axel de Ville (ONU) : « En Afrique, les politiques économiques sont inadaptées aux femmes »
Publié le 8 juin, le dernier rapport de l’ONU-Femmes, intitulé « Transformer les économies, réaliser les droits », dresse un tableau accablant de l’inégalité des sexes sur le continent. Axel de Ville, directeur régional adjoint de l’organisation pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre, explique pourquoi cette situation est structurelle.
Les inégalités entre femmes et hommes dans le monde sont toujours aussi criantes. C’est le constat, accablant bien qu’attendu, du dernier rapport de l’ONU-Femmes, intitulé « Transformer les économies, réaliser les droits », publié le 8 juin. En 2015, « dans toutes les régions du monde, les femmes travaillent plus que les hommes : elles fournissent au moins deux fois plus de soins et accomplissent deux fois plus de travaux domestiques non rémunérés que les hommes, et dans presque tous les pays, si l’on considère le travail rémunéré et non rémunéré, les femmes travaillent de plus longues heures que les hommes chaque jour », explique les experts de l’agence onusienne, qui ajoutent que les femmes sont pourtant beaucoup moins payés que leurs homologues masculins.
En Afrique subsaharienne, par exemple, les femmes gagnent en moyenne 30 % de moins que les hommes, contre 19 % en Amérique latine et 14% au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Axel de Ville, directeur régional adjoint d’ONU Femmes en Afrique de l’Ouest et du Centre, explique à Jeune Afrique l’urgence de la situation et l’approche utilisée pour cette nouvelle étude.
Jeune Afrique : Votre nouveau rapport est intitulé, « Transformer les économies, réaliser les droits ». Est-ce à dire que les économies actuelles sont inadaptées aux femmes ?
Axel de Ville : Tout à fait. Aujourd’hui lorsqu’on – les acteurs nationaux ou internationaux – parle d’ « économie », on sous-entend le plus souvent l’économie réelle, formelle. Or, en Afrique, 89% des emplois des femmes sont informels. Il y a donc souvent un problème d’adéquation entre les politiques économiques mises en place et la réalité, sur le terrain. Un exemple : l’Organisation internationale du travail (OIT) recommande 14 semaines de congés maternité payés. Aujourd’hui, 22 pays d’Afrique subsaharienne répondent à ce critère et ont une législation pour mettre en place cette recommandation. Mais cela ne s’applique qu’aux 10 à 15% de femmes qui ont un travail dans le secteur formel. Toutes les autres passent à côté de cette législation.
On ne pourra pas passer à côté de la formalisation de l’économie.
Comment faire en sorte que cette économie informelle soit mieux prise en compte par les Etats ?
Nous proposons une nouvelle dynamique économique. Il faut transformer l’emploi informel, en combinant véritable politique sociale (allocations familiales, pensions, etc…) et politiques économiques. Dans ce rapport, nous proposons dix champs d’actions principaux. L’un de ceux-ci consiste à « reconnaître, réduire et redistribuer les services de soins et les travaux domestiques non rémunérés ». Un exemple dans ce domaine : historiquement, les femmes sont responsables de l’eau. Elles consacrent donc un temps fou, surtout en milieu rural, à aller collecter l’eau. Un temps qu’elles ne consacrent donc pas aux activités dites économiques. À partir du moment où on prend une décision politique visant à favoriser l’accès à l’eau dans tous les ménages, l’impact sur la place des femmes dans l’économie formelle est énorme. Pour rendre les femmes plus proactives, il faut donc améliorer l’accès à l’eau, au bois de feu, mais aussi aux soins. Il faut aussi, et de manière urgente créer beaucoup plus d’emplois formels en faveur des femmes, et adaptés à leurs situations, pour rétablir l’équilibre.
Vous recommandez notamment la création d’un salaire minimum dans le secteur informel. Est-ce possible, concrètement ?
Oui c’est possible. Certains pays dans le monde ont par exemple mis en place le principe d’une allocation de base, à fournir aux familles pauvres, comme au Brésil. C’est aux États de légiférer sur ce sujet. Ce qu’il faut bien dire c’est qu’on ne pourra pas passer à côté de la formalisation de l’économie. Il le faut. Cautionner cette dynamique actuelle de l’emploi informel, c’est avoir une vision à court terme, qui ne conduira jamais à la construction de véritables économies. Et c’est inacceptable.
En Afrique subsaharienne, y-a-t-il, malgré tout, des pays qui avancent sur cette problématique d’inégalité entre hommes et femmes ?
Il y a des initiatives ici et là, des mesures socio-économiques qui tentent de rééquilibrer les choses. Au Bénin, en Côte d’Ivoire, au Niger et au Togo, par exemple, il existe des lois qui prévoient une égalité salariale et qui interdisent la discrimination et le harcèlement sexuel au travail. Ce sont des pays qui ont fait un premier pas. Au Mali, au Sénégal et au Ghana, il y a aussi des programmes de subventions d’achat de graines et d’engrais. Quand on sait que l’agriculture représente plus de 60 % de l’emploi des femmes en Afrique, on peut imaginer que ces mesures ont un impact positif.
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