Jean-Pierre Elong-Mbassi : « Il faut que les Africains comprennent que gouverner c’est prévoir ! »
Pour le secrétaire général de Cités et gouvernements locaux unis d’Afrique, les villes et les collectivités territoriales jouent un rôle central dans la croissance du continent.
Urbanisme : des villes et des hommes
Secrétaire général de Cités et gouvernements locaux unis d’Afrique (CGLUA), la branche africaine du réseau mondial des villes et collectivités locales (lire l’encadré), Jean-Pierre Elong-Mbassi s’investit depuis quarante ans pour faire avancer le développement urbain et l’aménagement du territoire sur le continent. L’urbaniste camerounais supervise pour CGLUA l’organisation des sommets Africités depuis leur création en 1998.
Jeune Afrique : Le thème du sommet Africités de Dakar est « Construire l’Afrique à partir de ses territoires ». À quoi faites-vous référence ?
Jean-Pierre Elong-Mbassi : L’unité du continent figure en tête des priorités de son agenda politique depuis 1963, mais force est de constater que la dynamique d’intégration est restée au niveau des États et que les populations n’ont pas vraiment été prises en compte.
Construire l’Afrique à partir de ses territoires revient à corriger cette tendance, à concevoir et à mettre en pratique une vision de son intégration qui prenne racine dans les réalités vécues par les populations. Il s’agit de déplacer la conception de l’unité du continent d’une Afrique des États-nations vers une Afrique des peuples.
Vous allez également revenir sur la place des collectivités locales. Quelle est leur situation actuelle et ont-elles les moyens de mener leurs propres politiques de développement ?
Un sommet peut en cacher un autre
Après Abidjan, Windhoek, Yaoundé, Nairobi et Marrakech, c’est, pour sa sixième édition, au tour de Dakar d’être l’hôte du sommet panafricain des villes et collectivités, Africités, et de son salon d’affaires, Citexpo, du 4 au 8 décembre. Organisées tous les trois ans par Cités et gouvernements locaux unis d’Afrique (CGLUA), branche du réseau mondial des villes, gouvernements locaux et régionaux CGLU, ces journées devraient accueillir environ 5 000 participants – chefs d’État, ministres, élus locaux, acteurs économiques, partenaires internationaux, etc. Quelque 500 élus municipaux et régionaux du monde entier les rejoindront pour assister au conseil annuel de CGLU, exceptionnellement organisé en même temps qu’Africités. De quoi mettre le mouvement à l’heure du continent, qui recevra en octobre 2013, pour la première fois, le congrès mondial du réseau. Et c’est Rabat, la capitale marocaine, qui a été choisie pour héberger ce grand rendez-vous des villes du monde. Cécile Manciaux
Seuls 40 % des Africains relèvent aujourd’hui d’une collectivité locale. Celles-ci sont devenues des acteurs émergents, toujours plus présents dans les institutions publiques, mais pas encore prépondérants. La décentralisation administrative et politique a progressé, avec des collectivités dotées de conseils démocratiquement élus, mais la décentralisation financière a du mal à s’imposer. Les États sont réticents à partager les ressources publiques, notamment dans le domaine fiscal, et les collectivités ne jouissent pas encore d’une véritable autonomie de décision dans la gestion des affaires locales. D’où la nécessité d’un meilleur partage des ressources publiques entre l’État et lesdites collectivités, pour que ces dernières disposent des moyens d’exécuter les missions reconnues par les lois de décentralisation.
Comment répondre aux besoins de villes en croissance permanente et quel peut être l’exemple à suivre pour les « mégacités » du continent ?
Il faut que les Africains comprennent que gouverner c’est prévoir ! New York a été construit en 1860 selon un plan qui est toujours d’actualité aujourd’hui. Nous devons faire la même chose. Nous savons que les villes vont doubler dans vingt ans, il faut donc nous y préparer dès aujourd’hui.
La plupart des cités africaines s’accroissent par addition de quartiers bâtis par les habitants eux-mêmes, et je ressens toujours un grand malaise quand, par manque de planification, les autorités publiques font déguerpir les populations pour faire passer une route ou bâtir des équipements structurants. Laisser faire pour ensuite détruire est à la fois regrettable et tout à fait antiéconomique. L’ordre urbain est donc le premier cadeau que nous puissions offrir aux citadins. Il est de la responsabilité des autorités de planifier et d’orienter l’occupation des sols. C’est ce qui s’est passé à Abidjan, dont le développement a été organisé autour de quartiers disposant d’un mini-centre doté d’un minimum d’équipements et de commerces pour que les habitants n’aient pas besoin d’aller dans le centre-ville. C’est peut-être une piste dont nous pourrions nous inspirer.
Laisser faire pour ensuite détruire est aussi regrettable qu’antiéconomique.
En plus de leur poids économique prépondérant, quel rôle doivent tenir les villes dans le développement du continent ?
Aujourd’hui, le continent est la région du monde qui s’urbanise le plus rapidement. Sa population sera majoritairement urbaine dans trente ans. Il est donc permis de dire qu’en dehors des villes point de salut en Afrique ! Contribuant déjà pour plus de deux tiers au PIB des pays africains, ces dernières jouent également un rôle majeur dans l’organisation de l’économie mondialisée, autour du réseau de villes globales défini par la sociologue américaine Saskia Sassen.
Les trois plus grandes métropoles africaines, Le Caire, Lagos et Johannesburg, font partie de ce réseau et forment l’armature urbaine supérieure du continent, soutenue par une quinzaine d’autres villes qui structurent les cinq sous-régions. De la densité des relations entre ces métropoles de niveau supérieur dépendront le rythme et la qualité de l’intégration de l’Afrique à l’économie mondiale.
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Urbanisme : des villes et des hommes
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