Énergie solaire : en Afrique, les multinationales s’enflamment pour les mini-réseaux
Désormais alimentés à l’énergie solaire, les mini-grids éclairent les villages les plus reculés. Un marché dominé par de grands groupes, seuls capables de répondre à leurs défis techniques et financiers.
Énergie : très chère électricité
Trois fois plus qu’en Asie : le consommateur africain paie en moyenne 14 cents de dollars (13 centimes d’euros) son kilowattheure, quand celui d’Asie du Sud paie seulement 4 cents. Conséquence : une famille résidant dans une grande ville d’Afrique consacre environ 30 % de ses revenus à l’énergie.
En Afrique subsaharienne, moins de 10 % des 600 millions d’habitants des zones rurales ont accès à l’électricité. À l’heure où l’énergie s’impose comme une priorité pour la plupart des États, la transporter jusque dans ces régions isolées représente d’énormes investissements, peu rentables et trop lourds à supporter pour les sociétés publiques, aux finances souvent fragiles. Que faire ?
« Décentraliser l’énergie », répondent à l’unanimité les professionnels du secteur, en construisant des mini-réseaux (appelés aussi mini-grids), dimensionnés à l’échelle d’un ou plusieurs villages et alimentés par un site de production qui leur est consacré. « C’est une formidable opportunité qui répond aux besoins du continent, tout comme l’a été le déploiement de la téléphonie mobile via les relais GSM », s’enthousiasme Jean-Michel Huet, directeur associé chez BearingPoint et auteur d’une étude sur la question.
Selon le cabinet de conseil, les mini-réseaux représentent « un marché considérable » en Afrique mais aujourd’hui difficile à chiffrer. Car la révolution est encore balbutiante : moins d’une centaine d’installations sont en activité, et encore au stade de l’expérimentation. Y compris les premiers projets d’Électricité de France (EDF) au Mali, pourtant lancés il y a plus de dix ans.
Boom
Du Maroc à l’Afrique du Sud, les chantiers se multiplient, preuve de l’intérêt des industriels pour ce nouveau marché. Et notamment des poids lourds comme Schneider Electric. « Il ne s’agit pas d’un épiphénomène, il y a vraiment un boom de la demande pour ces microréseaux, alors qu’ils n’étaient pas du tout d’actualité quand nous avons commencé il y a cinq ans », souligne Joël Lelostec, directeur commercial développement durable du groupe européen, qui travaille sur son programme d’accès à l’énergie.
Au départ, Schneider Electric proposait essentiellement des solutions individuelles comme les lanternes solaires ou les solar home systems, qui permettent à un foyer de s’éclairer et de recharger les téléphones portables. Mais ces installations, qui connaissent un essor important sur le continent, ont un impact limité en termes d’usages et de développement, contrairement aux mini-réseaux.
Quand on électrifie toute une communauté, elle devient plus attrayante
« Quand on électrifie toute une communauté, elle devient plus attrayante. L’accès à l’énergie permet d’éclairer un centre de santé – les femmes n’accouchent alors plus dans le noir -, d’alimenter des frigos pour les vaccins, d’équiper les écoles, voire d’installer un éclairage extérieur, qui offre une certaine sécurité. Tout cela favorise également le développement d’activités génératrices de revenus », détaille Joël Lelostec. Un mini-réseau touche en moyenne une centaine de foyers, soit un peu moins de 1 000 personnes.
Mais Schneider Electric a développé des solutions à plus grande échelle : au Nigeria, où le groupe a déjà réalisé une vingtaine de projets, jusqu’à 10 000 personnes peuvent avoir accès à l’électricité sur un seul site. Quant à EDF, il a équipé 100 000 habitants de mini-réseaux dans une vingtaine de villages du sud-ouest du Mali, via sa société Korayé Kurumba, pour un investissement total de 3,82 millions d’euros.
Mais quelle source d’énergie utilisent ces industriels ? C’est là toute la nouveauté. En réalité, le principe du réseau isolé existe depuis longtemps en Afrique, alimenté par des générateurs diesel. « Ceux-ci représentent 98 % des mini-grids existants, et coûtent extrêmement cher aux opérateurs publics qui les ont mis en place », rappelle Christian de Gromard, spécialiste de l’énergie à l’Agence française de développement (AFD), citant des exemples au Kenya et au Burkina Faso.
Ils sont désormais concurrencés par les énergies renouvelables, et particulièrement le solaire. Dans beaucoup de zones rurales, cette énergie est la plus compétitive sur le long terme. Certes, l’investissement de départ dépasse largement les quelques centaines d’euros que représente l’acquisition d’un générateur. Mais le combustible est par nature gratuit, alors que le prix du diesel a flambé ces dernières années.
Ironie
Pour un projet non subventionné dans une zone isolée du Tchad, le coût de revient de l’électricité produite à partir du diesel s’établit par exemple à 70 centimes d’euros, contre 40 centimes environ pour l’énergie solaire. Si l’éolien offre des tarifs à peu près aussi compétitifs dans ce pays, la maintenance et l’approvisionnement en matériel sont plus complexes. Quant au petit hydraulique, il n’est pas forcément situé près des lieux de consommation et son amortissement s’étale sur plusieurs dizaines d’années.
Le solaire, comme l’éolien, souffre cependant de son intermittence. Ironie du sort, les industriels pensent avoir trouvé la solution optimale en l’associant au… diesel. Au Kenya, une vingtaine de communautés électrifiées au gazole sont en train d’être converties en un système hybride, qui réduira considérablement la facture pour l’opérateur, le distributeur public Kenya Power.
Les panneaux solaires délivrent leur électricité à bas coût le jour (au maximum, ils peuvent assurer environ 80 % de la consommation annuelle) et les générateurs diesel prennent le relais la nuit et lors des pics de consommation, notamment le matin. « C’est aujourd’hui la solution privilégiée. Pour répondre à ces pointes journalières uniquement avec l’énergie solaire, il faudrait surcalibrer les fermes et la capacité des batteries, ce qui serait beaucoup moins rentable », explique Joël Lelostec, de Schneider Electric.
Incidents
L’hybride permet également de juguler un problème spécifique aux mini-réseaux : ils sont plus sensibles aux variations de quantité du courant et tombent plus facilement en panne. Car si la taille de ces installations est modeste, leur gestion n’en est pas moins complexe. « Dès lors qu’on met un réseau en place, il faut avoir des électriciens correctement formés, explique Édouard Dahomé, le directeur Afrique d’EDF.
Les ONG ou de petites entités peuvent avoir du mal à gérer certains incidents. » Si les grands groupes sont prédominants sur ce créneau, c’est parce qu’ils peuvent pallier ces difficultés techniques. Mais aussi parce qu’ils sont les seuls à pouvoir supporter les importants risques financiers liés à ces projets. « Dans ces systèmes décentralisés, personne ne prend le risque à la place de l’opérateur. Il n’y a le plus souvent ni banques pour financer les investissements, ni contrat avec l’État pour le rachat de l’électricité produite.
Dans ces systèmes décentralisés, personne ne prend le risque à la place de l’opérateur.
Le retour sur investissement dépend de la capacité de l’opérateur à se faire payer », ajoute Édouard Dahomé, qui vise l’équilibre financier sur ces installations. Dans les villages du Sud-Ouest malien, le forfait pour quatre prises de courant démarre par exemple à 2 500 F CFA (près de 4 euros) par mois après un raccordement à 17 500 F CFA (EDF n’a pas communiqué son coût de revient).
Dans ce contexte risqué, les réseaux isolés ne représentent qu’une partie de la solution pour les zones rurales africaines, insiste Christian de Gromard, de l’AFD : « Les mini-grids s’adressent à de petits centres urbains, assez denses, qui ne sont pas connectés et qui ne le seront pas prochainement, afin d’assurer leur rentabilité. » En effet, les villages pour lesquels une extension du réseau national est prévue d’ici moins de dix ans sont rendus inéligibles. Que les lignes électriques arrivent comme annoncé, ou pas.
Les lampes solaires, abordables mais pas toujours fiables
Les solutions individuelles solaires connaissent un certain succès sur le continent. Elles vont des microlampes et des lanternes solaires, dont le prix varie de 10 à 100 dollars, aux kits solaires (solar home system), plus coûteux mais qui permettent d’alimenter une maison et de charger des téléphones, voire de faire fonctionner une télévision.
De nombreuses entreprises, start-up et géants du secteur, se sont lancées sur ce créneau. À travers sa filiale sudafricaine KES, Total a ainsi installé quelque 20000 kits photovoltaïques dans les régions du Kwazulu-Natal et du Cap-Oriental. En tout, plus de 5 millions d’unités solaires de qualité ont été vendues sur le continent, permettant l’éclairage de 10 millions de personnes, dans le cadre du programme Lighting Africa de la Banque mondiale et de la Société financière internationale (IFC), qui certifie la qualité des produits. Un point clé car ces solutions, abordables pour des ménages qui pouvaient jusqu’alors dépenser de fortes sommes en kérosène pour s’éclairer, sont souvent pointées du doigt pour leur mauvaise qualité.
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