Cacao, la troisième voie
Après avoir testé le dirigisme puis la libéralisation totale, l’État opte pour le système de prix minimum garanti. Objectifs : augmenter les revenus des planteurs et, partant, améliorer la qualité de la production.
Après la pluie vient le beau temps. Au propre comme au figuré, l’adage peut s’appliquer à la filière cacao ivoirienne, qui voit ces derniers mois le ciel se dégager. Le déluge qui s’est abattu sur les plantations jusqu’au premier jour de la campagne de commercialisation, lancée officiellement le 3 octobre, a fait craindre le pire, même si les spécialistes sont habitués aux discours traditionnellement alarmistes de septembre. « Les prévisions de production sont toujours annoncées à la baisse pour faire remonter les cours », confirme un consultant. Ainsi, à Londres, la tonne de fèves a culminé à 1 716 livres sterling (2 169 euros) le 6 septembre, avant de se stabiliser autour de 1 550 livres (environ 1 940 euros) ces dernières semaines.
Le retour du soleil n’a pourtant pas balayé toutes les incertitudes qui planent sur un secteur une nouvelle fois en pleine réorganisation. « Il est encore difficile de dresser un premier bilan sur le terrain, mais jusqu’ici tout semble bien se passer », constate Adama Touré, agroéconomiste à la Banque mondiale. L’institution est, avec le Fonds monétaire international (FMI), la grande ordonnatrice de la réforme lancée par l’État ivoirien il y a bientôt un an et dont l’objectif principal est d’assurer une meilleure rémunération aux paysans. Après avoir soutenu la libéralisation de la filière au tournant des années 2000, les deux bailleurs ont revu leur stratégie face au manque de transparence et au « siphonnage des ressources réalisé par quelques potentats au détriment des planteurs et de l’ensemble de l’économie nationale », selon un document interne de la Banque mondiale daté de fin 2011.
Les institutions de Bretton Woods ont même fait du retour des pouvoirs publics dans la gestion du cacao une condition essentielle à l’annulation de la dette ivoirienne, matérialisée par l’atteinte, en juin, du point d’achèvement de l’Initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE). « Elles n’étaient pas très à l’aise après l’échec du système précédent », se souvient un diplomate en poste à Abidjan. Mieux valait donc profiter de l’arrivée à la présidence d’Alassane Ouattara, qui avait justement inscrit cette réforme dans ses promesses électorales, pour tourner la page.
Plutôt qu’un retour à l’ancien système administré de la Caisse de stabilisation (Caistab), qui avait réussi à faire l’unanimité contre elle, et face au fiasco du tout-libéral, la Côte d’Ivoire tente de développer une troisième voie pour relancer une filière qui contribue à hauteur de 15 % au PIB, représente 40 % des recettes d’exportation et donne plus ou moins directement du travail à un cinquième de la population.
Enchères
Contrairement au Ghana voisin, l’État n’achètera pas la production pour la commercialiser. Il a mis en place un système de vente anticipée par enchères, portant sur 70 % à 80 % des volumes en cours de récolte entre janvier et fin septembre. « Chaque jour, les acheteurs se sont engagés sur un tonnage et un prix à l’export, dont la moyenne a servi de base au calcul du tarif minimum garanti versé au planteur », explique Adama Touré. Annoncé la veille du lancement de la campagne, il a été fixé à 725 F CFA le kilo de fèves (ou 1 105 euros la tonne) pour les trois premiers mois, soit entre 50 % et 60 % du prix CAF (coût, assurance, fret), comme s’y était engagé Alassane Ouattara et comme l’avaient demandé les bailleurs de fonds.
Le gouvernement a dû vendre sa réforme aux exportateurs en plafonnant la fiscalité à 22 % et en s’engageant par décret à créer un fonds de réserve de 80 milliards de F CFA (122 millions d’euros) dans lequel « l’État pourra puiser en cas de défaut sur les contrats », reprend l’expert de la Banque mondiale. Financé grâce à la vente à terme de 910 000 tonnes de cacao (sur 1,4 million de tonnes attendues pour la campagne 2012-2013) et géré par le Conseil café-cacao (CCC, le nouvel organisme unique et paritaire de gestion de la filière), ce fonds est déjà doté de 47 milliards de F CFA. Un montant suffisant pour rassurer les exportateurs, « obligés de s’engager sans visibilité », regrette l’un d’entre eux.
Arrestations
Grands gagnants, les planteurs y voient en revanche plus clair. « Cette réforme est salutaire pour les producteurs, qui vont enfin pouvoir se concentrer sur l’amélioration de leur production », estime Mamadou Bamba, directeur de la coopérative Ecookim. De fait, la qualité est au coeur de la réforme. Le texte interdit ainsi la vente des fèves mal séchées, qui seront dorénavant refusées si leur taux d’humidité est supérieur à 9 %. Au risque de provoquer « un certain retard de livraison dans les ports », comme a déjà pu le constater Mamadou Bamba durant les premières semaines de la campagne.
Autre signe de la détermination des autorités, le CCC a déjà annoncé les premières arrestations de « pisteurs » (acheteurs intermédiaires) pris en flagrant délit alors qu’ils tentaient d’imposer leur propre prix bord champ aux paysans. En agissant de la sorte, le pouvoir ivoirien envoie un message fort aux différents acteurs locaux de la filière, sommés de respecter les nouvelles règles du jeu, en même temps qu’un signe encourageant aux bailleurs et à l’ensemble du marché mondial du cacao.
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