Gordien ou la langue des vagues
Marie-Christine Gordien, née en France d’un père guadeloupéen et d’une mère originaire du Massif central, ne découvrira que bien plus tard les paysages insulaires de la terre paternelle.
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Alain Mabanckou
Alain Mabanckou est écrivain et professeur de littérature francophone à UCLA (États-Unis). Depuis 2016, il occupe la chaire de création artistique au Collège de France.
Publié le 1 juillet 2015 Lecture : 2 minutes.
Entre fascination et questionnement sur son identité, son premier recueil de poèmes, Chayotte (2011), affichait d’entrée de jeu ses influences par des citations : Léon-Gontran Damas et Édouard Glissant. Damas parce qu’il fut le plus « artiste » des grands concepteurs de la négritude ; Glissant parce qu’il illustrait combien notre monde ne pouvait échapper à la créolisation, à ce métissage des cultures. Pollens, deuxième recueil de la poétesse, venait consolider cette quête et, par son ton personnel et très éclaté, annonçait presque La Monnaie des songes. Dans une forme très libre et très « dialoguée » ou « monologuée », Marie-Christine Gordien trace les contours de notre époque broyée par la solitude malgré le bruit des villes. Nous devons donc monnayer nos songes, et il convient de « s’approprier la langue des vagues ». Le texte est un véritable « récit-poème » où, justement, la Solitude et la Ville se font face afin de mieux convoquer, voire regretter l’Amour : « J’avais de l’Amour à t’écrire comme un ciel plus bleu que bleu. » Même la « voix » qui nous parle est emportée par le sentiment du néant absolu : « Je ne suis rien ni personne. Je ne suis ni noir ni blanc. J’habite un pays qui n’existe pas. » Le continent africain est toutefois là, comme un appel ultime : « Les côtes africaines, au loin, mendient leurs places dans l’ordre de mes souvenirs. »
De manière subreptice, Marie-Christine Gordien use de l’ironie, en particulier dans la deuxième partie du livre, où les accents incantatoires des vers saisissent le lecteur, le poussent à la méditation à travers les symboles de la terre, de la mer, de la mort, du sang, de l’éclosion ou de la naissance. On imagine un Maître de la Parole en train de dire ces textes qui closent le livre, un peu comme l’Apocalypse ferme la Bible, avec l’annonce d’un monde appelé à disparaître pour l’avènement d’un autre. Sauf que Gordien ne voit pas la poésie uniquement dans le sens prophétique, elle la rend utile à notre réalité quotidienne. Chaque image ici est en soi un appel à combler le vide : « J’avais accumulé du vide, des toits sans raison de vivre, le temps d’un enfant qui naît »…
Recueil attachant et traversé par un lyrisme sublime, La Monnaie des songes apporte la preuve que la poésie n’est pas morte…
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