Documentaire : « Trop noire pour être française ? »

Diffusé sur Arte le 3 juillet, le documentaire « Trop noire pour être française ? » réalisé par Isabelle Boni-Claverie interroge le racisme plus ou moins ordinaire de la société française. En fil directeur, l’histoire des grands parents de la réalisatrice, l’un des premiers couples mixtes mariés en France.

La cinéaste Isabelle Boni-Claverie. © Capture d’écran du documentaire « Trop noire pour être française ? »

La cinéaste Isabelle Boni-Claverie. © Capture d’écran du documentaire « Trop noire pour être française ? »

NICOLAS-MICHEL_2024

Publié le 1 juillet 2015 Lecture : 2 minutes.

L’histoire des grands-parents d’Isabelle Boni-Claverie est un conte moderne. Imagine-t-on l’histoire d’un Ivoirien, né en 1909 dans une grande famille de chefs, quittant Grand Bassam pour Bordeaux (France) à l’adolescence, étudiant au Collège Jésuite Saint-Paul d’Angoulême, puis à la fac de droit de Toulouse ? Imagine-t-on cet homme épousant une fille de Gaillac en 1937 – mais au milieu de la nuit par souci de « discrétion » ? Si la réalisatrice française a décidé de plonger dans sa propre histoire pour écrire et tourner le documentaire Trop noire pour être française ? (à voir sur Arte le 3 juillet à 23h10 ou quelques jours avant sur le site de Libération, qui a a lancé sur Twitter un appel à témoignages avec le hashtag #TuSaisQueTesNoirEnFranceQuand), c’est sans doute en raison de deux événements concomitants.

Enceinte, sans doute s’est-elle demandé dans quelle France son enfant à venir serait appelé à vivre. « Je me suis alors demandé dans quelle histoire familiale je m’inscrivais, dans quelle histoire j’inscrivais mes enfants, et des problématiques que je croyais avoir résolues sont réapparues avec les peurs que beaucoup de gens éprouvent, comme moi, pour leurs enfants. Avec l’envie qu’ils n’aient pas à subir ce que nous subissons », dit-elle. Surtout que les propos racistes tenus ouvertement sur France 2 par le parfumeur Jean-Paul Guerlain, le 15 octobre 2010, firent déborder le vase en venant lui rappeler, une fois de plus, que les idées les plus rances avaient encore droit de cité dans la « patrie des droits de l’homme ».

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Expérience quotidienne de la « négritude »

Suivant le fil de la généalogie, Isabelle Boni-Claverie brosse dans son documentaire le portrait d’un pays qui n’a pas encore poussé la réflexion assez loin sur son histoire et les erreurs du passé continuent de contaminer le présent. Pudique sur sa propre histoire – elle fut élevée par la sœur cadette de son père, la journaliste Danièle Boni, et par le mari de cette dernière, le juriste Georges Claverie, dans un milieu extrêmement protégé – la réalisatrice la met en perspective grâce à des interviews d’intellectuels comme Pap Ndiaye, Achille Mbembe ou Eric Fassin.

Qu’est-ce qu’être noir aujourd’hui en France ? Loin des grands discours des sociologues et des historiens, de simples citoyens noirs essaient aussi de trouver une réponse aux questions qu’elle se pose, face caméra, en racontant leurs expériences personnelles de la « négritude » – souvent édifiantes. Le quotidien des « 3 millions 300 mille » Noirs de France est ainsi mis en regard avec la perception générale qu’en ont ceux qui s’imaginent « français de souche », l’esprit modelé tant par les publicité racistes (Uncle Ben’s, Banania, Woolite, Skip…) que par les propos des politiques (Nicolas Sarkozy à Dakar…) ou les politiques d’affichage qui ne permettent en rien de réduire les inégalités raciales.

La persistance d’un racisme bien ancré dans les pensées apparaît notamment quand Isabelle Boni-Claverie, enquêtant sur son père, s’en va à la rencontre des dirigeants du Cercle anglais de Pau dont il fut membre. « S’il y avait un Noir qui valait le coup d’entrer au cercle… moi je le prendrais sans doute », déclare, hésitant, l’un d’eux, dont l’embarras et la gêne sautent aux yeux… Militant discrètement en faveur des quotas, le documentaire Trop noire pour être française ? est une missive sur la France d’aujourd’hui à laquelle il convient de prêter attention – comme il convenait de lire les Lettres persanes à l’époque de Montesquieu.

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