Jupes au Maghreb : combien de centimètres pour la dignité ?
Maroc, Égypte, Algérie : des autorités morales plus ou moins autoproclamées traquent les jupes trop courtes et les déhanchements trop suggestifs. Difficile de les raisonner en période de ramadan…
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Damien Glez
Dessinateur et éditorialiste franco-burkinabè.
Publié le 2 juillet 2015 Lecture : 2 minutes.
« Mettre une robe n’est pas un crime ». « Ma dignité ne se mesure pas en centimètres ». Pas sûr que ces slogans, entendus ici ou là en Afrique blanche, soient de nature à convaincre les plus pieux des pieux, surtout en ce mois de ramadan où, du lever au coucher du soleil, ils essaient de résister aux tentations. Les formules parviennent pourtant bruyamment aux oreilles de ces derniers, lors de manifestations comme celle de Casablanca et Rabat, dimanche soir.
Ces rassemblements avaient pour objectif un soutien à deux jeunes filles – 23 et 29 ans, selon une source militante – interpellées mi-juin à Inezgane, près d’Agadir, pour avoir exhibé des tenues jugées trop légères. Encerclées par des marchands ambulants alors qu’elles traversaient un souk en direction de leur salon, ces coiffeuses avaient été secourues par les forces de l’ordre, avant d’être conduites au commissariat. Là se serait déployé le fameux argumentaire du « les filles harcelées qui portent des tenues affriolantes l’ont bien cherché ». Les victimes-coupables auraient signé des aveux. La Fédération de la ligue des droits des femmes (LDDF) et l’Association marocaine des droits humains (AMDH) ont annoncé que leur procès pour « outrage à la pudeur » devrait se tenir le 6 juillet. L’article 483 du code pénal marocain prévoir des peines d’un mois à deux ans de prison.
En Égypte, c’est à un an d’incarcération pour « incitation à la débauche » que vient d’être condamnée Reda al-Fouly, par un tribunal correctionnel du Caire, pour avoir dansé de manière trop lascive dans un clip diffusé sur YouTube. La démarche de « Salma Foly » (son nom de scène) était plus suggestive que la traversée de souk des coiffeuses marocaines ; comme pouvait déjà le laisser imaginer le titre de la chanson : « Laisse ma main ». Mais ce sont des menottes qui ont rejoint la main de la jeune femme, le 25 mai, quelques jours seulement après la mise en ligne de la vidéo.
La chorégraphie serait pourtant jugée puritaine par tout interprète américain de gansta-rap.
Dans le clip, la danseuse arbore une robe plutôt courte, un décolleté plongeant et offre les atours de sa poitrine et de ses jambes à une caméra manifestement fascinée. Fascination qui a également valu un an de prison au caméraman. Doit-on se consoler en constatant que la gent féminine n’est pas la seule condamnée ? En fuite à l’étranger, le réalisateur a, lui aussi, écopé d’un an par contumace.
La chorégraphie serait pourtant jugée puritaine par tout interprète américain de gansta-rap. Mais les autorités égyptiennes actuelles font la promotion de la pudibonderie. C’est pour avoir porté un costume aux couleurs nationales lors d’une danse du ventre – acte considéré comme une « profanation du drapeau » –, que la célèbre danseuse arménienne Safinaz a été condamnée, en avril, à six mois de prison.
Le débat n’est guère différent dans le reste du Maghreb. Le 9 mai dernier, à la Faculté de droit de Ben Aknoun, une étudiante algéroise était empêchée, dans un premier temps, de passer son certificat d’aptitude de la profession d’avocat (Capa), au prétexte que sa jupe « irrespectueuse » s’arrêtait au-dessus du genou. À peu de centimètres et d’heures près, elle aurait pu plaider elle-même sa cause. Même les avocats mâles portent des robes…
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