Africa CEO Forum : l’entreprise au coeur des enjeux

Instabilité politique, manque de financements, faiblesse des infrastructures : le secteur privé africain doit encore affronter de nombreux écueils. Il est pourtant essentiel pour assurer une croissance stable profitant au plus grand nombre. Autant de questions et d’enjeux qui seront abordés lors du CEO Forum organisé par Jeune Afrique et la Banque Africaine de développement, les 20 et 21 novembre à Genève.

Le Africa CEO Forum se tiendra les 20 et 21 novembre à Genève, en Suisse. © Getty

Le Africa CEO Forum se tiendra les 20 et 21 novembre à Genève, en Suisse. © Getty

ProfilAuteur_AlainFaujas

Publié le 16 novembre 2012 Lecture : 7 minutes.

L’Afrique est enfin partie. Elle a mis un bémol aux coups d’État à répétition. Certes, elle se fait toujours la guerre à elle-même, mais l’intensité de ses déchirements fratricides a baissé d’un cran. Elle est sortie des affres de sa dette. Elle en a fini avec ses éléphants blancs, ces projets aussi pharaoniques qu’inutiles. Elle respecte mieux ses Constitutions et fait rentrer ses impôts. Ses soudards cèdent peu à peu les palais présidentiels aux gestionnaires du quotidien.

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Purgé de ses maladies infantiles, le continent a fait bondir ses réserves brutes de 82,9 milliards de dollars en 2003 à 301,5 milliards de dollars (235,6 milliards d’euros) cette année, selon les calculs de la Banque mondiale. Entre 2009 et 2010, l’indice de perception de la corruption s’est amélioré dans 26 des 46 pays africains étudiés par l’ONG Transparency International. Avec un taux annuel moyen de plus de 5 % sur dix ans, la croissance semble durable, mais pas encore « inclusive », ce qui veut dire qu’elle n’est pas encore partagée par tous.

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L’Africa CEO Forum se tiendra les 20 et 21 novembre à l’hôtel Intercontinental de Genève. Il accueillera plus de 300 dirigeants de grandes entreprises du continent, venus de 42 pays, une centaine de banquiers et financiers ainsi que des personnalités africaines et internationales de premier plan. Mo Ibrahim, à la tête de la fondation Mo Ibrahim et fondateur de l’une des toutes premières multinationales africaines (Celtel, aujourd’hui Airtel Africa), Donald Kaberuka, le président de la Banque africaine de développement, Mostafa Terrab, PDG du Groupe OCP (Maroc), Issad Rebrab, PDG de Cevital (Algérie), Thierry Tanoh, nouveau patron d’Ecobank, Bob Collymore, à la tête de Safaricom (Kenya), Sunny Verghese, PDG d’Olam (Singapour) ou encore la ministre des Finances du Nigeria Ngozi Okonjo-Iweala seront présents pour débattre de l’avenir du capitalisme africain.

Au programme, quatre conférences plénières consacrées aux enjeux de croissance du secteur privé africain. Le développement des marchés sur le continent, l’intégration régionale, l’environnement des affaires ou encore la compétitivité des entreprises africaines feront partie des principaux sujets. En complément, neuf conférences thématiques seront consacrées aux tendances les plus actuelles du management : stratégie de développement international, nouveaux secteurs porteurs en Afrique, accès au capital, environnement juridique, etc.

Toutes les informations sur www.theafricaceoforum.com

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Pour un capitalisme responsable

Reste à réussir la deuxième phase, celle du vrai développement qui passe par la création d’un tissu entrepreneurial solide. Pas de réel décollage sans amélioration de la productivité et des transferts de connaissance ; or les chefs d’entreprise, toujours à la recherche de marchés et donc de progrès, en sont les acteurs privilégiés. Pas d’emplois formels et solides sans un secteur privé en bonne santé, car 90 % des nouveaux emplois créés dans les pays en développement le sont par les entreprises ayant pignon sur rue. Pas de services essentiels et pas d’infrastructures sans la contribution du secteur privé dans les transports, les télécoms, l’eau ou l’électricité. Pas de nourriture sans les entreprises qui font la chaîne depuis le champ jusqu’à l’étalage pour nourrir les citadins. Pas d’État sans les entreprises et leurs salariés, qui apportent aux budgets publics les impôts directs et indirects les plus réguliers et les plus stables pour faire fonctionner les services publics.

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Inclusive

Mais le climat dans lequel naissent et prospèrent les sociétés d’Afrique est loin d’être favorable à leur épanouissement. Le McKinsey Global Institute a publié, dans son étude « Africa at work : job creation and inclusive growth » (« L’Afrique au travail : création d’emplois et croissance inclusive ») du mois d’août 2012, les résultats d’une enquête menée auprès de 1 373 patrons d’Égypte, du Kenya, du Nigeria, du Sénégal et d’Afrique du Sud – en majorité à la tête de PME – pour connaître les trois principaux obstacles à leur développement. Parmi les entrepreneurs interrogés, 55 % citent en premier lieu l’instabilité macroéconomique qui leur fait redouter un retour de l’inflation et un effondrement de la demande ; 40 % incriminent l’instabilité politique. On peut agréger ces deux inquiétudes et paraphraser la réplique du baron Louis, ministre français des Finances sous le roi Louis-Philippe : « Faites-moi de bonnes politiques, je vous ferai une bonne économie. » Autrement dit : fichez-nous la paix, gérez prudemment et nous pourrons faire croître l’économie nationale et développer l’emploi.

Besoin de capitaux

Autre sujet de difficulté : « l’accès limité aux financements », pour 32 % des répondants. « Pour garder sa part de marché en période de croissance forte, l’entrepreneur doit trouver de l’argent, explique Luc Rigouzzo, cofondateur d’Amethis Finance, fonds d’investissement consacré à l’Afrique. Car les bénéfices ne suffisent pas à fournir les capitaux nécessaires quand on connaît une croissance de 20 % ou 30 %, comme certaines banques kényanes. Il faut se tourner vers les marchés, mais dans ce cas, le chef d’entreprise propriétaire de sa société risque vite d’en perdre le contrôle. Il faut trouver les moyens de mettre en place des partenariats de long terme qui améliorent les fonds propres des entreprises pour avoir les moyens d’acheter des machines et de recruter des talents pour relever les défis de l’avenir. »

Premier problème : les marchés boursiers africains sont dans les limbes. La Banque de France note dans son rapport annuel 2011 sur la zone franc CFA que « les contraintes de liquidité sur ces marchés – résultant notamment du manque d’activité des investisseurs institutionnels sur le marché secondaire -, l’insuffisance de produits financiers adaptés, couvrant un large spectre de maturités, ainsi que le manque d’automatisation des systèmes d’échanges, créant des goulets d’étranglement, sont autant de facteurs qui fragilisent » leur développement.

Un tiers des 50 pays qui ont le plus amélioré leur climat des affaires depuis 2005 sont subsahariens.

Deuxième problème : l’épargne africaine ne se mobilise pas, en raison de la pauvreté bien sûr, mais aussi à cause d’une très faible bancarisation des ménages. Hors Afrique du Sud, McKinsey estime que les dépôts bancaires en zone subsaharienne équivalent à peine à 34 % du produit intérieur brut, contre 83 % en Inde et plus de 175 % en Chine !

Le troisième sujet d’angoisse des patrons est le manque d’électricité en particulier et d’infrastructures en général. Pour ce qui est du courant électrique, tous les Africains (raccordés au réseau) pâtissent à un moment ou à un autre de coupures intempestives et l’expression de leur colère peut aller jusqu’à des manifestations, comme à Dakar. En ce qui concerne les transports, le manque de routes ou de voies ferrées n’est pas le seul facteur qui contribue à leur cherté et à leur précarité. L’absence d’intégration régionale, notamment en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, est une plaie pour les échanges à l’intérieur du continent. Rappelons qu’acheminer un conteneur équivalent vingt pieds de Dakar (Sénégal) à Ouagadougou (Burkina Faso) coûte plus de 10 000 dollars et peut prendre jusqu’à dix-sept jours, car il faut passer 55 points de contrôle. Pour la même distance et le même conteneur, le prix du transport est en Chine de 2 300 dollars par la route et de 1 000 dollars par le rail.

McKinsey Global Institute donne quelques exemples de bonnes pratiques des gouvernements qui ont relevé ces défis. Dans tous les cas, une vision stratégique et un réel volontarisme sont à la base de ces succès. Ainsi en est-il de la création par le Maroc de deux zones franches consacrées à l’industrie automobile : le secteur emploie aujourd’hui plus de 60 000 salariés. Même politique au Lesotho, qui a accueilli les industriels asiatiques du textile à un guichet unique pour faciliter leur installation dans six zones parfaitement équipées, en promettant qu’elles pourraient librement rapatrier leurs bénéfices : les exportations textiles du pays vers les États-Unis ont plus que doublé entre 2000 et 2008. Quant au Cap-Vert, il a fait passer ses recettes touristiques de 23 millions de dollars en 1999 à 542 millions en 2008 en exemptant d’impôts, en détaxant les importations et en garantissant le libre rapatriement des bénéfices aux étrangers qui investiraient dans le secteur ; celui-ci emploie aujourd’hui 21 % de sa population active.

L’État doit aussi intervenir en simplifiant et en faisant respecter les règles du jeu économique.

Règles du jeu

Mais l’État doit aussi intervenir en simplifiant et en faisant respecter les règles du jeu économique. Aussi bien celles qui coûtent – les formalités de création d’entreprise, l’enregistrement des titres de propriété, le raccordement à l’électricité, le permis de construire ou les formalités douanières – que celles qui sécurisent – le régime de la faillite, la justice commerciale, les règles du crédit, la protection des actionnaires minoritaires. À l’évidence, les États africains ont fait de gros progrès dans ces domaines. Sur les 50 pays qui ont le plus amélioré leur climat des affaires depuis 2005, la Banque mondiale relève un tiers de subsahariens.

Reste qu’il faut toujours soixante-deux jours pour créer une entreprise au Tchad et deux cent vingt-six jours pour être connecté au réseau électrique en Afrique du Sud. Les gouvernements ont donc encore du pain sur la planche pour parvenir à faciliter vraiment la vie de leurs entreprises. Et les bailleurs de fonds devront continuer à apporter leur aide financière pour sécuriser des investissements longs à rentabiliser, comme les barrages ou les voies ferrées. Car il manque chaque année une cinquantaine de milliards de dollars à l’Afrique pour lui permettre d’investir dans des infrastructures essentielles à un décollage « inclusif » dont les bienfaits seront enfin partagés par tous.

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