La croissance rwandaise en péril
Soupçonné de soutenir une rébellion en RD Congo, Kigali est privé d’une partie de l’aide internationale. Cela pourrait remettre en question les importants progrès économiques réalisés.
Kigali, la ville jardin, dont les routes serpentent à travers un paysage verdoyant et vallonné, fait grise mine en ce début de novembre. Pas seulement à cause de la saison des pluies, qui, d’ailleurs, touche à sa fin, mais surtout en raison des inquiétudes suscitées par la suspension, depuis près de trois mois, de l’aide de plusieurs partenaires du Rwanda. Les États-Unis, le Royaume-Uni, la Suède et la Banque africaine de développement (BAD) ont déjà gelé quelque 128 millions de dollars de subsides (environ 100 millions d’euros).
À l’origine de cette décision : un rapport onusien accusant le Rwanda de soutenir l’Armée révolutionnaire du Congo (ARC, ex-M23) qui sévit dans l’est de la RD Congo. Réfutant ces accusations, le président Paul Kagamé a profité de la tribune offerte par la Conférence économique africaine qui se tenait dans la capitale rwandaise, du 30 octobre au 2 novembre, pour alerter l’opinion internationale : « Supprimer l’aide au Rwanda sous prétexte de vouloir résoudre le problème congolais risque de créer un problème supplémentaire », a-t-il déclaré.
Selon les prévisions faites par le Fonds monétaire international (FMI) avant même le gel des aides, la croissance du pays devrait ralentir (voir infographie). Le Rwanda reste une économie fragile, dont le budget dépend à près de 50 % de l’aide internationale. De fait, la question de la suspension de l’aide divise les bailleurs de fonds internationaux. « Le Rwanda a montré qu’il pouvait réaliser de bons résultats sur le plan économique. Les bailleurs de fonds doivent soutenir cette success-story », souligne Shantayanan Devarajan, économiste en chef pour l’Afrique de la Banque mondiale. Dans son rapport « Doing Business » 2013, l’institution vient de classer le Rwanda au deuxième rang des pays ayant constamment amélioré leur environnement des affaires depuis 2005.
En matière de développement, le pays a réduit, sur les cinq dernières années, son taux de pauvreté de neuf points. « Cette baisse est plus rapide que ce qui a été observé en Asie de l’Est », commente Shantayanan Devarajan. Le revenu moyen par habitant a explosé, de 214 à 620 dollars entre 2000 et 2011.
À l’origine de cette avancée, la réorganisation de l’agriculture autour d’un double objectif : produire pour assurer la sécurité alimentaire et faire en sorte d’exporter le surplus. Mis en oeuvre depuis plus de cinq ans, ce programme permet au pays d’atteindre l’autosuffisance. Si la facture des importations a globalement augmenté de 52 % en 2011, à 1,63 milliard de dollars, la part des produits agroalimentaires y est minime.
« Deux programmes majeurs ont permis d’atteindre ce résultat », explique Tony Nsanganira, directeur exécutif intérimaire du Rwanda Development Board (RDB), une institution dépendant directement de la présidence. « D’abord, la consolidation des terres, détaille-t-il. Il a fallu convaincre les petits exploitants de se mettre en coopératives pour disposer de surfaces plus grandes et d’utiliser des engrais pour augmenter la productivité. Ensuite, dans l’élevage, le programme One Cow Per Poor Family [une vache par famille pauvre, NDLR] a permis d’accroître la production laitière et le revenu de certaines familles pauvres des zones rurales. »
Toutefois, les experts estiment que la transformation reste insuffisante. « Nous en sommes conscients. C’est pour cette raison que nos investissements actuels visent à améliorer l’accès à l’électricité [le kilowattheure coûte 0,14 euro au Rwanda, contre 0,09 en moyenne pour les pays voisins] et à renforcer la capacité humaine à travers des programmes de formation », explique Tony Nsanganira. « Nous avons toujours exporté notre café comme une matière première, ajoute-t-il. Nous encourageons désormais le secteur privé à générer de la valeur ajoutée avec des produits finis emballés. » Pour le secteur public, il s’agit d’amener chacune des filières à des niveaux de production et de rendement qui peuvent intéresser les investisseurs privés.
« Pour les cinq prochaines années, nous prévoyons que la part de l’agriculture descende à 25 % du PIB [contre 35 % actuellement] et que celle de l’industrie monte à 20 % ou un peu plus [contre 17 %] », poursuit Tony Nsanganira. Mais c’est surtout sur les services que mise le pays pour transformer son économie. Remis sur les rails depuis quelques années, notamment grâce à la mise en valeur de la faune, le tourisme est en plein essor. En 2011, l’activité a rapporté 251 millions de dollars, un chiffre en hausse de 25,5 % sur un an. Les hôtels poussent à Kigali. Un Hilton et un Radisson Blu devraient ouvrir prochainement.
Selon Gilles Guerard, directeur général d’Ecobank Rwanda, « le pays veut développer le tourisme d’affaires et se positionner comme un hub régional des services ». Pour cela, il investit massivement dans l’éducation, les infrastructures de télécommunications et le développement des services financiers. La suppression de l’aide internationale pourrait remettre en question toutes ces ambitions.
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