« Dé-jeuneurs » du ramadan : une présence plus faible que l’an dernier au Maghreb ?
À chaque ramadan, des musulmans qui choisissent de ne pas jeûner sont victimes d’arrestations ou de violences. Si les incidents recensés sont moins nombreux relativement aux années précédentes, cette année ne fait pas figure d’exception.
Les dé-jeûneurs peinent toujours à trouver leur place au Maghreb. Preuve en est, cinq jeunes ont été interpellés mardi 7 juillet à Marrakech pour ne pas avoir respecté le jeûne du ramadan. « Il semble que la chaleur les ait poussés à boire du jus de fruit en public », a déclaré à l’AFP le président de l’association marocaine des droits de l’Homme à Marrakech, Omar Arrib.
En Algérie, si quelques tensions entre jeûneurs et non-jeûneurs ont bien été signalées, un incident a davantage retenu l’attention. Dans une cafétéria d’Akbou, au sud de Bejaïa, des policiers se sont efforcés fin juin de « déloger » des dé-jeûneurs attablés, rapporte El Watan.
En Tunisie, des incidents plus troublants ont été rapportés. À Monastir, le chef du district de sûreté a ainsi été filmé en train d’agresser une femme dans un café servant les non-jeûneurs. Le policier, depuis limogé, a affirmé avoir agi sur les ordres du ministère de l’Intérieur.
Pressé de s’expliquer sur l’affaire, le ministère a fait savoir à France 24 qu’en dehors des zones touristiques, les cafés devaient baisser rideau. « Aucun café ne peut rester ouvert pendant la période de ramadan en dehors des zones touristiques et commerciales identifiées par le ministère », a indiqué le porte-parole du ministère de l’Intérieur, Mohamed Aroui, assurant respecter la liberté de ne pas jeûner.
Que dit la loi dans ces trois pays ?
En effet, en Tunisie, la loi ne prévoit aucune sanction contre ceux qui n’observent pas le ramadan, en vertu de l’article 6 de la Constitution garantissant la liberté de conscience et de culte. Aucun texte n’oblige par ailleurs les cafés à baisser rideau en période de ramadan.
Ce qui n’est pas le cas du Maroc, où l’article 222 du Code pénal interdit clairement de ne pas respecter le ramadan. Rompre « ostensiblement le jeûne dans un lieu public pendant le temps du ramadan, sans motif admis par cette religion » est passible d’une peine de un à six mois d’incarcération.
La loi est beaucoup moins précise en Algérie. Si aucune obligation d’observer le ramadan n’est inscrite dans la loi, le non-respect du jeûne a déjà été puni par des tribunaux algériens. À l’appui, l’article 144 bis 2 du code pénal, qui détermine que « quiconque offense le Prophète […] et les envoyés de Dieu ou dénigre le dogme ou les préceptes de l’islam, que ce soit par voie d’écrit, de dessin, de déclaration ou tout autre moyen », est puni d’un emprisonnement de trois à cinq ans.
Dé-jeûneurs et « revendications démocratiques »
Dans ces trois pays, les récentes manifestations de dé-jeûneurs ont souvent été accompagnées de revendications politiques plus larges.
Initiée au Maroc par le Mouvement alternatif pour les libertés individuelles (MALI) en 2009, l’initiative a été reprise en 2012 par le collectif « Masayminch » – littéralement « nous ne jeûnons pas ». Une organisation réclamant l’abrogation du délit de non-jeûne dans le royaume, mais aussi la reconnaissance des non-croyants dans la société marocaine.
En Algérie, le mouvement avait été très médiatisé en août 2013. Quelques centaines de personnes, en majorité proches des autonomistes kabyles, avaient alors organisé un « déjeuner républicain » en plein ramadan à Tizi-Ouzou pour dénoncer « l’islamisation » du pays.
« Les dé-jeûneurs ont souvent été associés à des mouvements d’affirmation des libertés individuelles et à des revendications démocratiques », analyse Béligh Nabli, directeur de recherche à l’Iris et auteur de Comprendre le monde arabe. « C’est un phénomène marginal mais significatif, qui est désormais débattu dans les pays concernés », poursuit-il.
Un mouvement plus discret ?
Reste que cette année, les dé-jeûneurs font pour l’heure moins parler d’eux. Le contexte sécuritaire après les attentats du Bardo et de Sousse, n’y est pas étranger, explique Béligh Nabli. « Il existe un mouvement de contre-révolution beaucoup plus perceptible en Tunisie après les derniers attentats. Avec ce retour à l’autorité, le contexte se prête moins à la revendication des libertés individuelles », précise ce spécialiste du monde arabe.
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