La croissance c’est bien… l’emploi c’est mieux
Malgré son dynamisme économique, l’Afrique peine à satisfaire la demande en travail de ses habitants. Industrie, agriculture, services… Quels sont les secteurs d’avenir pour un développement plus juste ? Le débat est ouvert.
L’Afrique, terre de contrastes. Zone de forte croissance (5 % en moyenne au sud du Sahara en 2012), le continent détient aussi la palme de la pauvreté et des inégalités sociales. Certes, près de 31 millions de ménages ont rejoint la classe moyenne au cours de la dernière décennie, mais 47 % des Subsahariens vivent avec moins de 1,25 dollar par jour, tandis qu’en Asie du Sud cette proportion est de 36 % et qu’elle tombe à 6,5 % en Amérique latine et dans les Caraïbes. Officiellement, le taux de chômage n’est que de 9 % sur l’ensemble du continent. Mais 28 % seulement des 400 millions d’Africains en âge de travailler ont un emploi stable, et l’écrasante majorité des actifs oeuvrent toujours dans l’informel. L’essor de la finance, des télécoms ou encore de la grande distribution a permis de créer des millions de nouveaux emplois, mais pas de quoi changer la donne. Kako Nubukpo, économiste togolais, explique : « Les secteurs qui contribuent le plus à la croissance économique [mines, pétrole, gaz, NDLR] ne sont pas forcément ceux qui créent le plus grand nombre d’emplois. »
D’ici à 2020, quelque 122 millions de nouveaux demandeurs d’emploi arriveront sur le marché, alors qu’au rythme actuel le continent ne devrait créer que 54 millions de postes : le fossé est immense. Ces statistiques, révélées début septembre par le cabinet McKinsey Global Institute dans une étude intitulée « Africa at Work », auraient dû produire une véritable déflagration. Il n’en a rien été. Aujourd’hui, le monde des experts semble pourtant unanime pour appeler à des programmes en faveur d’une « croissance inclusive », c’est-à-dire reposant sur tous les secteurs de l’économie et génératrice d’emplois.
Agriculture
Concilier familial et commercial
L’agriculture est considérée comme le secteur le plus stratégique pour faire face au défi de l’emploi. La moitié de la population active africaine travaille dans ce champ d’activité qui devrait, selon les prévisions de McKinsey Global Institute, créer près de 8 millions d’emplois d’ici à 2020. Le chiffre pourrait atteindre 14 millions si des politiques efficaces étaient mises en oeuvre, telles que l’expansion des fermes à vocation commerciale sur les terres cultivables non exploitées et le développement des cultures plus intensives en main-d’oeuvre (palmier à huile, hévéa, canne à sucre). Selon McKinsey Global Institute, quand 1 000 ha de céréales emploient 50 personnes, le palmier à huile, l’orange et la tomate requièrent respectivement 350, 800 et 2 000 emplois sur la même surface.
« La priorité n’est guère là », rétorque Bruno Losch, économiste au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), qui suggère que, « plutôt que l’agriculture d’entreprise, il faut renforcer l’agriculture familiale, car elle occupe près de 90 % des actifs agricoles et génère la plus grande part des revenus ruraux ». D’après ce chercheur français, les investissements privés doivent être privilégiés en aval et en amont du secteur, et la sécurité alimentaire doit rester au centre de l’analyse. Les produits vivriers (maïs, mil, sorgho, céréales, manioc, etc.) « sont plus aisés à transformer localement et favorisent la diversification des activités et l’emploi », explique-t-il. « Les autorités publiques doivent soutenir ce secteur en lui facilitant l’accès au crédit et en améliorant les systèmes d’information, de transport et de stockage pour réduire les pertes postrécolte [entre 10 % et 20 % de la production] », ajoute pour sa part Kako Nubukpo. « Il est encore possible de promouvoir en Afrique une agriculture destinée à la sécurité alimentaire et aux exportations, tranche Mthuli Ncube, économiste en chef de la Banque africaine de développement (BAD). Le continent possède 60 % des terres arables non cultivées du monde, mais il ne représente que 10 % de la production mondiale. »
Industrie
Développer la manufacture légère
L’Afrique doit aussi relancer son industrialisation. C’est sa principale faiblesse. La contribution de cette branche au PIB du continent ne cesse de reculer, de 15 % en 2000 à 12 % en 2011 pour les 27 premières économies africaines, selon McKinsey Global Institute. Quelque 15 millions d’emplois nouveaux pourraient être créés d’ici à 2020, à condition que chaque pays parvienne à identifier clairement ses points forts. Ainsi, les pays essentiellement agricoles peuvent se spécialiser dans l’agro-industrie. Les pays à faibles revenus peuvent aussi miser sur la forte croissance de leur population et des niveaux de salaires très bas pour attirer une industrie légère tournée vers l’exportation.
Tandis qu’un ouvrier non qualifié est rémunéré 44 dollars par mois en Éthiopie, 105 dollars en Zambie et 180 en Tanzanie, il perçoit 105 dollars au Vietnam et 240 dollars en Chine. D’après la Banque mondiale, dans des conditions identiques, la productivité d’un ouvrier africain est comparable à celle d’un Asiatique. Si bien que, à l’instar de Maurice qui a mis en place avec succès une zone franche, de plus en plus de pays (Éthiopie, Tanzanie, Gabon…) tentent de développer un cadre favorable au secteur manufacturier pour attirer les investissements privés.
« La délocalisation de certaines activités de l’Asie vers l’Afrique peut être une piste intéressante », concède Makhtar Diop, vice-président Afrique de la Banque mondiale. « Mais plus que les mesures incitatives [avantages fiscaux, libre mouvement des capitaux…] qui sont souvent offertes aux investisseurs, le succès des zones économiques repose beaucoup sur l’existence d’infrastructures », explique Mthuli Ncube, de la BAD. Car si la main-d’oeuvre peut coûter moins cher dans de nombreux pays africains, faute d’infrastructures, les coûts de transport, de la logistique et de l’énergie font que le produit fini y revient nettement plus cher que dans la plupart des pays émergents.
Henri-Bernard Solignac-Lecomte, chef du bureau Europe, Moyen-Orient et Afrique de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), complète : « Il faut éviter que ces zones deviennent des forteresses dans lesquelles viennent s’installer les grandes entreprises pour se protéger de l’environnement local des affaires. Créer une zone industrielle sans prévoir une fiscalité adaptée à l’essor des PME locales, créatrices d’emplois, ne serait pas bénéfique pour l’économie du pays. »
Services
Miser sur la classe moyenne
C’est le secteur de demain : les services (distribution et tourisme principalement) offrent aussi un gros potentiel d’emplois nouveaux, estimés à quelque 13 millions à l’horizon 2020. Ce champ d’activité devrait surtout être porté par la croissance de la classe moyenne qui passera, selon les différentes prévisions, d’un peu plus de 90 millions de foyers aujourd’hui à près de 130 millions dans les huit prochaines années. Ces ménages dépensent en moyenne 27 % de leurs revenus dans des produits de grande consommation. L’objectif est de faire passer dans le formel ces activités aujourd’hui presque réservées à l’informel.
De même, dans le tourisme, si des pays comme la Tanzanie (grâce à ses parcs nationaux) parviennent à attirer un nombre sans cesse croissant de visiteurs, les États subsahariens dans leur grande majorité peinent à tirer profit de leur potentiel. La raison ? « Des dessertes aériennes inadaptées et trop chères, des procédures de délivrance de visa souvent complexes et un grand déficit en infrastructures hôtelières », détaillent les analystes de McKinsey Global Institute. Et pourtant, ce secteur est celui dans lequel la création d’emplois est la moins coûteuse. Dans le tourisme, un investissement de 250 000 dollars suscite ainsi 200 emplois stables… soit deux fois plus que dans les autres secteurs.
Les matières premières sont-elles une malédiction ?
des matières premières, Paris-Dauphine. DR" class="caption" />Oui
« Aucun pays n’a vraiment réussi à asseoir son développement économique sur l’exploitation des matières premières. Non seulement elles ne favorisent pas la diversification des économies, mais en outre elles créent peu d’emplois. Elles sont un facteur de mauvaise gouvernance, de corruption et d’appauvrissement général des populations. La RD Congo et dans une moindre mesure l’Afrique du Sud en sont des exemples. Le Chili, premier producteur de cuivre au monde, est le seul pays à avoir réussi son développement économique grâce à ses ressources naturelles. C’est sans doute l’exception qui confirme la règle. La Banque mondiale tente d’accompagner les pays producteurs, mais avec un succès très mitigé. »
Non
« Il n’y a pas de fatalité. Au contraire, le Chili a donné un exemple remarquable en utilisant les rentes provenant de l’exploitation de ses ressources minières dans des fonds de pension qui ont servi à financer la transformation de son économie. Autre exemple, la Colombie a décidé de consacrer les royalties provenant de l’exploitation du gaz et du charbon à la création d’un fonds, en partie anticyclique. Environ 10 % de ce fonds est destiné au financement de l’innovation et 40 % au développement des régions (infrastructures et soutien aux entreprises). Voila deux exemples qui montrent que les gains issus de l’exploitation des ressources naturelles peuvent servir à émanciper un pays de cette dépendance. »
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