Côte d’Ivoire : Adieu fardeaux, adieu fleurons

Alors qu’Abidjan prépare une nouvelle vague de privatisations, Jeune Afrique fait la lumière sur un processus qui, pour l’instant, ne brille pas par sa transparence. Premières concernées : les banques.

Parmi les fleurons encore en partie détenus par l’État, deux banques : la BIAO Côte d’Ivoire et la Société ivoirienne de Banque.

Parmi les fleurons encore en partie détenus par l’État, deux banques : la BIAO Côte d’Ivoire et la Société ivoirienne de Banque.

Publié le 31 octobre 2012 Lecture : 7 minutes.

Lors de sa visite d’État en France, en février, il a annoncé son intention de commencer par les banques publiques. En Conseil des ministres, le 23 mai, Charles Koffi Diby, le grand argentier, a présenté le schéma de ce désengagement. Curieusement, pas la moindre mention de cette communication, dont Jeune Afrique s’est procuré une copie, n’est apparue dans le compte rendu final de la réunion. « Le président Ouattara a validé le processus de cession des participations publiques, se rappelle un ministre. Mais il a demandé de bien examiner chaque cas et de prendre en compte le sort des employés et l’impact social pour les populations. » Quinze sociétés sont concernées. Leur capital social cumulé s’élève à 116 milliards de F CFA (177 millions d’euros), dont 24,7 milliards de participation financière de l’État.

Les clés du processus

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15 cibles

SIB, BIAO-CI, Versus Bank, BFA, Sucrivoire, NEI-Ceda, Côte d’Ivoire Télécom, IPS West Africa, Tropical Rubber Côte d’Ivoire, Sivac, SN Sosuco, Palmafrique, Côte d’Ivoire Engineering, Sonitra, Office ivoirien des chargeurs

3 pilotes

Charles Koffi Diby, ministre de l’Économie et des Finances
Seydou Bamba, directeur des participations et de la privatisation
Philippe Serey-Eiffel, coordonnateur du corps de conseillers à la présidence

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Gestion laxiste

Du côté des bailleurs de fonds, la méthode suscite des interrogations, notamment sur les discussions de gré à gré entamées autour de deux banques. Une méthode que l’État justifie par la volonté de réduire les coûts d’étude, de consultation et d’appels d’offres… Les bailleurs s’interrogent aussi sur la remise sur pied du comité de privatisation qui officiait dans les années 1990. « C’est un effort louable, précise l’un d’entre eux. Mais on attend de voir comment ce comité fonctionnera de manière effective avant de se prononcer sur la transparence du processus. »

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Pour l’État, il s’agit tout d’abord de limiter sa présence aux activités non marchandes régaliennes et aux activités marchandes jugées stratégiques pour le développement du pays. Mais cette volonté de désengagement répond aussi à une réalité économique. Pendant plus de douze ans de crise politico-militaire, on a assisté à un manque total de contrôle et de visibilité et à une gestion pour le moins laxiste des entreprises publiques. Bon nombre des sociétés aujourd’hui en vente connaissent d’importantes difficultés (déficit, insuffisance de fonds propres, endettement élevé) et coûtent cher en subventions.

Deux voies sont à l’étude : la vente directe de parts à l’actionnaire principal ou/et l’introduction d’une partie des actions à la Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM).

L’État estime impératif de se débarrasser des actifs toxiques et d’assainir le portefeuille. L’opération permettra de faire des économies et de se servir des recettes des privatisations pour restructurer d’autres entreprises (lire l’encadré). Combien ce processus rapportera-t-il à l’État ? Il est trop tôt pour le savoir. Le prix de cession de ses actions dépendra des résultats des études de valorisation et des choix retenus. Accompagné par Phoenix Capital Management, l’État a lancé un appel d’offres pour sélectionner les cabinets d’audit : PricewaterhouseCoopers, Deloitte, KPMG et Ernst & Young sont candidats.

Douze entreprises à restructurer

Parallèlement aux privatisations, l’État a prévu de restructurer douze entreprises publiques afin de les maintenir dans son portefeuille. Le besoin de recapitalisation global est estimé à 73,15 milliards de F CFA (111,5 millions d’euros), dont 46,78 milliards revenant à l’État en tenant compte de son niveau de participation. Sont concernées la société Vitib (nouvelles technologies), l’Institut national de la statistique, Fraternité Matin (édition), la RTI (télévision), le Bureau national d’études techniques et de développement, Sotra (transport), l’Agence de gestion foncière, l’Autorité de régulation du coton et de l’anacarde, CIDT et Cotivo (coton), FTG et Utexi (textile). Il a été demandé aux dirigeants de ces sociétés de proposer un plan de redressement afin d’assainir leur situation financière et de déterminer leurs besoins en fonds de roulement. Suivant les cas, l’État pourrait abandonner les arriérés de cotisation sociale et les dettes fiscales, et injecter des ressources afin de relancer les activités.

Des banques solides

Incontestablement, le processus de cession des banques publiques ou à participation étatique, qui représentent tout de même 34 % des parts de marché du secteur, est le plus aisé, notamment pour les deux fleurons que sont la Société ivoirienne de banque (SIB, détenue à 49 % par l’État) et la Banque internationale pour l’Afrique occidentale (BIAO, 10 %). Financièrement, les deux institutions (qui n’étaient pas gérées par l’État) se portent bien. En 2011, SIB a réalisé un bénéfice net de 6,3 milliards de F CFA. BIAO, de son côté, a nettement pâti de la crise, avec un résultat net en baisse, à 41 millions de F CFA, contre un peu plus de 5 milliards l’année précédente. Mais elle demeure une banque solide.

Sur ces deux dossiers, l’État a commencé à discuter avec les actionnaires majoritaires, le marocain Attijariwafa Bank pour SIB et le groupe NSIA pour BIAO. Deux voies sont à l’étude : la vente directe de parts à l’actionnaire principal ou/et l’introduction d’une partie des actions à la Bourse régionale des valeurs mobilières (BRVM). Sur cette dernière hypothèse, les banquiers d’affaires sont assez enthousiastes. « C’est un moyen d’obtenir une plus grande plus-value, explique l’un d’eux. En général, les actions sont sursouscrites. » Quelle que soit l’option arrêtée, la cession des actifs pourrait intervenir avant la fin de l’année ou au plus tard en mars 2013.

Plus problématique est la situation de Versus Bank, l’ancien établissement du groupe L’Aiglon, repris par les autorités en 2009 afin d’éviter une banqueroute. L’État a mis plus de 22 milliards de F CFA pour le recapitaliser, principalement sous forme d’abandon de créances. Elle affiche toujours des pertes cumulées de l’ordre de 10 milliards même si l’exercice 2011 s’est soldé par un résultat bénéficiaire de 221 millions de FCFA. Autre établissement en situation très délicate, la Banque pour le financement de l’agriculture (BFA). Créée en 2003, cette société connaît des pertes récurrentes. Pour éviter sa liquidation, l’État a adopté un schéma de restructuration : cession des créances en souffrance d’un montant de 36,7 milliards de F CFA, abandon du dépôt du Trésor public… Malgré cela, elle présente toujours une perte nette de 7,6 milliards de F CFA. Et l’État devra injecter 12 milliards supplémentaires avant de la céder.

Si ni Versus Bank ni BFA ne trouvent preneurs, Ouattara demandera leur liquidation.
Un haut-responsable ouest-africain

Un appel à manifestation d’intérêt a été lancé. Des groupes agro-industriels pourraient être intéressés. Mais « si ni Versus Bank ni BFA ne trouvent preneurs, Ouattara demandera leur liquidation », souligne un haut responsable ouest-africain. Pour ces deux établissements, les institutions de Bretton Woods préconisent de mettre en place un mécanisme d’enchère concurrentielle. « La valorisation est meilleure que dans le cas d’un appel d’offres classique », explique un expert de la Banque mondiale.

Mariage public

In fine, ne devrait subsister qu’un grand pôle bancaire public, la Banque nationale d’investissement (BNI) devant absorber la Caisse nationale de crédit et d’épargne (CNCE), largement endettée. Encore faudra-t-il réussir le mariage entre deux établissements aux vocations diamétralement opposées. Le premier sert à financer les grands projets d’infrastructures, quand le second agit comme banque de proximité. Le président Ouattara souhaite créer une institution qui ferait aussi bien du financement à long terme que du crédit aux PMI-PME ou aux particuliers. L’objectif serait de créer l’émulation dans le secteur et de bousculer des consoeurs qui ont tendance à se concentrer sur le financement des campagnes agricoles (cacao, café, coton…) à très court terme. Ce pôle pourrait être privatisé dans un second temps, l’État n’ayant pas vocation à rester dans le secteur bancaire.

Outre les banques, l’État devrait également céder onze autres participations dans l’agro-industrie, les télécoms et l’industrie. Parmi lesquelles celles dans Sucrivoire, qui a réalisé 35,7 milliards de F CFA de chiffre d’affaires en 2011. L’actionnaire majoritaire Sifca étudiera la reprise des parts de l’État (23 %). La cession des parts dans les Nouvelles Éditions ivoiriennes (NEI-Ceda, groupe Fraternité Matin) et dans Côte d’Ivoire Télécom est aussi envisagée. Des discussions sont en cours avec le français Orange pour ce dernier. Les autorités recommandent de réduire les parts de l’État de 48,5 % à 20 %. Seront aussi cédés, probablement au cours des deux prochaines années, les 15 % détenus dans Industrial Promotion Services West Africa, le géant diversifié du groupe Aga Khan (120,4 milliards de F CFA de chiffre d’affaires en 2011). Pour toutes ces sociétés, les autorités n’ont pas encore révélé les modalités de cession. Le milieu des affaires tient désormais à en savoir plus.

Cet exercice s’est plutôt soldé par un résultat bénéficiaire de 221 millions de FCFA

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