« Mettre un terme au trafic de cigarettes pour mieux lutter contre le terrorisme en Afrique de l’Ouest »
Pour Chris McAllister, directeur régional de British American Tobacco, la contrebande de cigarettes est un fléaux qui engendre un manque à gagner pour les États et représente un facteur de déstabilisation.
Les hausses successives du prix du tabac sur le marché européen ont favorisé la consommation de produits contrefaits ou illicites en provenance notamment d’Afrique de l’Ouest. Le paquet, acheté à 1 euro, est transporté par des passeurs et revendu en France à 4 euros au lieu de 6,50 euros. Ce phénomène décrit clairement l’impact d’une taxation disparate sur l’incitation à la contrebande de cigarettes.
En effet, l’essor de la contrebande a engendré un manque à gagner de près de 182 millions de dollars (108 milliards de francs CFA) sur les recettes des États de l’Afrique de l’ouest ces trois dernières années. De plus, entre 2013 et 2015, l’industrie du tabac de la sous-région estime à près de 11,3 milliards le nombre de cigarettes vendues en contrebande, ce qui équivaut à 526 millions de dollars (314 milliards de francs CFA).
Chris McAllister, directeur régional de British American Tobacco (BAT), tire la sonnette d’alarme face à la persistance de ce fléau dont on sait aujourd’hui qu’il contribue, entre autres, au financement de groupes terroristes.
Jeune Afrique : Quels sont les points d’entrée des produits illicites en Afrique de l’Ouest ?
Chris McAllister : L’un des principaux point d’entrée des cigarettes de contrebande en Afrique de l’ouest se trouve être la Guinée Conakry, où l’absence d’une taxation appropriée à l’importation des produits de tabac (droits de douane et droits d’accises) constitue une opportunité considérable pour les contrebandiers. Les cigarettes sont ensuite passées en contrebande dans le territoire malien et progressent vers la Mauritanie, la Libye et le reste de l’Afrique du Nord. L’autre route prend naissance au Bénin et au Togo d’où, par le biais d’une utilisation frauduleuse de la procédure de transit, les cigarettes partent pour la Côte d’Ivoire, le Nigéria, le Niger, le Burkina Faso et le Ghana.
Quels types de produits traversent l’Afrique de l’Ouest ?
Les cigarettes de contrebande représentent actuellement environ 99% du trafic en Afrique de l’Ouest. Il s’agit de produits authentiques qui sont souvent achetés dans un pays à faible taux d’imposition, avant d’être exportés. Il peut également s’agir de produits exonérés d’impôts, à des fins d’exportation, mais qui sont par la suite revendus de façon illégale, sans aucune charge fiscale, dans un marché où les prix du tabac sont plus élevés.
En revanche, la contrefaçon est un problème relativement mineur en Afrique de l’Ouest car elle représente moins de 1% de toutes les cigarettes illégales. Cela dit, cette manufacture illégale des marques demeure cependant un danger car les cigarettes contrefaites ne sont généralement pas conformes aux règlementations dictées par les autorités sanitaires et toujours de qualité douteuses.
Hormis le facteur financier, quelles sont les autres causes du commerce illicite des produits du tabac ?
La principale cause est relative au déficit sécuritaire. Les frontières sont mal contrôlées et poreuses, ce qui permet aux trafiquants de passer d’un marché à l’autre, sans se faire arrêter. A cela nous pouvons ajouter la fiscalité incitative de certains pays évoquée précédemment, créant ainsi des conditions favorables au trafic ; et enfin, le fléau de la corruption …
La contrebande de cigarettes est un catalyseur pour d’autres activités criminelles
En avez-vous évalué l’impact en Afrique de l’Ouest?
Selon nos enquêtes, nous estimons que 15 à 20% des cigarettes consommées en Afrique de l’Ouest sont illicites, causant ainsi une perte d’environ 245 millions de dollars à BAT ces trois dernières années. Ces chiffres doublent lorsque l’on élargit les estimations à l’ensemble des opérateurs du secteur dans la sous-région. S’agissant des pays concernés, vous pouvez aisément évaluer leurs pertes en termes de droits non acquittés.
C’est donc un facteur de déstabilisation de la gouvernance d’un pays en général. Toutefois, l’impact n’est pas qu’économique car la contrebande de cigarettes est souvent un catalyseur pour d’autres activités criminelles telles que la drogue, les armes et le trafic d’êtres humains. Elle est aussi une source bien connue de financement des groupes terroristes. Afin de combattre ce fléau et préserver la stabilité sous-regionale, il est donc nécessaire d’assécher toutes leurs sources de revenus.
Le Mali a considérablement fait chuter l’activité des trafiquants
La tendance est-elle en hausse?
L’incidence du commerce illicite a été globalement stable au cours de ces 3 dernières années, mais avec des fluctuations notées dans certains pays. Au Ghana, au Niger et au Cameroun par exemple, nous avons enregistré une forte hausse à la suite d’une réforme fiscale. En revanche, le Mali a considérablement fait chuter l’activité des trafiquants, à la fois grâce à une forte campagne de sensibilisation et à la ferme implication du gouvernement qui par une collaboration effective avec l’industrie du tabac a pu ramener le fléau dans des proportions moindres.
Comment vous assurez-vous que vos produits ne tombent pas dans le circuit de la contrebande ?
Nous avons une politique de tolérance zéro à l’égard de nos partenaires commerciaux (distributeurs et grossistes). S’ils sont reconnus coupables de commerce illicite, nous procéderons à leur radiation de notre liste de «clients exclusifs» et mettons fin à toutes relations commerciales avec eux. Nous collaborons également avec les gouvernements sur des campagnes de sensibilisation telles que la récente campagne éducative sur les prix et l’impact de la contrebande au Mali qui a bénéficié d’une large couverture médiatique.
Nous apportons aussi notre aide aux États en surveillant activement les opérations des exploitants illicites et en partageant nos informations avec les organismes gouvernementaux. Enfin, des protocoles d’accord ont été signés avec les douanes de plusieurs pays afin de les aider à saisir les cigarettes illégales et à les détruire.
Quelles mesures devraient-être prises par les gouvernements afin d’éradiquer la contrebande des produits du tabac ?
Nous pensons que la mise en œuvre, en Guinée Conakry, d’un régime de droits de douanes et d’accises aligné sur celui des pays voisins pourrait limiter l’entré en masse de produits destinés au marché de la contrabande.
Il me semble aussi nécessaire de revoir les législations sur le transit à travers toute la CEDEAO. En effet, chaque pays de l’Afrique de l’Ouest en conformité avec la Convention Cadre de l’OMS sur la lutte Anti-Tabac (CCLAT) a aujourd’hui une législation spécifique définissant les caractéristiques du paquet de cigarette. Nous pensons donc qu’en modifiant les règles de transit pour préciser que ne seront admis au régime de transit que les cigarettes dont les caractéristiques sont conformes aux exigences du pays de destination finale, cela limitera dans une large mesure, l’utilisation frauduleuse de la procédure de transit par certains opérateurs véreux..
De plus, nous souhaitons un renforcement des sanctions, par exemple, l’aménagement de peines de prison plus longues, et d’amendes plus lourdes vu le bénéfice financier qu’ils en tirent, aussi bien pour les propriétaires que pour les transporteurs de marchandises de contrebande. Nous proposons aussi que les organismes chargés de l’application conjointe de ces mesures aient des compétences supranationales. Pour finir, nous avons toujours soutenu publiquement l’élaboration d’un protocole de coopération avec l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) pour éradiquer le commerce illicite des produits du tabac et nous sommes prêts à investir près de 70 millions d’euros dans cette lutte, à l’échelle mondiale.
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