Maghreb : « Il faut sortir du modèle de rente »
Bien que plus diversifiées qu’au sud du Sahara, les économies nord-africaines restent peu créatrices d’emplois qualifiés.
Pour Radhi Meddeb, chef d’entreprise tunisien et président de l’Institut de prospective économique du monde méditerranéen (Ipemed), la cause est entendue : « Le modèle actuel ne permettra pas de sortir des difficultés, car il ne crée pas assez d’emplois. » Une réalité confirmée il y a quelques mois par la Banque mondiale dans une note sur la Tunisie : « Depuis 2005, la création annuelle d’emplois (entre 70 000 et 80 000) a été inférieure au nombre de nouveaux demandeurs d’emploi (autour de 90 000 chaque année). » La situation est explosive. Au Maghreb, le taux de chômage varie de 8,9 % (Maroc) à 18,9 % (Tunisie). Chez les jeunes, de 20 % (Maroc) à plus de 40 % (Algérie). Et plus encore chez les jeunes diplômés.
« L’économie sociale et solidaire de marché est une priorité. »
Radhi Meddeb, président du think-tank Ipemed
Pour les économistes, rien de véritablement surprenant : « Les balances commerciales de ces pays sont largement déficitaires, et le principal poste d’exportation est l’industrie extractive, pétrole pour certains, phosphates pour d’autres », souligne Christian Badaut, responsable du pôle Méditerranée-Afrique de la Caisse des dépôts (France). « Les industries de main-d’oeuvre, de leur côté, sont sous-traitantes et donc totalement dépendantes des donneurs d’ordres, avec une forte concurrence sur les prix et des salaires bas, poursuit-il. Cela n’a rien à voir avec le modèle asiatique. » Enfin, le tourisme, stratégique en Égypte, en Tunisie et au Maroc, repose avant tout sur un modèle low cost peu générateur de valeur ajoutée.
Les pistes de transformation économique sont simples : réduire l’importance de la sous-traitance en développant des pôles de compétitivité industriels, monter en gamme en matière touristique et développer le secteur des services. « L’économie sociale et solidaire [services à la personne, NDLR] de marché est une priorité », a martelé Radhi Meddeb tout au long de la Semaine économique de la Méditerranée, du 15 au 21 octobre à Marseille (France).
Autant de pistes que seul Rabat semble en partie emprunter, avec le Plan Maroc vert (dont l’un des objectifs est d’augmenter la transformation locale des productions agricoles), la stratégie nationale pour le tourisme ou le développement de secteurs de sous-traitance à plus forte valeur ajoutée comme l’aéronautique… En Algérie et en Tunisie, rien de tout cela pour l’instant. « Les économies du Maghreb doivent se débarrasser de ce modèle de rente qui les caractérise, où les initiatives personnelles et l’innovation sont étouffées par des situations de monopole, explique un chef d’entreprise arabe. Il faut faire entrer l’esprit de compétition dans la région. »
Secteurs d’avenir
Les grands groupes qui se sont développés dans le giron des pouvoirs politiques se sont presque exclusivement consacrés aux activités faiblement risquées : banque, distribution, immobilier ou télécoms. La décision de la Société nationale d’investissement (SNI, holding royal marocain) de se réorienter vers des secteurs d’avenir comme le solaire est en ce sens un bon signe. Mais l’ensemble des économies maghrébines ont désormais besoin de stabilité juridique, d’un État impartial et d’une vision stratégique. Elles ont également besoin d’un système de formation plus en adéquation avec les demandes des entreprises.
« Selon une étude menée avec notre partenaire Manpower sur le monde arabe, 31 % des postes proposés n’ont jamais été satisfaits », déplore Salvatore Nigro, directeur exécutif de la fondation Education for Employment, qui forme des jeunes sans-emploi en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. « Ce dont nous avons besoin, c’est de soft skills [compétences non techniques], c’est-à-dire de la faculté d’apprendre dans l’emploi lui-même et de construire sa carrière. » Autrement dit, de capacité d’adaptation.
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