La francophobie : une maladie camerounaise

Au Cameroun, une majorité hétéroclite socialement se retrouve néanmoins dans une paisible francophobie. Cette hostilité est réversible mais pour cela la France devra tisser un lien de confiance avec le peuple camerounais.

François Hollande et Paul Biya, le 3 juin 2015 à Yaoundé, capitale du Cameroun. © Alain Jocard/AFP

François Hollande et Paul Biya, le 3 juin 2015 à Yaoundé, capitale du Cameroun. © Alain Jocard/AFP

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Publié le 16 juillet 2015 Lecture : 5 minutes.

Le Cameroun avait pourtant tout pour plaire au Président Hollande : une pénurie de riches, une abondance de motos (certes rien à voir avec les scooters que le président français affectionnerait), un climat doux qui tranche avec la canicule parisienne. Pourtant il sera resté à peine quelques heures au Cameroun. Juste le temps de distiller quelques vannes !

Et des vannes sur le Cameroun il aurait pu en faire, le président Hollande. Voilà un pays qui prétend à l’émergence en 2035 et dont les élèves et étudiants peinent à étudier faute d’électricité. Voilà un pays qui prétend à l’émergence en 2035 et dont le poumon économique, la ville de Douala, s’est trouvé paralysé il y a peu au lendemain d’une pluie modérément agressive. Voilà un pays qui prétend à l’émergence en 2035 et dont certains services hospitaliers urbains manquent de seringues.

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Le Président Hollande est peut-être blagueur mais il est aussi informé. Il a été briefé. Il sait que la relation franco-camerounaise est tendue – et pas uniquement à cause du cas de l’avocate Lydienne Yen Eyoum – et que l’ambiance se prête mal aux blagounettes. Il est conscient que les camerounais, dans leur majorité, en ont après la France. En même temps, lui a-t-on expliqué, c’est normal. Le ressentiment à l’endroit de la France fait partie de l’identité camerounaise.

Une animosité désormais profondément ancrée dans la société camerounaise

Ce ressentiment connait certes des pics, comme en ce moment, mais la fièvre finit toujours par se stabiliser. Dans le cas du Cameroun, il se cristallise essentiellement autour du passif historique de la France. Par conséquent, l’amorce d’une reconnaissance du rôle de l’armée française durant la guerre d’indépendance camerounaise devrait apaiser les cœurs.

Le président a suivi ses conseillers et a reconnu « une répression en Sanaga-Maritime et en pays Bamiléké ». Ces propos sont importants car ils marquent un début de rupture par rapport à la position traditionnelle de la France sur cette question et laissent entrevoir la possibilité de rapports dépassionnés entre les deux pays.

Mais il faudra davantage pour anéantir une animosité désormais profondément ancrée dans la société camerounaise et dont les ressorts sont complexes.

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Pendant longtemps – entre 1960 et la fin des années 1980 -le sentiment anti-français a été porté par une minorité éduquée et politisée. Il reposait soit sur une fine connaissance de l’Histoire, soit sur les souvenirs d’une expérience coloniale traumatisante. Le reste de la population éprouvait un sentiment mitigé à l’endroit de l’Hexagone : une certaine attirance (les visas !) couplée à une certaine défiance (cette arrogance française !).

La France est progressivement ringardisée

Avec le temps, cette amertume n’a pas disparu mais s’est progressivement logée dans l’inconscient collectif des Camerounais, d’autant plus facilement que la situation économique de la population se détériorait. Dans les années 1990, le souci de se nourrir, de se soigner, de financer l’éducation des enfants (en France si possible) précédait la francophobie.

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Les choses ont évolué aujourd’hui. Le Cameroun s’est considérablement rajeuni. La mondialisation a accouché d’un monde nouveau. L’accès à l’information (et à la désinformation) s’est singulièrement démocratisé. Les Camerounais, même les moins éduqués, sont progressivement sensibilisés à des enjeux qui leur étaient étrangers. Et en dépit (peut-être à la faveur) des restrictions françaises au voyage, de nombreux Camerounais parcourent le monde. Ils reviennent décomplexés. Et exigeants. Hier l’Hexagone était la destination obligée de la progéniture des camerounais aisés. Aujourd’hui le Canada ou les Etats-Unis séduisent davantage. La France est progressivement ringardisée.

Ces phénomènes ont des conséquences importantes. En surface, le sentiment antifrançais actuel ressemble à l’ancien. Obsessionnel et revanchard – comme l’ancien -, certes porté par une minorité nettement moins éduquée et responsable que l’ancienne.

Une majorité hétéroclite socialement mais unie dans une paisible francophobie

En réalité cette minorité active cache une majorité silencieuse mais fortement contrariée. Cette majorité est hétéroclite socialement mais unie dans une paisible francophobie. Celle-ci s’articule essentiellement autour de la revendication (justifiée ou pas) de la souveraineté : souveraineté politique, souveraineté économique, souveraineté monétaire. Du Général de Gaulle les Camerounais ont en effet retenu que « la démocratie se confond exactement, [pour moi], avec la souveraineté nationale. La démocratie, c’est le gouvernement du peuple exerçant la souveraineté sans entrave » (Discours prononcé à Londres le 27 Mai 1942).

Le président Hollande peut se permettre de négliger son homologue camerounais. Il peut se permettre de mépriser la frange extrême des francophobes camerounais. Mais il aurait tort d’ignorer l’hostilité grandissante à l’endroit du pays du Général au sein de la masse modérée.
D’autant plus que quelques gestes « simples » permettraient de décrisper les relations et de préserver sur le long terme les intérêts de la France au Cameroun :

– reconnaître les crimes perpétrés par l’armée française dans le pays. Les archives dont le Président Hollande « veut » l’ouverture faciliteront le travail des historiens, mais ceux-ci ont déjà réalisé des progrès notables et établi que l’armée française est allée au-delà d’une simple « répression » au Cameroun. Nul besoin de repentance ou de réparation -« l’Histoire est tragique » disait justement Raymond Aron ;

– ouvrir un dialogue avec les pays concernés – dont le Cameroun – sur l’avenir du Franc CFA.

La question monétaire nourrit en effet tous les fantasmes et empoisonne les relations entre la France et le peuple camerounais – mais aussi les autres pays de la zone franc -. Elle est importante pour les Camerounais car avant d’être un moyen d’échanges, la monnaie est un instrument de souveraineté. Sans la propriété de leur monnaie les camerounais se considèrent privés de leur souveraineté. À tort ?
L’hostilité camerounaise à l’endroit de la France est réversible. Après tout les deux pays ont une histoire commune. Cette histoire a engendré une culture partagée – qui va bien au-delà de la langue. Comme les Français, les Camerounais ont la religion de l’État ; comme les Français, ils ont une conception monarchique du pouvoir, etc. –

Mais trop longtemps les leaders français ont considéré l’héritage commun comme un passe-droit. Il s’agit d’une erreur qui peut être corrigée, dans le sens de l’intérêt des deux pays. Mais pour cela la France devra tisser un lien de confiance avec le peuple camerounais. C’est possible, mais surtout souhaitable. La place de la France au Cameroun, sur le long terme, en dépend.

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