Procès Habré : « On a placé des fils électriques sur mon corps et allumé le courant »

Alkhali Mahamat Bichara a passé plus de 20 mois en prison où il a été torturé. Un jour, il se retrouve même face à Hissène Habré en personne. À la veille du procès, retrouvez le troisième témoigne de la série consacrée par Jeune Afrique aux victimes du régime Habré.

Alkhali Mahamat Bichara s’est fait interrogé par Hissène Habré lui-même. © Rémi Carayol, pour J.A.

Alkhali Mahamat Bichara s’est fait interrogé par Hissène Habré lui-même. © Rémi Carayol, pour J.A.

Publié le 19 juillet 2015 Lecture : 2 minutes.

Hissène Habré © Dominique Faget/AFP
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Hissène Habré face à ses crimes

Le 20 juillet, vingt-cinq ans après la chute de l’ex-président tchadien, son procès s’ouvre à Dakar. Retour sur la trajectoire d’un dictateur paranoïaque et sur une décennie de peur, de répression et d’indicibles violences.

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Lui non plus, ne pensait pas finir en prison. Alkhali Mahamat Bichara était certes un « goukouniste » : un compagnon d’armes de Goukouni Weddeye, l’allié de Hissène Habré devenu son ennemi juré à partir de 1976. Mais quand il rentre à N’Djamena en mars 1988, après un long exil en Libye, il est serein : s’il revient, c’est parce que Goukouni et Habré ont fait la paix, et que la guerre contre la Libye touche à sa fin. Il n’a donc rien à craindre, croit-il. D’ailleurs, d’autres l’ont imité.

Erreur : peu de temps après son arrivée, il est arrêté. Mené à la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS). « J’ai été gardé sous terre (dans une cellule de la célèbre « Piscine », ndlr) pendant trois jours. Puis on m’a sorti et on m’a amené dans un bureau, où on m’a interrogé. ‘Qui vous a envoyé ? Qui vous a donné de l’argent ?’ On m’a torturé : on a placé des fils électriques sur mon corps et allumé le courant ; on m’a aussi gavé à l’eau jusqu’à ce que je m’évanouisse. »

Face à Habré en personne

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Le gavage à l’eau, est une terrible épreuve : on vous place un tuyau dans la bouche, dos contre terre, et on ouvre le robinet ; l’eau rentre, rentre, puis sort par tous les trous ; et l’on finit bien souvent par s’évanouir avec une impression d’asphyxie. Le supplice, pour Bichara, se reproduit plusieurs nuits d’affilées.

Puis un jour, les gardes le menottent, lui voilent les yeux et le font monter dans un pick-up. Quand on lui retire le bandeau, il se trouve face à Habré en personne, dans ce que Bichara devine comme étant son bureau.

« Il était assis sur son fauteuil. Il fumait et me crachait la fumée au visage sans me parler, en lisant des notes. Sur la table, il y avait un pistolet. Je ne savais pas si je sortirais d’ici. Au bout d’un moment, il m’a dit : ‘Je vais te poser trois questions : qui t’a envoyé ? pour quoi faire ? que t’a-t-on donné ?’ Je lui ai dit que personne ne m’avait envoyé, que j’étais rentré car les chefs avaient fait la paix. Puis il a appelé le garde du corps et on m’a ramené en prison. On a dû rester plus d’une heure dans son bureau sans personne d’autre ».

On voyait mourir quatre ou cinq détenus par jour »

Bichara ne sera plus torturé. Il sera transféré à la prison des « Locaux ». Là, ce n’est pas des sévices qu’on y meurt, mais de la maltraitance. « C’était une hécatombe, se souvient-il. On voyait mourir quatre ou cinq détenus par jour ». Il ne sera libéré que vingt mois plus tard, le 1er décembre 1990, lorsque la chute de Habré sera confirmée.

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A l’âge de 67 ans, il ne souhaite qu’une chose : « Que justice soit rendue et qu’Habré paye pour ce qu’il a fait ».

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