Procès Habré : « Ne me tuez pas ! »

Josué Doumassem entendait les cris et les suppliques de sa cellule. En 1992, c’est lui qui a dessiné les différentes tortures pratiquées par le régime Habré afin de les faire connaître au monde entier. Quatrième témoigne de la série de Jeune Afrique.

Publié le 20 juillet 2015 Lecture : 2 minutes.

Hissène Habré © Dominique Faget/AFP
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Hissène Habré face à ses crimes

Le 20 juillet, vingt-cinq ans après la chute de l’ex-président tchadien, son procès s’ouvre à Dakar. Retour sur la trajectoire d’un dictateur paranoïaque et sur une décennie de peur, de répression et d’indicibles violences.

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Alité depuis plusieurs semaines – les séquelles de ce qu’il a subi en prison dit-il -, Josué Doumassem, 60 ans, originaire du Logone oriental, espère tout de même se rendre à Dakar et témoigner au procès d’Habré. Ce ne serait que justice : c’est lui qui a mis sur papier les différentes tortures pratiquées à l’époque d’Habré, qui les a dessinées et qui a ainsi pu faire connaître au monde entier les sévices endurés par des milliers de Tchadiens durant huit ans. La technique de l’abartachar, celle du pot d’échappement, ou du gavage à l’eau…

Ils m’ont mis à plat ventre, m’ont attaché les jambes et les bras

Josué est étudiant quand, un jour du mois d’août 1990, alors que le régime n’en a plus que pour quelques semaines, des policiers viennent le chercher à l’heure de la pause. Il est 9h17. Direction la DDS (Direction de la documentation et de la sécurité). Deux jours plus tard, on le sort du « trou », une des cellules de la fameuse « Piscine », l’une des prisons les plus noires sous Habré. « On m’a fait pénétrer dans la salle de torture. J’ai vu tous les outils qu’ils utilisaient. J’ai compris tout de suite », raconte-t-il.

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Les policiers l’accusent d’avoir participé à la rédaction et la distribution de tracts appelant à l’ouverture du régime, qui ont rendu fou Habré. Lui dit qu’il n’a rien à voir avec cette histoire qualifiée par les policiers de « coup d’Etat » (il l’assure encore aujourd’hui). « Ils ont commencé à me gifler. Puis ils m’ont mis à plat ventre, m’ont attaché les jambes et les bras – c’est ça l’abartachar, dit-il en mimant la position malgré son état de fatigue. Ils sont montés sur mon ventre et m’ont donné des coups de pieds ». Devant lui, un policier lui fera cet aveu : « La DDS n’est pas un lieu d’échappatoire ». Un autre lui fera comprendre comment on se débarrasse des corps : « On les jette par la fenêtre », qui donne sur le Chari, le fleuve qui traverse N’Djamena.

Dessiner toutes les tortures connues

Ce genre d’interrogatoire, Josué dit en avoir subi plusieurs, toujours le matin. Le reste du temps, il le passe dans des cellules bondées, où la mort rode chaque jour. « Une fois, on ne nous a rien donné à manger pendant quatre jours », explique-t-il.

Au bout d’un mois et demi, il est transféré de la « Piscine » à la prison de la gendarmerie, là où, toutes les nuits, on entend des cris et des suppliques : « Ne me tuez pas ! ». Il y restera jusqu’à la fin du régime, le 1er décembre 1990.

Ses dessins ? C’est en 1992 qu’il les a réalisés, à la demande du président de la Commission d’enquête sur les crimes du régime Habré, diligentée par le nouvel homme fort du Tchad, Idriss Déby Itno. « Le juge Abakar voulait que je dessine toutes les tortures connues. Mais je n’ai pas tout dessiné », explique-t-il. Il n’a pas eu le courage, notamment, d’illustrer une pratique bien connue à l’époque pour se débarrasser des gens : l’égorgement par l’arrière.

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