Une nouvelle voix gabonaise

Alain Mabanckou nous livre son avis sur N’être, le nouveau roman de Charline Effah.

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  • Alain Mabanckou

    Alain Mabanckou est écrivain et professeur de littérature francophone à UCLA (États-Unis). Depuis 2016, il occupe la chaire de création artistique au Collège de France.

Publié le 30 juillet 2015 Lecture : 2 minutes.

Il faut prendre au sérieux les romans à petit format – je ne parle pas des livres de poche qui, eux, proviennent généralement d’une édition à grand format -, ceux publiés directement dans une édition qui laisserait penser au lecteur qu’il s’agit d’une réédition. En ouvrant celui-ci, j’ai été subjugué par la maîtrise du récit, et surtout par cette écriture d’une élégance à la fois détachée et ciselée. Depuis Une si longue lettre, de Mariama Bâ, je n’avais plus rencontré ce regard pointilleux sur les travers des sociétés africaines et, à ce titre, Charline Effah pourrait être considérée comme la « petite-fille » de cette immense romancière sénégalaise qui a marqué les lettres du continent.

Comme Une si longue lettre, N’être se lit également comme une missive – à cause certainement du tutoiement et de la destinataire : la mère de la narratrice. Cependant la « lettre » est adressée à tous ceux qui, de près ou de loin, mésestiment les conséquences de l’enfance « adultérine », de la marginalisation et du carcan des conventions.

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Tout au long du roman, le lecteur ressent le souffle de la liberté, le refrain d’une indépendance que les personnages s’accaparent par tous les moyens, en particulier par le biais de l’amour. Lucinda, qui a connu une enfance des plus marginalisées, espère une rédemption dans l’Amour et tombe dans les bras d’Amos, un homme marié – un peu comme sa propre mère – et c’est le début d’un calvaire qui ira du rejet d’une grossesse à diverses humiliations.

Peu importent ces quelques moments artificiels passés au Tropical Bar, que fréquente son autre amoureux et où elle croise des personnages plus « désespérés » les uns que les autres ou impliqués dans des relations les plus inextricables pendant que leur situation de séjour en France est des plus compliquées. Si Lucinda plonge dans ce « ménage à trois » c’est pour « tuer » la figure envahissante de Medza, cette mère synonyme de sa déchéance, de son chemin de croix.

La rupture thématique opérée par Charline Effah est spectaculaire. Dans la littérature africaine, la mère est d’ordinaire sanctifiée, mais la romancière brise le tabou dans une narration où le tutoiement est une sorte de reddition des comptes.

N’être est porté par un souffle intemporel et la puissance d’une écriture « habitée » par la grâce. J’avais dit il y a plusieurs années que la littérature gabonaise « n’existait pas » : le Gabon a désormais une voix, une plume qui comptera parmi les plus talentueuses de la littérature africaine contemporaine.

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N’être, de Charline Effah, éd. La Cheminante, 144 pages, 9,90 euros

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