Il ne faut pas enterrer les Shebab trop vite !
Le président Kenyatta participait le 1er juin, aux célébrations du 52e anniversaire de l’autonomie du Kenya, mais son cabinet était surtout préoccupé par les dernières attaques perpétrées dans le pays.
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Paul Gabriel
Paul Gabriel est analyste pour le cabinet de conseil Control Risks.
Publié le 21 juillet 2015 Lecture : 3 minutes.
Pour la troisième fois en moins de deux semaines, les extrémistes Shebab avaient temporairement pris le contrôle de villages dans le nord-est du Kenya – deux mois à peine après avoir assassiné 148 personnes à l’université de Garissa dans ce qui fut l’attaque la plus meurtrière qu’ait connue le pays à ce jour.
On peut pourtant comprendre que certains observateurs aient été prompts à sous-estimer la menace que représentait encore le groupe : aucune attaque terroriste n’avait frappé Nairobi ou Mombasa depuis mai 2014. Sur le terrain, en Somalie, les Shebab avaient été mis en difficulté par les troupes kényanes et celles de la Mission de l’Union africaine en Somalie (Amisom). Après avoir un temps régné sur la quasi-totalité du centre-sud du pays, ils avaient été repoussés vers les zones rurales.
Depuis des mois, les Shebab sont en outre la cible des frappes aériennes américaines et ils ont vu partir nombre de combattants étrangers qui avaient rejoint leurs rangs : la discrimination et le harcèlement exercés à l’encontre des non-Somaliens ont rendu le groupe moins attractif aux yeux des populations non originaires d’Afrique de l’Est. Le fait qu’il continue de faire allégeance à Al-Qaïda plutôt qu’à l’État islamique l’a aussi privé de potentiels financements et de nouvelles recrues étrangères. C’est pour cela que, en dépit des attaques terroristes qui ensanglantent toujours la Somalie et le nord-est du Kenya, les observateurs sont de plus en plus nombreux à penser que le groupe est proche de l’extinction.
On aurait pourtant tort de limiter le pouvoir de nuisance des Shebab à la seule étendue du territoire qu’ils contrôlent ou à leur nombre de combattants. Le groupe s’est, depuis plusieurs années, engagé sur la voie de la décentralisation et de la régionalisation, en exploitant et en instrumentalisant des griefs locaux à l’extérieur de la Somalie. Au lieu d’être le signe d’un déclin final, l’évolution de ce schéma opérationnel représente peut-être une source de puissance future.
Le fait que les soldats africains et somaliens soient mieux formés et mieux équipés a incité les Shebab à adapter leur stratégie et leur tactique
Les Shebab ont commencé à muter. Ils sont devenus une véritable organisation transnationale, potentiellement très dangereuse, avec des cellules disséminées dans toute l’Afrique de l’Est. Paradoxalement, cette évolution a été stimulée par la présence des forces de l’Union africaine et par les renforts qui leur ont été envoyés : le fait que les soldats africains et somaliens soient mieux formés et mieux équipés a incité les Shebab à adapter leur stratégie et leur tactique.
Plutôt que d’affronter sur le champ de bataille un ennemi militairement plus puissant, et pour que les Shebab ne soient pas réduits à n’être plus qu’une petite guérilla rurale, leur émir, Ahmed Abdi Godane (éliminé par les Américains en 2014), a décentralisé la prise de décision tactique, tout en écartant les voix dissidentes. Concrètement, si les grandes orientations stratégiques sont toujours prises au sommet de l’organisation, les commandants locaux sont désormais habilités à prendre des décisions opérationnelles.
Godane a également élargi le champ d’action des Shebab en Afrique de l’Est. Après sa mort, son successeur a accordé d’avantage d’importance aux combattants non somaliens et porté une attention particulière aux régions frontalières entre le Kenya et la Somalie. Dans ces zones isolées, les cellules terroristes ont mené des opérations de plus en plus complexes, et leur force de frappe continuera d’augmenter à mesure qu’elles perpétreront de nouvelles attaques. Les cellules disséminées çà et là seront de plus en plus capables de mener des attaques sophistiquées dans des zones qui étaient jusqu’à présent épargnées.
En conséquence, les entreprises et les organisations présentes en Afrique de l’Est, aussi bien que les Kényans, devront surveiller de près l’évolution interne des Shebab et les mutations de leur mode opérationnel s’ils espèrent un jour anticiper leurs prochaines actions. Il leur faudra aussi évaluer les procédures de sécurité existantes pour s’assurer de leur adéquation à l’état de la menace terroriste.
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