Économie : à quand le printemps ?

Pour pouvoir sortir de l’ornière, la Tunisie doit, entre autres, refondre son mode de fonctionnement et diversifier son offre de produits à l’export.

L’assaut des salafistes contre l’ambassade des États-Unis, le 14 septembre à Tunis. DR

L’assaut des salafistes contre l’ambassade des États-Unis, le 14 septembre à Tunis. DR

ProfilAuteur_AlainFaujas

Publié le 5 novembre 2012 Lecture : 4 minutes.

L’attaque de l’ambassade américaine à Tunis le 14 septembre a aggravé la défiance qui dégrade, mois après mois, l’image d’un pays naguère chouchou des investisseurs et des institutions multilatérales. Aucune amélioration de moral ne viendra doper, en 2012, une croissance que le gouvernement de coalition espère à un rythme de + 3,5 %, mais que le consensus des experts estime à + 2,7 %. Inutile de rêver à une reprise du marché du travail : le taux de chômage demeurera autour de 19 %, et celui des jeunes de 42 %. Quant aux réserves, elles ne représentent plus que trois mois d’importations.

Dans le magazine Survey, publié le 5 septembre par le Fonds monétaire international (FMI), Joël Toujas-Bernaté, chef de mission en Tunisie, confirme un horizon bouché : « La rechute économique en Europe, principal partenaire pour le commerce et l’investissement, couplée avec des tensions sociales et des incertitudes politiques, la faiblesse notable du secteur financier et l’attentisme des investisseurs pèseront à brève échéance sur les perspectives de croissance de la Tunisie », écrit-il. Dans l’un de ses scénarios, le FMI redoute même une croissance limitée à 1 % cette année.

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Rien d’étonnant après une révolution. Dès 1755, Jean-Jacques Rousseau ne soulignait-il pas « combien est dangereux, dans un grand État, le moment d’anarchie et de crise qui précède nécessairement un établissement nouveau* » ? Encore faudrait-il que se dessine cet « établissement nouveau » ! On en connaît les grandes lignes.

Pendant des décennies, l’économie tunisienne a reposé sur une dualité. D’un côté, un secteur offshore très libéralisé, consacré à l’exportation de produits bas de gamme et bon marché car utilisant massivement une main-d’oeuvre peu ou pas qualifiée, et qui a prospéré grâce à l’accès privilégié au marché européen et à la France (28,7 % des exportations tunisiennes et 47,3 % des envois d’argent des émigrés tunisiens). De l’autre, un secteur domestique, composé à 95 % de PME frileuses et qui a végété sous la férule du pouvoir, lequel orientait les crédits vers quelques filières jugées stratégiques, comme le tourisme.

Frustration

Ce système a semé les graines de la révolution. En effet, le secteur offshore s’est développé uniquement sur le littoral et n’a profité qu’à la mythique classe moyenne qui s’y trouve. Les entreprises ont été incapables d’offrir du travail aux jeunes diplômés trop coûteux pour les PME et formés à des spécialités inutiles.

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De cette dualité est née une immense frustration dans les régions de l’intérieur, chez les catégories sociales et les classes d’âge tenues en marge des progrès dont se gargarisait le régime Ben Ali. Elle a aussi débouché sur des dépendances redoutables. La chute de 33 % des recettes touristiques en 2011 a plongé les finances d’un tiers des 850 hôtels du pays dans de grandes difficultés et, par rebond, fragilisé un système bancaire sous-capitalisé, qui en pâtit encore. Celui-ci a accumulé des créances douteuses qui représentent 13 % du produit intérieur brut. Des tests conduits par la Banque centrale ont montré que deux banques publiques sur trois deviendraient insolvables en 2014 si l’économie ne repartait pas vigoureusement en 2013…

Investissements privés

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Selon le FMI, la Tunisie ne peut s’en sortir qu’en visant une croissance de 6 %.

La Tunisie ne peut donc s’en sortir, selon le FMI, qu’en visant une croissance de 6 %, ce qui suppose 5 milliards de dollars d’investissements privés et publics par an. Première condition : une révolution de la politique d’exportations. À l’instar de la Turquie, la Tunisie doit viser une gamme élargie de produits industriels ou touristiques, comportant une plus grande valeur ajoutée que par le passé et destinée aux marchés en croissance comme les pays du Golfe ou d’Asie. Deuxième condition : l’argent. Or « le budget de l’État est contraint, le secteur privé reste dans son coin par peur des incertitudes, les investisseurs étrangers ne viendront pas et on les comprend ! déplore Fadhel Abdelkefi, président du conseil d’administration de la Bourse de Tunis. Je crois que nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes. Nous avons les compétences. Il faut les mobiliser par une sorte de plan Marshall tuniso-tunisien, qui pourrait fédérer l’argent de privatisations bien conduites d’entreprises publiques, ainsi que des capitaux d’État et de particuliers dans des partenariats public-privé, de façon à trouver les 50 milliards de dinars [24,5 milliards d’euros, NDLR] sans lesquels nous ne décollerons pas ». Mais le préalable à cet indispensable « printemps économique », c’est la restauration de l’autorité de l’État, le retour du calme sur les routes et dans les zones industrielles.

Et que le Premier ministre, Hamadi Jebali, cesse d’insinuer que tous les patrons sont pourris, puisque, comme le souligne un diplomate européen… il ne peut pas se passer d’eux. Cette ambivalence dissuade autant l’esprit d’entreprise – et l’emploi – que l’attaque d’une ambassade.

* « Ecrits sur l’abbé de Saint-Pierre ».

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