Les jeunes Tunisiens sont-ils interdits de sortie du territoire ?
Suite à la multiplication des attentats en Tunisie, de nombreux jeunes de moins de 35 ans éprouvent des difficultés à se rendre à l’étranger. Simple méfiance passagère ou vraies restrictions de la liberté de circulation au nom de la lutte contre le terrorisme ?
« J’ai été interdite de sortie du territoire le 31 mai dernier. Le service des douanes m’a demandé de présenter une autorisation paternelle », raconte Aïda, 25 ans, qui souhaitait se rendre en Algérie. « La décision était totalement arbitraire. Le douanier m’a questionné sur les raisons de mon voyage et s’est emporté quand j’ai commencé à poser des questions d’ordre juridique. Je n’ai pas eu le choix, j’ai dû revenir deux jours plus tard avec une autorisation paternelle et cette fois-ci, j’ai pu quitter le pays », ajoute-t-elle.
Les autorité empêchent-elles vraiment les jeunes Tunisiens de sortir du territoire quand ils ne montrent pas patte blanche ? Si elle n’est pas officielle, une telle mesure paraît surréaliste… et surtout douteuse sur un plan légal. Dans un communiqué publié le 10 juillet, Human Rights Watch fait état de ces restrictions à la liberté de voyager, en citant plusieurs témoignages. « Le secrétaire général de la Sûreté nationale auprès du ministère de l’Intérieur nous a bien confirmé cette décision. Elle concerne certains pays : le Maroc, l’Algérie, la Turquie et la Libye. Mais, en réalité, elle n’est pas appliquée seulement pour ces pays-là », affirme Amna Guellali, directrice du bureau tunisien de l’ONG.
Zèle administratif ?
« L’idée est que les moins de 35 ans demandent une autorisation paternelle ou maritale de sortie du territoire. Cette décision n’a aucun fondement légal, elle est unilatérale et arbitrale », ajoute-t-elle. De son côté, une semaine après l’annonce de l’état d’urgence, le Premier ministre Habib Essid a annoncé que « 1 000 personnes ont été interpellées et 15 000 interdites de sortie du territoire depuis l’attaque de Sousse », cela dans l’optique d’empêcher les candidats au jihad de rejoindre des camps d’entraînement à l’étranger, et notamment en Libye, comme l’avaient fait les assaillants du Bardo et le tueur de Sousse. L’administration ferait-elle du zèle en suspectant, par défaut, tous les jeunes Tunisiens souhaitant voyager à l’étranger ?
Contactées par téléphone, la douane aux frontières et la police des départs de l’aéroport de Tunis Carthage déconseillent quant à elles clairement aux jeunes de moins de 35 ans de se rendre dans certains pays (Turquie, Libye, Algérie ou Maroc), car ils pourraient ne pas pouvoir quitter le territoire. « Il faut venir avec son père ou avoir une autorisation paternelle ou maritale. Certaines destinations sont désormais interdites aux Tunisiens à moins d’avoir une très bonne raison. Pour une mission de travail par exemple, il faut amener un document qui le stipule », explique un douanier par téléphone.
Pour mettre en place ce genre de restrictions, il faut qu’une loi soit votée, explique une juriste tunisienne.
La liberté de circulation est pourtant un droit fondamental garanti notamment par l’article 24 de la Constitution tunisienne. « Les restrictions de sortie du territoire ne peuvent s’appliquer qu’à titre personnel en cas de peines complémentaires décidées par la justice ou pour certains corps de métiers spéciaux, comme les militaires qui doivent demander une autorisation de sortie », explique une juriste tunisienne spécialiste du sujet. « Pour mettre en place ce genre de restrictions, il faut donc qu’une loi soit votée, précise-t-elle. Un décret, un arrêté ou une décision administrative ne peuvent légalement restreindre la liberté de circuler. Certes, il peut y avoir des exceptions pour des raisons de sécurité nationale, de santé ou de moralité publique, mais avec une condition de proportionnalité. »
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