Les dix propositions pour une transition énergétique de l’Algérie
Dr Abderrahmane Mebtoul, professeur des universités.
Cette tribune est la synthèse d’une rencontre sur la promotion des énergies renouvelables qui s’est tenue du 16 au 18 octobre 2012 à l’initiative de l’institution de la coopération allemande au développement (GIZ) et en présence de nombreux experts et universitaires ainsi que d’opérateurs étrangers et algériens.
Tenant compte de l’évolution des coûts croissants, des nouvelles mutations énergétiques mondiales et de la concurrence de nouveaux producteurs, des exportations et de la forte consommation intérieure induits par les 20 milliards d’euros de nouveaux investissements dans le doublement des capacités des centrales électriques qui fonctionneront à partir des turbines de gaz, favorisé par des bas prix, l’Algérie sera importatrice de pétrole dans 15/16 ans et de gaz conventionnel dans 25 ans. D’où l’importance, dès maintenant, de prévoir d’autres sources d’énergie pour l’Algérie. Le taux d’électrification du pays est à 97% alors que le taux de couverture en gaz est de 57%. 96% de l’électricité est produite à partir du gaz naturel, 3% à partir du diesel (pour les régions isolées du sud algérien), 1% à partir de l’eau (centrale hydraulique de 100 MW).
96% de l’électricité est produite à partir du gaz naturel, 3% à partir du diesel (pour les régions isolées du sud algérien), 1% à partir de l’eau.
Quant à la production d’électricité à partir des énergies renouvelables, elle est très faible à 1MW. Or, avec plus de 3 000 heures d’ensoleillement par an, l’Algérie a tout ce qu’il faut pour développer l’utilisation de l’énergie solaire, ou presque. Le soleil tout seul ne suffit pas. Il faut la technologie et les équipements pour transformer ce don du ciel en énergie électrique. Ainsi, il est prévu que Sonelgaz investisse d’ici à 2030, 60 milliards de dollars dont une grande fraction doit être consacrée aux énergies renouvelables, 22 000 mégawatts à l’horizon 2030, soit 40% de la production globale d’électricité. Pourquoi ce monopole ? La production à grande échelle permettrait de réduire substantiellement les coûts tout en favorisant à l’aval une multitude de PMI-PME, renforçant le tissu industriel à partir des énergies propres, objet des dix prépositions que j’ai soumis à une récente rencontre internationale (1).
1. Revoir ses tarifs liés au mode de gouvernance n’étant ni dans une économie de marché, ni dans l’ancienne économie administrée, toujours en transition depuis 1986. La détermination de la politique des tarifs est inséparable des mécanismes de répartition du revenu national et du modèle de consommation des différentes couches sociales. Exemple, la perception du taux d’inflation n’est pas la même pour celui qui perçoit 500 euros par mois et celui qui perçoit 50 000 euros par mois, cet écart de revenu étant amplifié ente les pays développés et les pays en voie de développement.
2. Mieux cibler ces subventions qui sont supportées par le trésor sans distinction de revenu. En Algérie existe un véritable paradoxe : la consommation résidentielle (riches et pauvres payent le même tarif ; idem pour les carburants et l’eau) représente 60% contre 30% en Europe et la consommation du secteur industriel 10% contre 45% en Europe montrant le dépérissement du tissu industriel, soit moins de 5% du produit intérieur brut. Ces subventions ne concernent pas seulement l’électricité, mais d’autres segments comme le prix du pain étant subventionnés depuis 1996, sans subventions, le prix de la baguette actuellement à 8,50-10 dinars – officiel – dépasserait 25 DA. Pour les carburants, selon le ministère de l’Énergie et des Mines, le prix réel devrait fluctuer entre 60 et 80 DA le litre.
La tarification de l’eau se pose à peu près dans les mêmes termes que les carburants. Sur la base du prix du gaz de 0,25 dollar le million de btu, le prix de revient de l’eau atteint 69 DA/m3 environ. Le prix facturé aux consommateurs varie en fonction des volumes consommés entre 16,20 DA/m3 et 24,70 DA/m3 pour les usages industriels, et entre 3,60 DA/m3 et 24,70 DA/m3 pour les usages domestiques. Le différentiel payé par l’État varie donc entre 34 et 53 DA environ par m3 consommé.
Concernant le prix de l’électricité plafonné, Sonelgaz, suggère que le tarif devrait être revalorisé de 11% par an pour pouvoir financer ses investissements, induits par l’augmentation de la capacité de production, accusant 41 milliards de dinars de pertes. Devant comparer le comparable, en Algérie le tarif varie entre 2 DA et 3,20 DA/kwh selon le niveau de consommation, alors que ce prix est entre 3,45 DA et 4,94 DA/kwh en Tunisie, et entre 5,27 DA et 6,40 DA/kwh au Maroc. Pour les clients industriels en Algérie, le prix oscille entre 1,48 DA et 2,15 DA/kwh selon le niveau de consommation, en Tunisie entre 2,35 DA et 3,54 DA/kwh, et au Maroc entre 4,21 DA et 5,53 DA/kwh. À cet effet, le CREG, organe de régulation, élabore actuellement une série de décrets exécutifs dans le cadre d’un système de péréquation afin de déterminer le juste prix afin d’encourager les investissements dans les énergies renouvelables, décrets qui en principe seront opérationnels courant 2013 et ce dans le cadre de la loi sur l’électricité et le gaz par canalisation.
3. La transition vers un mix de production électrique moins dépendant des énergies fossiles est concevable si sont identifiées des solutions économiquement compétitives ou proches de le devenir, neutres sur le plan climatique, génératrices d’emplois et bénéfiques sur le plan des échanges extérieurs comme le recommande le professeur Emile H. Malet, délégué général du centre d’études parisien Adapes, spécialisé dans ce domaine. Il y a lieu de renforcer les interconnexions des réseaux et l’optimisation de leur gestion (smart grids) pour contribuer à l’efficacité énergétique, au développement industriel et à la croissance.
Le développement des énergies renouvelables implique forcément la maîtrise de la R&D.
4. Le développement des énergies renouvelables implique forcément la maîtrise, de la R&D, c’est à dire la ressource humaine d’où l’importance de coopérations renforcées. Rentrant dans le cadre de la transition énergétique en vue de l’orientation vers un nouveau modèle de croissance, il y a lieu de favoriser l’émergence d’une industrie de l’énergie, au service de l’intégration économique, les avantages octroyés par l’État devant être fonction de ce taux. Dans ce cadre, il y a lieu de clarifier ce point fondamental, soulevé lors de cette rencontre : un opérateur privé algérien peut-il s’associer avec un opérateur privé étranger, le monopole étant forcément des surcoûts.
5. Les décisions dans le domaine de l’énergie engagent le long terme et la sécurité du pays au regard des priorités définies sur le plan politique (indépendance nationale, réduction des coûts, réduction des émissions climatiques, création d’emplois). Chaque décision majeure devra être préalablement analysée par le conseil national de l’Énergie, présidé par le président de la république, après un large débat associant des élus, la représentation syndicale, les milieux professionnels et des personnalités compétentes.
6. La politique de l’énergie suppose des moyens financiers importants en investissement et en recherche-développement. Le fonds technologique pour les énergies renouvelables décidé en conseil des ministres dont le taux est passé de 0,5% à 1% de la rente des hydrocarbures devrait être revu à la hausse à 3% minimum afin de pouvoir permettre le soutien entre le tarif garanti permettant la rentabilité de l’investissement et que le prévoit l’avant-projet du décret du CREG et le tarif fixé aux différents consommateurs. Grâce aux recettes d’hydrocarbures alimentant ce Fonds, l’Algérie peut éviter de faire supporter ces investissements sur le consommateur à revenus faibles, à l’instar de l’Allemagne où la différence entre le prix garanti et celui du marché, est reportée sur les factures des consommateurs via une surtaxe, suite à sa décision de sortir du nucléaire d’ici à 2022. Ainsi, les principaux opérateurs de réseaux électriques (50Hertz, Amprion, TenneT et Transnet) ont annoncé le 15 octobre 2012 un relèvement en 2013 de près de 50% de la taxe payée par les consommateurs allemands pour soutenir le développement des énergies vertes, la surtaxe étant évaluée à environ 20,36 milliards d’euros pour en 2013.
7. En attendant l’assouplissement de la règle des 49/51%, inévitable à terme pour les filières non stratégiques (autres critères balances technologique et financière positive), pouvant certes attirer des investisseurs lorsque l’État algérien via la rente des hydrocarbures supporte les surcoûts, (mais jusqu’à quand), faire bénéficier transitoirement aux promoteurs les différentes dispositions fiscales prévues dans le nouveau projet des hydrocarbures.
Une priorité absolue doit être consentie au profit des nouvelles filières afin d’organiser la transition vers des solutions permettant de libérer le pays de sa dépendance vis-à-vis des hydrocarbures.
8. Une priorité absolue doit être consentie au profit des nouvelles filières afin d’organiser la transition vers des solutions permettant de libérer le pays de sa dépendance vis-à-vis des hydrocarbures. À cet égard, il s’agira de revoir totalement les normes de construction, quelles seront les normes des 2 millions de logements prévues entre 2010/2013), également pour le transport par le développement des véhicules électriques et des véhicules hybrides rechargeables qui doivent bénéficier du soutien prioritaire du Fonds Technologique.
9. Enfin l’action climatique qui ne peut être conçue dans le cadre d’une Nation, impliquera une large concertation avec notamment les pays du Maghreb et de l’Afrique. Par ailleurs, d’une manière générale, pour le Maghreb dont l’Algérie, les ressources hydriques sont vulnérables aux variations climatiques. L’eau et sa gestion sont des problèmes conditionnant son avenir, le volume maximal d’eau mobilisable étant déficitaire d’ici à 2020 selon Femise (réseau euro-méditerranéen) dans son rapport de 2011 sur la région MENA. Dans la région du Maghreb, les effets négatifs toucheront la production de légumes dont les rendements diminueraient de 10 à 30 % et une baisse du blé à près de 40%. Ainsi, le changement climatique pourrait entraîner une véritable crise migratoire, l’or bleu, enjeu du XXIème siècle qui non résolu pouvant provoquer des guerres planétaires.
10. Et c’est dans ce cadre que doit être posée l’option du gaz de schiste. Il est à noter que si le gaz de schiste venait à être développé à grande échelle, il pourrait sérieusement affecter les relations internationales avec l’affaiblissement des producteurs actuels de gaz, notamment l’Iran (15% des réserves mondiales de gaz conventionnel) et la Russie (30% des réserves mondiales) en termes géostratégiques. Les grands acteurs économiques mondiaux, qui dépendaient jusqu’à présent des importations des hydrocarbures, pourraient devenir leurs exportateurs dans un certain temps. Et où exportera l’Algérie son gaz si demain la Chine, l’Inde, l’Europe surtout grâce à la Pologne comme cela s’est passé pour les USA avec l’abandon des exportations vers la côte Est des États-Unis devenant exportateur net horizon 2020, s’auto suffisaient en gaz ? Selon le rapport de l’AIE de 2011, le total des réserves mondiales en gaz de schiste est évalué à 223 573 milliards m3.
En Algérie, devant éviter des positions tranchées pour ou contre, un large débat national s’impose, car on ne saurait minimiser les risques de pollution des nappes phréatiques au Sud du pays avec l’injection d’environ 200 produits chimiques. Comme doit être opéré un arbitrage pour la consommation d’eau douce, (les nouvelles techniques peu consommatrices d’eau n’étant pas encore mises au point, quel sera le coût, fonction de l’achat du savoir-faire et l’Algérie a-t-elle investi dans la ressource humaine), un milliard de mètres cubes gazeux nécessitant 1 million de mètres cubes d’eau douce et être pris en compte les coûts (en plus de l’achat des brevets) devant forer plusieurs centaines de puits moyens pour un milliard de mètres cubes gazeux. Sans compter la durée courte de la vie de ces gisements, environ 5 années pouvant récupérer une moyenne de 20/25% contre 85/90% pour les gisements de gaz conventionnel sans compter la nécessaire entente avec des pays riverains se partageant ces nappes non renouvelables dont le Maroc, la Lybie et la Tunisie.
En résumé l’Algérie a réceptionné en mi-juillet 2011 la centrale électrique hybride à Hassi R’mel, d’une capacité globale de 150 MW, dont 30 MW provenant de la combinaison du gaz et du solaire. Cette expérience est intéressante. La combinaison de 20% de gaz conventionnel et 80% de solaire me semble être un axe essentiel pour réduire les coûts et maîtriser la technologie. Aussi, il y a urgence de développer, combiné avec d’autres sources d’énergie, il faut être réaliste, les énergies renouvelables qui sont des énergies flux inépuisables par rapport aux « énergies stock » tirées des gisements de combustibles fossiles en voie de raréfaction.
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(1) Synthèse des interventions du professeur Abderrahmane MEBTOUL au séminaire international organisé par l’institution de la coopération allemande au développement (GIZ) le 17 octobre 2012 au centre des conventions Oran- Algérie
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