Égypte : le phénomène (doublement) discriminatoire des appartements « foreigners only »

En Égypte, certains propriétaires d’appartements choisissent de ne louer leurs biens qu’à des étrangers, de préférence « non-arabes ». Une pratique très répandue dans laquelle tout le monde est perdant, les locataires égyptiens et étrangers.

Publié le 27 juillet 2015 Lecture : 3 minutes.

« Des histoires, j’en ai plein », assure Sherif, 28 ans, attablé à la terrasse d’un café près du Nil. « Ça fait un an que je vis dans mon appartement actuel, le propriétaire m’a ‘fait une faveur’ car il a confiance en mon colocataire. Une fois, j’ai sous-loué la chambre d’un ami, quand le propriétaire a réalisé que j’étais égyptien, il l’a appelé en lui disant : ‘comment oses-tu prêter ta chambre à un Égyptien ?!’ J’ai été viré sur-le-champ. Une autre fois, mes nouveaux colocataires m’ont demandé de ne pas parler arabe devant le bawab (concierge). J’ai refusé de rester », raconte-t-il.

Les Égyptiens, pas les bienvenus ? « Les Arabes et les Noirs plus généralement », affirme Shérif. « Plus tu es blanc, mieux c’est. » Et la pratique n’est pas isolée. Il suffit de jeter un oeil au célèbre site web Craiglist. Dans les pages « locations », la mention « foreigners only » (étrangers uniquement) pullule.

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Les propriétaires ne voient pas vraiment le problème

Certains locataires, à la recherche de nouveaux colocataires se sentent même obligés de s’excuser : « Désolé les gars, demande explicite du propriétaire ». Certains contrats vont même jusqu’à stipuler les origines des personnes bienvenues : américaine, européenne, australienne…

Une façon d’exclure les locataires noirs. Mais les propriétaires ne voient pas vraiment le problème. « Les Égyptiens sont très racistes mais ne le réalisent même pas », affirme Karim, jeune diplômé de 23 ans.

D’ailleurs, les propriétaires discriminants ne risquent rien devant la justice. « Rien n’est prévu dans la loi pour punir ce genre de dérives », assure Mohamed el-Helw, avocat spécialisé dans l’accès au logement. « Le choix des locataires est laissé à la discrétion du propriétaire. »

Le docteur Fahmy possède un trois pièces en centre-ville qu’il loue uniquement à des Occidentaux. « Les Égyptiens causent trop de problèmes. Depuis la révolution, ils pensent que c’est l’anarchie, qu’on n’est pas forcé de payer son loyer et de rendre des comptes si on détériore les lieux », assure-t-il.

Les étrangers se laisseront racketter, pas les Égyptiens.

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« C’est surtout une histoire d’argent », affirme Sherif. « Les propriétaires louent les appartements aux étrangers le triple de ce qu’ils valent sur le marché. Aucun scrupule, ils ont cette idée que les Occidentaux sont tous riches. Et puis les étrangers sont moins susceptibles de leur causer des problèmes, ils ne savent pas lire les factures, ne connaissent pas la loi, surtout quand vient le moment de récupérer sa caution. Ils savent que les étrangers se laisseront racketter, pas les Égyptiens. »

« Fauteurs de troubles »

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« Les propriétaires disent qu’on est des fauteurs de troubles car on ne se laisse pas faire. Celui qui ne me rend pas ma caution, je lui embarque la télé et le frigo. C’est mon argent, c’est mon droit », tranche Karim. « Ils préfèrent les étrangers car ils peuvent les arnaquer », assure également Sherif.

Mais entre les lignes, se révèle aussi un problème plus profond, d’ordre culturel. Le docteur Fahmy est plutôt direct. « Que les étrangers aient des ‘comportements malsains’, je m’en fiche, mais je ne veux pas encourager les Égyptiens à faire de même, l’alcool, les filles qui restent le soir… Et même si moi, ça ne m’intéresse pas, tout se sait, les voisins, le bawab… Je ne veux pas être jugé. »

Une pratique dont souffre aussi les étrangers. Une majorité d’entre eux, venue apprendre l’arabe et se fondre dans la culture, se voient également refuser l’accès à des logements où ne vivent que des Égyptiens…

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