Pierre Descazeaux, Air France : « Je ne crois pas au low-cost sur le continent »

Alors qu’Air France-KLM lance un plan d’économies sans précédent, l’Afrique reste au coeur de la stratégie du groupe européen, impliqué dans les projets d’Air Côte d’Ivoire et d’Air Cemac.

Àgé de 58 ans, Pierre Descazeaux est directeur général Afrique et Moyen-Orient d’Air France-KLM. © Vincent Fournier/JA

Àgé de 58 ans, Pierre Descazeaux est directeur général Afrique et Moyen-Orient d’Air France-KLM. © Vincent Fournier/JA

Julien_Clemencot

Publié le 23 octobre 2012 Lecture : 6 minutes.

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Les flottes africaines décollent

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D’ici à 2015, Air France, dont les comptes sont dans le rouge, espère réaliser 2 milliards d’euros d’économies pour retrouver un bon niveau de rentabilité. Une cure d’amaigrissement dont les effectifs français seront les premières victimes. En revanche, la compagnie n’entend pas revoir ses ambitions à la baisse au sud du Sahara. Lancement d’Air Côte d’Ivoire, projet d’Air Cemac, ouverture de lignes… Pierre Descazeaux, directeur général Afrique et Moyen-Orient d’Air France-KLM, réaffirme l’engagement de son groupe sur le continent.

Cliquez sur l'image.Jeune Afrique : Quand est prévu le démarrage d’Air Côte d’Ivoire ?

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Pierre Descazeaux : La compagnie est créée, mais il faut recruter une partie du personnel et mettre en place le système d’information. Le premier vol est prévu le 28 octobre. Air Côte d’Ivoire desservira notamment le Mali, le Sénégal, la Guinée, le Burkina Faso, le Bénin, le Togo, le Gabon et le Congo, à partir de la Côte d’Ivoire. Les vols intérieurs ivoiriens arriveront dans un deuxième temps, probablement au début de 2013.

Les coûts d’exploitation sont toujours très élevés en Afrique ; avez-vous abordé cette question avec l’État ivoirien à l’occasion de la création de cette compagnie ?

Ce type de projets est toujours l’occasion de mettre en évidence les freins et les contraintes qui pèsent sur le secteur. L’aéroport d’Abidjan vient de lancer un appel d’offres pour trouver un nouveau prestataire pour les services d’assistance au sol, avec l’objectif de baisser les prix et d’améliorer l’efficacité. Toutes les compagnies en profiteront.

Vous participez également au projet de compagnie régionale Air Cemac. Où en est-on ?

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Air France a rejoint l’aventure l’an dernier. Nous avons travaillé sur un projet de réseau permettant de relier les pays de la Cemac [Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale, NDLR] entre eux et la Cemac au reste de l’Afrique. Les études montrent qu’il est possible de lancer une compagnie fiable et profitable. Le modèle économique a été validé par les chefs d’État en juillet. Maintenant, il faut continuer à travailler sur les questions de capital et sur la gouvernance.

Avec une croissance du trafic stable et continue, la zone est plus facilement rentable sur la durée.

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Que pensez-vous du projet de compagnie low cost africaine FastJet, mené par Stelios Haji-Ioannou, créateur d’easyJet en Europe ?

Je ne crois pas à court terme à la possibilité de créer une compagnie low cost en Afrique. Ce qui fait le succès des low-cost, c’est le faible niveau de leurs coûts, dû à la forte densification des sièges dans des avions qui volent quatorze à seize heures par jour. Cela repose également sur des circuits de commercialisation peu chers. Aujourd’hui, les conditions ne sont pas réunies sur le continent : il y a peu de lignes entre deux villes africaines ayant un niveau de trafic suffisant, et internet n’est pas assez développé pour vendre en ligne une grande partie des billets. Par contre, il faut s’intéresser à ce modèle, qui pourra sans doute être efficace en Afrique dans quelques années.

N’y a-t-il pas trop de compagnies régionales en Afrique de l’Ouest ?

Pas forcément. Pour qu’une compagnie régionale réussisse, elle doit se mettre plutôt en situation de coopération que de concurrence. Au lancement d’une compagnie, il y a au moins deux années de déficit car les investissements sont lourds. Je pense qu’une des conditions de survie c’est la coopération ; c’est pour cela qu’Air Côte d’Ivoire va démarrer par un partenariat commercial fort avec Air Burkina et Air Mali. Elles partageront par exemple les mêmes agences à Abidjan, à Bamako et à Ouagadougou, et des codes de vol sur un certain nombre de routes.

Dans l’Hexagone, les personnels d’Air France semblent accepter le plan Transform, qui vise 2 milliards d’euros d’économies d’ici à 2015…

Les signatures, cet été, des syndicats majoritaires des pilotes et des personnels au sol sont des étapes importantes. Tout cela s’est fait avec beaucoup de discussions, sans mouvement de contestation significatif. Un certain nombre de modalités pratiques d’application sont discutées en ce moment avec les différentes entités du groupe.

Le plan prévoit des départs volontaires. Combien de personnes sont concernées ?

Il est trop tôt pour en parler. Les premières candidatures sont attendues pour la fin de l’année.

Avec la diminution du personnel de bord, certains vols vers l’Afrique ne risquent-ils pas d’être supprimés ou leur nombre réduit ?

Au contraire, nous prévoyons de les augmenter. Par exemple au Sénégal, en utilisant des avions plus grands. En Côte d’Ivoire, notre activité est revenue à la normale et nous réfléchissons au meilleur moyen de reprendre notre croissance. Guinée, Mauritanie, Liberia, Sierra Leone : sur ces destinations aussi, nous souhaitons offrir plus de places car nos taux de remplissage sont élevés. Quant au Niger, la programmation d’un vol supplémentaire est également acquise. L’Afrique centrale est aussi une zone où nous allons continuer de nous développer.

La concurrence sur le continent s’intensifie. Comment Air France et KLM répartissent-ils leurs efforts ?

L’Afrique attire effectivement de plus en plus de compagnies aériennes. Lufthansa, via Brussels Airlines, a beaucoup investi ; Royal Air Maroc est toujours très présente ; Turkish Airlines et les compagnies du Golfe s’intéressent beaucoup au continent. Mais Air France-KLM demeure l’opérateur numéro un. Depuis deux ou trois ans, nous avons de plus en plus de routes communes aux deux compagnies partout où le volume de clientèle est suffisant, par exemple au Nigeria, en Égypte et en Afrique du Sud. Même si, traditionnellement, Air France reste mieux implanté sur l’Afrique francophone et qu’à l’inverse KLM dessert en priorité l’Afrique de l’Est, notamment grâce à son partenariat avec Kenya Airways.

Nous souhaitons offir plus de places vers la Guinée, la Mauritanie, le Liberia, la Sierra Leone.

Quel est le taux de remplissage de vos avions en Afrique ?

Il est en moyenne de 80 % à 85 %. C’est un peu moins que sur les autres zones. Ce qui manque, c’est la clientèle touristique que l’on trouve par exemple sur les Caraïbes ou l’Asie et qui, dans une certaine mesure, est remplacée par une clientèle communautaire.

Vos marges sur le continent tendent à baisser.

Effectivement, les marges se réduisent, dans un contexte où les coûts d’exploitation restent élevés. La difficulté est de trouver le bon équilibre entre les investissements nécessaires pour continuer à répondre aux besoins de développement et la préservation de la rentabilité immédiate. De toute façon, dans le secteur aérien, les marges sont toujours limitées à quelques pour-cent du chiffre d’affaires. La particularité de l’Afrique est que la croissance du trafic est stable et continue. Donc le continent est plus facilement rentable sur la durée. Depuis dix ans, l’économie africaine connaît une croissance [annuelle moyenne] de 5 % et celle-ci sera de 5 % ou 6 % dans les cinq années à venir. Cette régularité et cette constance de la croissance sont très importantes.

La compagnie offre-t-elle de belles carrières à ses salariés africains ?

Concernant la formation et la promotion de nos salariés africains – qui sont environ un millier – dans nos implantations, je crois que nous y arrivons bien. Mais ensuite, il y a un goulet d’étranglement dans les carrières qui est inévitable. Ce qui est très difficile, c’est de favoriser la mobilité d’un pays à l’autre, à la fois parce qu’il y a peu de candidats et parce que les cadres administratifs sont très hétéroclites (comme pour les cotisations retraite). C’est dommage, parce que, pour favoriser la promotion, il faut de la mobilité. Mais nous y travaillons.

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