Ces avocats qui conseillent l’Afrique
Projets miniers et pétroliers, financements d’infrastructures, fusions-acquisitions et contentieux… De Paris à Toronto, les cabinets internationaux scrutent le continent à la recherche des bonnes affaires. Enquête sur un milieu de plus en plus coté.
Les cabinets Herbert Smith Freehills et Norton Rose refusent de commenter l’information, mais ils vont annoncer dans les prochaines semaines l’ouverture de nouveaux bureaux en Afrique francophone, les premiers au sud du Sahara. Après l’inauguration, en 2011, des implantations de Clifford Chance, Allen & Overy et Norton Rose à Casablanca, c’est une nouvelle preuve de l’attractivité du continent aux yeux des grands avocats d’affaires internationaux. Plus un seul d’entre eux n’omet désormais de mettre en avant sa stratégie Afrique.
« Notre objectif est de concentrer des efforts qui auparavant étaient plus diffus, comme nous l’avons fait sur d’autres marchés émergents en Asie ou en Amérique latine », souligne Patrick Tardivy, associé chez Freshfields, à Paris. Une compétition dans laquelle les cabinets français comme CMS Bureau Francis Lefebvre, Jeantet ou Gide Loyrette Nouel, souvent pionniers en Afrique francophone, peinent désormais à rivaliser, faute de moyens. Et où les avocats locaux servent généralement de relais, plus ou moins valorisés.
Les spécialistes de l’Afrique francophone sont surtout en France.
Christophe Asselineau, Shearman & Sterling
Grosses écuries
Si le continent attire les grosses écuries, c’est encore souvent pour des projets qui touchent à l’exceptionnelle richesse de son sous-sol. « La demande la plus importante vient des projets miniers intégrés, puis du pétrole », reconnaît Stéphane Brabant, associé chez Herbert Smith. Au-delà du contrat d’exploitation du gisement, ces dossiers, extrêmement complexes, incluent très souvent la construction de routes, de chemins de fer, de centrales électriques, ainsi que les relations avec les communautés villageoises… Depuis le milieu des années 2000, les avocats d’affaires interviennent aussi de plus en plus sur le financement de projets, notamment d’infrastructures. « Les financements de projets vont être encore plus nombreux quand les États africains auront adopté, comme au Sénégal et bientôt au Maroc, un cadre réglementaire régissant les partenariats public-privé », estime Paule Biensan, associée chez White & Case.
Mais dans les prochaines années, ce sont surtout les opérations dites « corporate » (fusions-acquisitions, prises de participation…) qui devraient se multiplier, « notamment en raison de l’arrivée de fonds d’investissement du monde entier », note Pierre Marly, de CMS Bureau Francis Lefebvre. « Ils ne s’intéressent plus seulement aux projets miniers ou aux infrastructures, mais aussi au marché des biens de consommation », ajoute Boris Martor, chez Eversheds.
Nouvelle donne
Des dossiers qui, à l’image des créations de fonds d’investissement ou des financements d’opérations sur le marché des capitaux, gagnent en complexité, au point que certains cabinets préfèrent composer des équipes projet par projet plutôt que de créer un réel département Afrique. « L’intervention de l’ensemble de nos associés démontre d’une part l’ampleur de ce marché, et d’autre part sa maturation, puisque la spécialité technique prime sur la spécialité géographique », confirme Paul Lignières, associé parisien de Linklaters. Dans leur stratégie, les firmes doivent aussi prendre en considération la diversification des investisseurs. Conscients de cette nouvelle donne, les grands réseaux renforcent leurs équipes aux quatre coins du monde. Conseiller du chinois Minmetals Resources lors de l’acquisition, pour 1 milliard d’euros, du minier Anvil Mining (présent en RD Congo) en février, John Tivey vient par exemple d’être débauché par White & Case à Hong Kong.
La plus grosse demande vient des projets miniers et pétroliers.
Stéphane Brabant, Herbert Smith Freehills
Pour l’heure, les cabinets installés à Paris concentrent encore la majorité des dossiers destinés à l’Afrique francophone. Un leadership hérité de l’Histoire et renforcé par l’adoption par dix-sept États d’un droit unifié inspiré des textes français. « Il y a bien à Londres quelques connaisseurs de l’Ohada [Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires, NDLR], mais la plupart des spécialistes sont en France », constate Christophe Asselineau, de Shearman & Sterling. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si des cabinets cherchant à travailler sur le continent, comme le canadien Heenan Blaikie, se sont récemment installés à Paris.
Pourtant, certains, comme Alain Malek, patron Afrique francophone de Norton Rose (lire interview p. 81), jugent que Casablanca pourrait bientôt mettre à mal cette domination, notamment en raison des liens développés par le Maroc avec les pays subsahariens et de l’évolution favorable de l’environnement réglementaire. « Je me pose régulièrement la question d’une ouverture au Maroc », avoue d’ailleurs Paule Biensan.
Un mercato permanent
Reste que, plus que des firmes, le portefeuille de clients reste souvent la propriété des associés eux-mêmes. Alors, depuis quelques années, on assiste à un mercato permanent où les « Africains » de la profession passent d’un cabinet à l’autre en fonction des opportunités. « Pendant longtemps, nous étions considérés comme des nuls. Maintenant, il ne se passe pas un jour sans qu’on tente de nous débaucher », souligne Stéphane Brabant, de Herbert Smith, qui travaille sur l’Afrique depuis plusieurs décennies. En 2010, l’américain Latham & Watkins a ainsi renforcé son équipe en recrutant Clément Fondufe chez White & Case.
Depuis cinq ans, on constate l’émergence de clients locaux.
Barthélemy Faye, Cleary Gottlieb Steen & Hamilton
Mais les deux plus beaux transferts de ces dernières années sont à mettre à l’actif d’Allen & Overy et Shearman & Sterling, qui ont respectivement intégré Hicham Naciri (ex-Gide Loyrette) à Casablanca et Christophe Asselineau (ex-Simons & Simons) à Paris. L’arrivée de ces associés expérimentés au sein de ces cabinets relativement peu actifs sur le continent (en dehors de l’arbitrage pour Shearman) leur permet dorénavant de nourrir de réelles ambitions. Dans les « petits » cabinets, certains, comme Thierry Lauriol (Jeantet) ou Pierre Marly (CMS Bureau Francis Lefebvre), tirent encore leur épingle du jeu. Ce dernier a part exemple travaillé plusieurs mois sur l’acquisition du spécialiste de la distribution CFAO par le japonais Toyota Tsusho Corporation, à la demande du géant américain Baker & McKenzie.
Enveloppes
À Paris, les honoraires de ces avocats dépassent les 600 euros de l’heure, selon la lettre spécialisée Juristes associés. Mais le plus souvent, les cabinets s’engagent à respecter une enveloppe, réévaluée en fonction des évolutions du dossier. Les rémunérations atteignent en bout de course plusieurs centaines de milliers d’euros, voire, sur les plus gros dossiers, plusieurs millions. Et ces sommes n’effraient plus les entreprises africaines. « Depuis cinq ans, on constate l’émergence de clients locaux comme les nigérians Dangote ou United Bank of Africa », indique Barthélemy Faye, chez Cleary Gottlieb Steen & Hamilton.
Une évolution déjà rencontrée depuis plusieurs années du côté des États, désireux de profiter, à l’instar de la Guinée ou de la Côte d’Ivoire, de conseils avisés quand il s’agit par exemple de renégocier des contrats miniers ou des dettes publiques. La présence des avocats les aide à mieux défendre leurs intérêts, tout en améliorant la gouvernance et la transparence.
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