La RD Congo négocie un virage à 180 degrés
Frémissement des indicateurs, amorce d’un réel assainissement dans la gestion des affaires… Le pays espère faire son grand retour.
La République démocratique du Congo souffre. Certes, en Afrique, il existe d’autres pays martyrisés que, dans son jargon, la Banque mondiale qualifie « d’économies postconflit ». Mais aucun de cette taille : quelque 50 millions de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté sur une population de 72,5 millions…
L’extrême pauvreté s’y manifeste dans tous les domaines : 17,6 ans d’âge médian de la population, 70 % de chômage chez les 15-24 ans, 40 % de malnutris chroniques, 18 % de foyers raccordés à l’électricité, à peine 10 % de terres arables cultivées, et des réserves en devises réduites à un mois et demi d’importations.
Après celui des mines, le secteur agricole devrait bénéficier de la prochaine ruée d’investisseurs.
D’autre part, la RD Congo occupe le 187e rang des 187 pays classés selon l’indice de développement humain de l’ONU, à la 178e place des 183 pays du classement de la Banque mondiale en matière de climat des affaires et dans les profondeurs du classement de Transparency International sur la perception de la corruption. Le budget de l’État n’est exécuté qu’à 46 %. N’oublions pas qu’à ses frontières orientales des petits chefs de guerre entretiennent la chienlit et que, dans ses mines, des prédateurs nationaux et internationaux détournent la formidable rente des matières premières dont regorge son sous-sol.
Pourtant, pointe à l’horizon l’amorce d’une lueur. Après les règnes de Mobutu et de Kabila père, qui ont vu le niveau de vie dégringoler pendant vingt ans et l’inflation grimper à 10 000 %, la croissance atteint en moyenne 6,1 % par an depuis huit ans. L’inflation est en train de revenir autour de 10 %. Le taux de change est stabilisé.
Malgré un environnement des affaires détestable et les goulets d’étranglement sidérants que sont l’absence de routes et le rationnement de l’électricité, « il faut apprécier la situation du pays en tendance et saluer les efforts de redressement qui ont été réalisés sur le plan macroéconomique, souligne Christian Yoka, directeur d’une antenne de l’Agence française de développement (AFD) à Kinshasa. Par exemple, tout le monde pensait qu’en 2011, année électorale, on allait raser gratis. Eh bien il n’en a rien été ! »
Deux événements hautement politiques et symboliques semblent amorcer le passage de l’économie de la RD Congo d’un enfer à un début de purgatoire. Le 28 novembre 2011, les remous qui ont marqué les élections présidentielle et législatives et les incertitudes qui en ont résulté pour le régime ont constitué un premier coup de semonce. Le président, mal réélu, semble avoir entendu la leçon.
D’autant que, le 12 février 2012, Augustin Katumba Mwanke, député du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD) et éminence grise de Joseph Kabila, périssait dans le crash d’un avion à Bukavu.
Deuxième coup de semonce. Il était le parrain de la caste au pouvoir dénoncée par l’ambassadeur américain à Kinshasa, celui par qui passaient les contrats miniers et grâce à qui le pouvoir ne manquait jamais d’argent pour asseoir son autorité. La classe dirigeante est fragilisée, et le président a une raison de plus de se racheter une conduite en confiant le gouvernement à des techniciens respectés.
Discipline
Car, pour la première fois, le Premier ministre – l’ex-ministre des Finances Augustin Matata Ponyo, nommé le 18 avril – pose comme condition de son accès à la primature le choix d’une grande partie des membres du gouvernement, réduit de quarante-six à trente-six ministres. Il se réserve le portefeuille des Finances et le délègue à l’un de ses proches, Patrick Kitabi Kibol. Il s’adjoint un vice-Premier ministre chargé du budget, Daniel Mukoko Samba.
Quelle sera la marge de manoeuvre de ce triumvirat de choc ? Résistera-t-il aux pressions venues de son propre camp ? Pour Serge Michailof, enseignant à Sciences-Po Paris, « il s’agit d’une sorte de gouvernement Monti [Italie, NDLR], formé de technocrates que l’État a chargés de redresser la barre du pays ». Leurs mots d’ordre sont comparables à ceux qui ont cours à Rome : rigueur et discipline.
Le programme du gouvernement Matata est impressionnant. Il compte pousser la croissance de 6,5 % cette année à 15 % en 2016 et réduire l’inflation de 14 % en 2012 à 4 % en 2016.
Soulignons quelques pépites dans la myriade de chantiers ouverts par le Premier ministre : le triplement des recettes publiques, notamment par une mise à contribution plus substantielle du secteur minier, l’adhésion à l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (cf. encadré), la rédaction d’un code minier, la création de cinq zones économiques spécialisées, la construction de dix nouvelles centrales hydroélectriques… Ces efforts nécessiteront de mobiliser 48 milliards de dollars (plus de 37 milliards d’euros) entre 2012 et 2016. En comparaison, l’accord sino-congolais de 6 milliards de dollars « infrastructures contre minerais » de 2007 paraît presque médiocre.
On saura dans cinq ans si cet ambitieux projet commence à panser les plaies du géant de l’Afrique centrale – son administration évanescente, ses routes inexistantes, ses agriculteurs empêchés de nourrir leur propre pays et, surtout, une grave immoralité. Car Matata entend aussi enseigner à ses concitoyens « le respect des valeurs républicaines et morales que sont la rigueur, l’honnêteté, la ponctualité, l’humilité, la responsabilité, la courtoisie, l’impartialité, la compétence, la conscience nationale et le respect de l’intérêt public ». Des voeux qui ne sont pas aussi pieux que les cyniques le prétendent et qui sont fort utiles pour rassurer les investisseurs.
Car, quand on parle à ceux-ci de la RD Congo, ils répondent aujourd’hui : « Houla ! C’est un pays difficile. » Effectivement, reconnaît Romuald Wadagni, associé de Deloitte France, « la RD Congo est un pays qui revient de loin, mais si nous venons d’ouvrir un bureau Deloitte à Kinshasa pour accompagner nos clients, c’est parce que nous notons une réelle volonté de changement de la part des autorités, volonté traduite par plusieurs initiatives concrètes visant à améliorer le climat des affaires et à encourager les investissements ».
Quelles preuves fournissent-elles ? « La création de la TVA depuis le 1er janvier, répond-il, l’adhésion à l’Ohada depuis le mois de juillet, la réduction du taux de l’impôt sur les sociétés de 40 % à 35 % et la création de zones spéciales d’activité comportant des allègements fiscaux. » Les secteurs les plus prometteurs ? « On cite toujours les mines, rappelle Romuald Wadagni, or tout est à faire en agriculture, et les réserves foncières ou forestières sont immenses – la RD Congo regroupe à elle seule 50 % des réserves foncières de l’Afrique. Je crois que le secteur agricole est le deuxième où l’on assistera à une ruée des investisseurs dans les prochaines années. »
Après vingt ans de rudes efforts à soutenir, un jour le paradis ?
Au diapason de l’Ohada
L’adhésion du pays à l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires devrait rassurer les investisseurs.
L’entrée de la RD Congo dans l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (Ohada) était en discussion depuis 2004. En 2010, l’adhésion avait été annoncée à deux reprises par le président, Joseph Kabila, et l’un de ses ministres, Olivier Kamitatu. En réalité, le dossier était en souffrance, à cause « de blocages au Palais, au Parlement et dans certains milieux d’affaires », explique un entrepreneur congolais. De fait, le droit commercial et celui des sociétés – remontant, au mieux, aux années 1960 et, au pire, à des arrêtés royaux de la fin du XIXe siècle – étaient une incitation aux petits arrangements, tant les dispositions étaient à rebours des standards internationaux. Création d’entreprise, contentieux juridique, pacte d’actionnaires… « La singularité congolaise était source d’insécurité juridique et de corruption », conclut le même interlocuteur.
« Les documents sont sur le bureau du chef de l’État, assurait en mars le ministre des Finances Augustin Matata Ponyo. L’adhésion sera officialisée après la composition du nouveau gouvernement et un vote au Parlement. » Encore une fausse annonce ? Le mois suivant, l’ex-argentier est devenu Premier ministre et a fait de l’environnement des affaires son cheval de bataille. Le 13 juillet, Kinshasa présentait à l’Ohada ses « instruments de ratification », laquelle entrait en vigueur le 12 septembre. P.P.
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