À Libreville : une idée française
Un déficit de 1000 milliards de francs CFA – soit 5 milliards de dollars – dans la balance des paiements courants des pays africains de la zone franc : tel est le sombre pronostic que l’on peut faire pour l’année 1980, au moment où les ministres des Finances de cette zone se réunissent à Libreville du 2 au 4 avril.
Zone franc : 40 ans de coopération
Il ne fait pas de doute que cette perspective inquiétante aura dominé les discussions entre M. René Monory, ministre français de I’Economie, et ses homologues africains.
Ce trou de 1000 milliards de francs CFA dû en grande partie aux nouvelles augmentations du prix du pétrole, est pratiquement le double de celui de 1979 (estimé à 550 milliards de francs CFA) qui lui-même était le double du déficit observé en 1977 (274 milliards de francs CFA). Ainsi en quatre ans, le déficit des pays africains de la zone franc a quadruplé ; et force est de remarquer que le pétrole est le grand coupable de la situation actuelle.
La France est prête à faire preuve de solidarité envers ses partenaires de la zone franc devait dire en substance René Monory à Libreville ; mais l’aide financière à l’Afrique ne peut être à la hauteur de la situation actuelle, puisqu’elle se monte à 4 milliards de francs (200 milliards de francs CFA) – soit le cinquième du déficit à combler.
De plus, l’économie de l’ex-métropole est, elle-même, atteinte par le nouveau « choc pétrolier » et l’on s’attend à un déficit des paiements courants français certainement supérieur à 10 milliards de francs pour l’ensemble de l’année. Il pourrait même être compris entre 15 et 20 milliards de francs français (entre 750 et 1 000 milliards de francs CFA). Deux boiteux mis ensemble n’ont jamais fait un homme sain, et la France pourra difficilement accroître substantiellement son aide à l’Afrique au moment où sa propre économie est déséquilibrée.
Sait-on jamais ?
Plus que de l’argent, c’est une idée que M. Monory devait apporter à ses partenaires africains, puisque, comme le rabâchait un slogan récent : «En France, on n’a pas de pétrole, mais on a des idées. » Le ministre poursuit ce projet : la France, comme d’autres pays industrialisés, pourrait faciliter le recyclage des pétrodollars en direction des pays africains en apportant au passage la garantie de l’Etat. Ce dernier pourrait procéder à une « bonification d’intérêt ». Il reprêterait aux pays africains, à un taux inférieur, l’argent emprunté à des pays de l’OPEP qui ne savent que faire de leur surplus. Le « trilogue » (OPEP-Europe-Afrique) cher au président de la République française trouverait ainsi une application financière concrète. Le « recyclage à la Monory », s’il pouvait être instauré à une large échelle, viendrait utilement relayer les banques privées. Celles-ci ont, jusqu’à maintenant, supporté l’essentiel du « convoyage » des pétrodollars vers les pays en voie de développement. Cela, non sans prélever au passage des profits substantiels : mais elles sont aujourd’hui inquiètes pour l’équilibre de leur propre bilan, et seraient sans doute ravies que la puissance publique leur donne quelque assurance. Après la réunion de Libreville, le ministre français essaiera de « vendre » son idée à ses partenaires européens et il n’est pas impossible qu’il se rende d’ici quelques mois dans le Golfe, pour essayer de convaincre les Emirs de la validité de son système. Sait-on jamais ?
La zone franc en quelques mots
La zone franc peut être définie comme un ensemble de pays dont les monnaies (franc français, franc CFP, franc CFA, franc malien) ont entre elles des parités fixes.
En Afrique, le franc CFA sert de monnaie commune à tous les Etats membres de la zone, à l’exception du Mali. La gestion de cette monnaie est confiée à deux institutions : la Banque centrale des Etats de !’Afrique de l’Ouest qui regroupe le Bénin, la Côte d’Ivoire, la Haute-Volta, le Niger, le Sénégal et le Togo ; et la Banque des Etats de l’Afrique centrale dont dépendent le Cameroun, le Centrafrique, le Congo, le Gabon et le Tchad. Le Mali a sa propre banque centrale. Le Trésor français apporte sa garantie, en principe illimitée, à la parité fixe entre le franc français et les autres devises de la zone. Cette garantie donne évidemment à chacune de ces monnaies une crédibilité au moins aussi grande que celle dont jouit le franc français. Mais il y a une contrepartie : les autorités françaises ont un droit de regard sur la gestion monétaire des pays de la zone.
Jusqu’à maintenant, et en dépit des vicissitudes du système monétaire international et de la généralisation des taux de change flottants (c’est-à-dire l’exact opposé des parités fixes), la zone franc a tenu bon. Ceux qui en étaient sortis, tels le Togo et le Mali, ont fini par y revenir …
Le succès de la zone et le prestige dont jouit le franc CFA font des envieux, notamment chez les voisins anglophones abandonnés à la liberté monétaire, mais aussi à une inflation endémique et aux dévaluations en chaîne. De plus, à une époque de ·renchérissement des matières premières essentielles comme le pétrole,
Il vaut beaucoup mieux disposer d’une devise forte ; c’est autant de gagné sur la dégradation des termes de l’échange due notamment aux décisions de l’OPEP. Reste à savoir si l’imperium français – véritable autorité supranationale – responsable de ce succès, pourra résister à l’usure du temps. D’autant que le nouveau choc pétrolier rend la France impuissante à venir toute seule au secours de ses partenaires africains. Pour la capitale d’un « empire » il n’est jamais bon de devoir faire appel à d’autres puissances, ne· serait-ce que pour maintenir l’ordre monétaire dans les « provinces ». Ph. S.
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