Zone franc : ce qu’en pensent les patrons
Alors que s’ouvre la célébration du 40ème anniversaire des accords de coopération monétaire de la zone franc, les chefs d’entreprises africains livrent leurs opinions sur un débat trop longtemps réservé aux techniciens.
Zone franc : 40 ans de coopération
Parité, zone franc, panier de monnaie… Les débats autour de la viabilité et de l’efficacité de la zone franc sont depuis longtemps réservés aux gouvernements, technocrates et économistes. Mais qu’en pensent au juste les entrepreneurs africains ? À l’occasion de la commémoration du 40ème anniversaire des accords de coopération monétaire de la zone franc, qui se tient demain (5 octobre) à Paris, Jeune Afrique a interrogé certains d’entre eux.
Faut-il revoir la parité fixe avec l’euro ? William Kwende, le président d’Agritech Group est catégorique: « il n’y a pas d’autres alternatives. À long terme, le franc cfa devra évoluer vers un arrimage à un panier de devises. Les pays membres doivent avoir la monnaie de leur commerce. Et la réalité actuelle de cette union monétaire est que ses partenaires commerciaux se sont diversifiés au fil des ans ». Il n’est pas le seul à être de cet avis. Le Camerounais Cyrille Nkontchou, président de LiquidAfrica, le togolais Paul-Harry Aithnard, directeur de la recherche, de la gestion d’actifs et du courtage à Ecobank, le Camerounais Robert Kemajou, directeur général de Sitraco SA… et bien d’autres vont dans le même sens. Un tel régime de change permettrait d’après eux d’accélérer le commerce avec les marchés émergents. « Un panier de devises comprenant le yuan faciliterait par exemple nos opérations bancaires (lettre de crédits, syndication…) avec la Chine [l’empire du Milieu représente à lui seul quelque 16% du commerce extérieur de l’Afrique, NDLR] », explique William Kwende dont la société présente au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, au Bénin et au Togo, exporte des produits agricoles (café, cacao, etc.) vers l’Asie (la Chine, Singapour, Malaisie, Corée…)
La zone favorise-t-elle la compétitivité des entreprises ? Les chefs d’entreprises sont assez partagés sur la question. « Que ce soit au Cameroun ou ailleurs dans la Cemac [Communauté économique et monétaire d’Afrique centrale], la production se fait à des prix relativement stables avec une inflation assez maîtrisée, sans avoir besoin de mettre en place des mécanismes de couverture de taux de change ». D’après Robert Kemajou, à la tête de la Société industrielle de coton (Sitraco SA), il s’agit là du principal avantage des entreprises qui opèrent dans la zone. Un avantage qui ne favorise pas forcément à la compétitivité. « Du fait de la parité fixe avec l’euro, une monnaie forte, les coûts de production sont élevés, comparés à ceux des pays qui ne sont pas de la zone. Il est par exemple plus cher de recruter des ingénieurs et des techniciens en zone franc qu’en Asie », estime William Kwende. « Dans le nord du Cameroun, des produits concurrents venus du Nigeria voisin se vendent moins chers que certains des nôtres parce que les entreprises produisent en Naïra, une monnaie souvent moins forte que le CFA », explique l’homme d’affaires camerounais Celestin Tawamba, patron de Cadyst Invest (Cinpharm, La Pasta, Panzani Cameroun).
La zone est-elle suffisamment intégrée ? « Une monnaie unique ne fait pas l’intégration. Penser cela, c’est mettre les charrues avant les boeufs. La monnaie peut être un accélérateur mais il faut d’abord développer les échanges commerciaux entre nos pays », rappelle Célestin Tawamba dont les production est commercialisée dans la Cemac). Son point est partagée par son compatriote Robert Kemajou. D’après ce dernier, les unions économiques créées en Afrique centrale (Cemac) et en Afrique de l’ouest (Uemoa) après la dévaluation de 1994 « n’existent que sur le papier ». Dans les faits, « les marchés ne sont pas véritablement ouverts et il est toujours difficile d’exporter à partir du Cameroun vers les autres pays de la Cemac », indique-t-il.
Aide-t-elle au financement ? Dans le domaine financier, Paul-Harry Aithnard d’Ecobank affirme que « pour des groupes, comme le nôtre qui possèdent plusieurs filiales dans la zone, il est plus aisé de mobiliser localement des ressources pour participer aux financements des projets importants (privés ou publics ) ». Résultat, pour les clients des banques de la zone: « le coût de l’argent est relativement faible. Alors que les taux d’intérêts bancaires dans les États membres se situent entre 10 et 12%, au Ghana et au Nigeria, deux pays qui ont leur propres monnaie, ils sont de 20 à 25% », complète Cyrille Nkontchou, financier basé en Afrique mais très actifs sur les marchés financiers des deux zones cfa. Célestin Tawamba, le Pdg de Cinpharm nuance: « quand on a pas de garanties suffisantes, ce qui est le cas de nombreuses PME, on se retrouve très vite avec des taux avoisinant les 20% », déplore-t-il.
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