Immigration : « Abdou Diouf » sur Instagram, vrai buzz pour faux clandestin
Quelque 8000 utilisateurs d’Instagram se sont émus du reportage photographique d’un migrant sénégalais, de l’Afrique à l’Europe, en passant par la Méditerranée. Jusqu’à ce qu’ils réalisent que l’auteur des selfies n’était ni sénégalais ni clandestins…
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Damien Glez
Dessinateur et éditorialiste franco-burkinabè.
Publié le 5 août 2015 Lecture : 2 minutes.
Peut-on rire de tout ? Peut-on faire buzz de tout bois ? Pendant quelques semaines, les adeptes du réseau Instagram ont suivi avec émotion la série photographique d’un présumé migrant africain sur la route de l’Europe. Arnaque ? Second degré ? Vocation publicitaire ? L’émotion a progressivement laissé la place à de l’indignation…
Présenté comme Sénégalais, l’internaute auteur des clichés ne fait pas preuve d’originalité lorsqu’il crée son avatar : il retient comme pseudonyme le nom du second président du Sénégal. « Abdou Diouf » entreprend alors de faire partager le quotidien d’un clandestin à l’assaut de la Méditerranée. Les selfies se succèdent de manière rigoureuse : un sourire en famille, avant l’épopée ; une séance chez le coiffeur ; une vue nocturne de l’embarcation en pleine mer ; un instantané de l’accostage en Europe…
Ce parcours que l’on sait meurtrier paraît, couvert par Diouf, presque trop facile, même si ses publications répondent à une certaine dramaturgie : « La seule manière de traverser, un petit bateau gonflable, pagayant toute la nuit. Effrayant », « Finalement, la terre des opportunités. Nous sommes fatigués mais heureux. Voyage très dangereux ». Trop élusif pour être vrai ?…
Dans un premier temps, les internautes se piquent au jeu et les médias internationaux s’intéressent au phénomène. Pour la première fois, le trajet des clandestins africains n’est pas couvert exclusivement par une photo aérienne « vue d’Europe ». Sur le compte d’« Abdou Diouf », 8 000 abonnés échangent des commentaires contrastés. « Bonne chance mon frère. Je vous souhaite le meilleur », écrit l’un, pendant qu’un autre, pourtant abonné, déclare : « Marre des millions de personnes comme vous qui essaient de venir ici. Il n’y a pas de places pour vous ici. Pas de travail, pas de rêve non plus ».
Motivation publicitaire
Progressivement, des détails – comme la maîtrise inattendue de certains hashtags très spécialisés ou le manque de champ dans certaines photos – sèment le trouble. Le faux « Abdou Diouf » finit par dévoiler le pot aux roses. De son vrai nom Hagi Touré, le soi-disant migrant est Espagnol et n’a pas quitté son pays, depuis le début du prétendu reportage. Acteur principal de ce « hoax », ce handballeur qui vit à Barcelone nie avoir voulu faire un canular. Selon lui, s’il a abusivement endossé l’identité d’un clandestin, ce n’était pas pour se moquer de la misère des migrants. Pourtant, cela aurait peut-être mieux valu pour lui, car sa motivation s’est révélée… publicitaire. Il a accepté ce « rôle », en collaboration avec le blog photographique Disphotic, pour promouvoir de façon virale le festival Getxophoto qui se tient dans le nord de l’Espagne.
Pas sûr qu’une fiction équivoque soit la meilleure mise en lumière du travail des photoreporters. Le canular qui prétend ne pas en être un n’est pas non plus la meilleure façon de s’émouvoir des tragédies qui se déroulent aux portes de l’Europe. En début de semaine, un clandestin marocain de 27 ans mourrait asphyxié dans une valise dans laquelle il s’était dissimulé. Au même moment, l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) indiquait que plus de 2000 migrants étaient décédés en Méditerranée depuis le début de 2015. A posteriori, le compte « Instagram » d’« Abdou Diouf » aura-t-il l’avantage de faire réfléchir les Européens sur le calvaire des migrants voyageant vers l’Europe ?
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