L’argent des Africains : Gloria, infirmière dans un centre hospitalier en RDC – 198 euros par mois
Malgré une dizaine d’années d’expérience, Gloria, infirmière dans un centre hospitalier de Kinshasa, capitale de la RDC, gagne mensuellement moins de 200 euros. Cinquième volet de notre série sur l’argent des Africains. Comment ils le gagnent ? Comment ils le dépensent ? Vous saurez tout.
Un infirmier s’est immolé début mai devant l’hôpital général de référence de Gemena, dans l’ouest de la RDC. Il réclamait sa prime de risques de 38 000 francs congolais, environ 38 euros. C’était son seul revenu, n’ayant pas le statut de salarié dans cet établissement public où il travaillait pourtant depuis 29 ans !
À quelques centaines de kilomètres au sud-ouest de Gemena, Gloria* a accepté de nous « ouvrir » son portefeuille. Infirmière depuis 2004 dans un centre hospitalier privé, situé au cœur de la ville de Kinshasa, cette mère de famille – elle a trois enfants – a bien du mal à joindre les deux bouts. En cause : le « salaire insignifiant » qui lui est versé tous les mois.
« Plus d’une fois l’idée de démissionner m’a déjà traversé l’esprit, confie-t-elle. Après 11 ans de travail, lorsque votre paie ne vous permet pas de vivre décemment, vous avez une seule envie : tout laisser tomber ! » Chaque mois, Gloria touche 111 090 francs congolais, soit 111 euros. « À ce salaire mensuel de base s’ajoutent une indemnité de logement équivalant à 33 euros, une prime de transport de 52 euros et une autre prime non spécifiée de 2 euros », précise-t-elle, yeux fixés sur les lignes de son bulletin de paie. Ce qui lui fait un revenu mensuel de 198 euros. Mieux lotie que d’autres dans un pays où le salaire mensuel moyen dépasse légèrement les 30 euros selon la Banque mondiale, il lui faut malgré tout batailler pour faire face au coût de la vie.
Provisions alimentaires pour la famille : plus de 60 euros
« Si j’étais seule, avec trois enfants à charge, ce salaire de misère ne m’aurait pas permis de survivre. C’est mon époux qui pourvoit à l’essentiel de nos besoins », reconnaît cette femme de 44 ans, mariée à un employé d’une ONG locale de développement. « Comment aurais-je pu, par exemple, payer les frais de scolarité de mon premier fils qui s’élèvent à plus de 400 euros par an ? », interroge-t-elle.
Si son mari prend en charge les frais de scolarité des enfants et le loyer de plus de 90 euros par mois – la famille vit dans un trois pièces dans le sud de Kinshasa -, Gloria se charge des provisions alimentaires pour le foyer. « Chaque mois, je fais le plein de fufu [farine de maïs et/ou de manioc], d’huile végétale et de haricots », explique-t-elle, précisant que « cela [lui] coûte mensuellement plus de 60 euros ».
Transports : 42 euros par mois
Résidant dans une commune très excentrée du centre-ville, notre infirmière doit effectuer chaque jour deux correspondances de bus pour se rendre sur son lieu de travail.
Gloria débourse en effet tous les mois quelque 42 euros pour le transport. « Je me lève tous les matins à 5 heures 30 pour m’occuper des enfants avant leur départ à l’école », explique-t-elle. « Mais les routes sont en mauvais état et je ne parviens jamais à être à l’heure au travail », déplore-t-elle.
« Pour ces retards réguliers au travail, j’ai déjà reçu plusieurs avertissements », poursuit-elle. Des remontrances qui lui restent en travers de la gorge. « Un jour, je finirai par rendre mon tablier et changer de métier », jure celle qui a grandi dans l’ex-province de Bandundu, dans l’ouest de la RDC. « Je retournerai dans mon village natal pour m’occuper des champs. Je crois qu’en tant que paysanne, je gagnerai mieux ma vie qu’en tant qu’infirmière dans la capitale », espère-t-elle.
Épargne informelle : 27 euros
En attendant, c’est à Kinshasa que Gloria se bat pour réaliser ses petits projets. « D’ici la fin de l’année, je voudrais acheter une machine à laver pour la famille », confie-t-elle. Mais l’appareil électroménager coûte environ 136 euros. Plus de 2/3 de son salaire mensuel.
« Comme c’est impossible de sacrifier les autres dépenses pour me la payer, je participe depuis le début de l’année, avec neuf autres collègues, à une sorte de tontine : chaque mois et de manière rotative, chacun d’entre nous verse 27 euros à un membre du groupe. Ce dernier encaisse ainsi d’un coup 270 euros », explique Gloria qui attend son tour à la fin du mois d’octobre.
Assistance familiale et « imprévus » : 65 euros
Tous les mois, Gloria s’efforce également de ne pas tout dépenser. Elle garde toujours sur elle une soixante d’euros pour des « imprévus » qui sont principalement consacrés à la santé des enfants. « Mon mari est souvent en mission en dehors de la ville de Kinshasa. Pendant son absence, si un enfant tombe malade, je dois être en mesure de lui acheter quelques médicaments en urgence ou de le conduire à l’hôpital, s’il le faut », se justifie-t-elle.
Une fois tous les trois mois, elle essaye également d’envoyer « quelque chose » à ses parents restés en province. « C’est ma plus grande peine : ne pas pouvoir aider financièrement ma mère et mon père alors qu’ils ont tout sacrifié pour me payer des études quand j’étais jeune », affirme-t-elle.
« J’en souffre encore davantage lorsque mes oncles et tantes considèrent que je ne m’occupe pas de mes parents alors que, selon eux, j’ai réussi dans la vie parce que je travaille et vis à Kinshasa », ajoute-t-elle. Qu’à cela ne tienne, Gloria n’oublie jamais d’envoyer environ 10 euros « chaque trimestre » à son père et à sa mère, tous les deux retraités. « C’est triste mais c’est tout ce que je peux faire », lâche-t-elle, soulignant qu’elle-même ne s’autorise pas à acheter de nouveaux pagnes avec son salaire.
Taux de conversion établi à 1 euro pour 1000 francs congolais le 11 août 2015.
*À la demande de l’intéressée, son prénom a été modifié.
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