Dossier santé : « Big Pharma » passe à l’offensive

Confrontés à un ralentissement de leur activité en Europe et aux États-Unis, les grands groupes pharmaceutiques occidentaux cherchent à s’adapter à la nouvelle donne du marché. Ils lorgnent de plus en plus vers le continent, relais de croissance au potentiel énorme.

Une unité de production d’Adwya, en Tunisie. Les marchés maghrébins connaissent une croissance de plus de 10 % par an. © Ons Abid/JA

Une unité de production d’Adwya, en Tunisie. Les marchés maghrébins connaissent une croissance de plus de 10 % par an. © Ons Abid/JA

Publié le 13 octobre 2012 Lecture : 6 minutes.

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Santé : Big pharma passe à l’offensive

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Échaudés par une conjoncture mondiale morose et par l’effondrement progressif du marché pharmaceutique aux États-Unis et sur le Vieux Continent, les grands groupes mondiaux envisagent d’un oeil nouveau le marché africain. Amorcée il y a une petite décennie, la tendance se confirme. Euler Hermes table ainsi sur une progression de 17 % par an en Afrique et en Asie d’ici à 2015 – contre seulement 1,3 % en Amérique du Nord et 0,4 % en Europe de l’Ouest. « Pendant longtemps, les pays développés ont été privilégiés. Mais aujourd’hui, leurs systèmes d’assurance maladie vont mal et les laboratoires y sont de plus en plus mis à contribution. Du coup, ceux-ci cherchent des relais de croissance, notamment en Asie et en Afrique. Certes, les prix doivent y être ajustés, mais c’est compensé par l’effet volume », souligne Marc Livinec, conseiller sectoriel du numéro un mondial de l’assurance-crédit.

Contraints d’adapter leurs prix au marché local, les laboratoires misent sur la quantité, privilégiant une stratégie « orientée vers la prévention, notamment en ce qui concerne les maladies infantiles », souligne Marc Livinec. Signe des temps et traduction concrète de la transition démographique et épidémiologique en cours sur le continent : les ventes d’antidiabétiques ont connu l’an dernier un boom sans précédent (+ 23,7 %). Dans les dix premières ventes du marché privé figurent également les antibiotiques, les anti-inflammatoires, les analgésiques et les antiulcéreux. Les antirétroviraux, les antipaludéens et les traitements contre la tuberculose échappent, eux, pour l’essentiel au marché privé.

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Une aubaine pour la distribution

Les bons résultats des laboratoires occidentaux en Afrique se répercutent sur les comptes des distributeurs. Présent dans 20 pays et détenant 40 % de part de marché, Eurapharma a ainsi vu son chiffre d’affaires progresser de 6,8 % en 2011, à 864,5 millions d’euros, et envisage désormais de s’implanter au Nigeria. Preuve qu’en dépit des filières illégales le secteur est porteur – le PDG d’Eurapharma, Jean-Marc Leccia, lui prédit même un « océan de croissance sur le continent ». Si la filiale de CFAO domine le secteur, les autres acteurs affichent également d’excellents résultats. Le groupe français Ubipharm a enregistré l’an dernier un chiffre d’affaires de 400 millions d’euros. Son compatriote Tridem Pharma vise en 2012 un chiffre d’affaires de 67 millions d’euros (contre 56 millions en 2011). Présente dans 21 pays francophones, la société entend, comme Eurapharma, prendre pied en Afrique anglophone ; elle a choisi le Ghana. F.R.

Dynamisme

« Globalement, les marchés africains progressent de 10 % à 15 % par an, ce qui représente une croissance remarquable, en phase avec la dynamique des marchés émergents. En prenant une fourchette large, on peut estimer entre 12 et 16 milliards de dollars [entre 9 et 12,5 milliards d’euros, NDLR] le marché pharmaceutique pour 2011, et les estimations tablent sur 20 à 25 milliards de dollars pour 2015, privé et public confondus », souligne Pierre Savart, responsable des opérations internationales au Leem, organisation professionnelle qui fédère et représente les entreprises du médicament en France.

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« Certains marchés maghrébins pèsent déjà lourd, à l’image du marché algérien (4,5 milliards d’euros en 2011), en croissance de plus de 10 % par an », explique Robert Chu, président d’IMS Health France. Un développement comparable s’observe au Maroc, dont la consommation a augmenté de 15 % en un an (le pays a mis en place un régime universel et obligatoire d’assurance maladie dès 2005). En Afrique subsaharienne, le Bénin et le Togo affichent un taux de croissance de 13 %, et le Congo, de plus de 16 %. En volume, la Côte d’Ivoire (124 millions d’euros de ventes de médicaments l’an dernier) et le Sénégal (93 millions d’euros de ventes) figurent parmi les principaux marchés francophones de la zone.

Plusieurs explications à ces taux de croissance à deux chiffres. Le dynamisme du secteur reste déterminé par des facteurs propres : « La croissance démographique et le vieillissement de la population sont essentiels, de même que la croissance économique du continent. Il s’agit de tendances lourdes, structurelles », souligne Marc Livinec. Ce qui se répercute sur les projets industriels et les acquisitions.

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« Ces dernières années, malgré les soubresauts politiques, il y a eu une vraie tendance au développement des investissements sur le continent. C’est déjà une réalité au Maghreb, même si c’est moins marqué, pour l’instant, en Afrique subsaharienne », constate Pierre Savart. Certains pays concentrent l’attention des laboratoires occidentaux – notamment du français Sanofi, premier fournisseur en vaccins et médicaments du continent où ses investissements vont passer de 80 millions d’euros ces cinq dernières années à 120 millions d’euros dans les cinq ans à venir. Sans surprise, il s’agit des pays du Maghreb, de l’Afrique du Sud et, de plus en plus, du Nigeria, fort de ses quelque 160 millions d’habitants et de sa croissance annuelle moyenne de 7,4 %. « Tout dépend de la taille des marchés et des volumes à produire », résume Pierre Savart.

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Sur ces deux points, l’Algérie constitue, ces dernières années, le marché le plus dynamique. En termes de consommation médicamenteuse par habitant, elle se classe première en Afrique. Et l’an dernier, les investissements étrangers dans le secteur y ont atteint 420 millions de dollars. Les coentreprises s’y multiplient, à l’image de celle formée entre le groupe algérien Saïdal et l’entreprise koweïtienne North Africa Holding Company pour la production d’anticancéreux (près de 33 millions de dollars), officialisée mi-septembre, ou encore entre le britannique AstraZeneca et l’algérien Biopharm (plus de 50 millions de dollars), en avril. « Le phénomène est très sensible depuis 2005, du fait de la mise en place de mesures restrictives à l’importation pour les médicaments ayant des équivalents génériques produits localement, souligne Pierre Savart. De nombreux investissements industriels ont été accomplis dans le pays, les autorités favorisant, de plus, l’achat de produits fabriqués localement par les pharmaciens d’officine et par la Pharmacie centrale des hôpitaux. »

Les investissements industriels ont également été renforcés au Maroc. En revanche, « peu de pays d’Afrique subsaharienne ont aujourd’hui un marché pharmaceutique de taille suffisante pour justifier un investissement industriel ; il faut donc considérer la pertinence de cet investissement à un niveau régional. Mais une condition préalable doit être remplie : l’harmonisation de la réglementation pharmaceutique en Afrique, permettant une libre circulation des médicaments homologués selon des normes internationales et une lutte efficace contre les médicaments falsifiés », estime Pierre Savart.

Assurance maladie

Pour la consommation de médicaments, les situations restent toutefois très disparates entre des pays structurés en termes de protection sociale comme l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, l’Afrique du Sud, la Namibie et le Rwanda ; d’autres où existe une prise en charge partielle, comme la Côte d’Ivoire ; certains qui commencent à étudier la mise en place d’une sécurité sociale, comme le Cameroun ; et ceux où rien de tout cela n’existe, comme le Tchad. L’an dernier, les 194 États membres de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) se sont engagés à réformer les systèmes de financement de la santé pour atteindre la couverture universelle, mais une poignée de pays africains seulement a franchi le pas de l’assurance maladie obligatoire (AMO). « À l’origine, celle-ci a été conçue pour une économie formelle et forte, explique Donatien Robé, spécialiste de la protection sociale et auteur de Financement de la santé en Afrique : le choix de l’assurance maladie obligatoire. C’est d’ailleurs ce qui explique que de nombreux États africains, parmi lesquels le Congo, la Côte d’Ivoire, le Burkina, le Sénégal et le Cameroun, ont du mal à amorcer sa mise en oeuvre alors que la promesse a été faite aux populations. Et que d’autres, à l’instar du Mali [où elle a été mise en place en 2010], du Gabon [2008] et de la Mauritanie [2007], peinent à renforcer les capacités de l’AMO. »

Si la route est encore longue avant que le milliard d’habitants que compte l’Afrique ait accès à une couverture maladie, reste qu’une « vraie dynamique du marché pharmaceutique est en marche, avec une compétition intensifiée par l’arrivée de concurrents indiens et asiatiques et l’essor de la production locale de génériques. Il va falloir composer avec ces différents paramètres », pronostique Pierre Savart. Pour les laboratoires occidentaux, la tâche s’annonce nettement plus complexe qu’il y a dix ans.

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