L’État reprend la main sur l’économie

Avec la fin de la collusion entre pouvoir et affairistes, la bonne gouvernance est de retour à Conakry. Mais pour mener ses réformes, Alpha Condé dispose de peu de relais dans le secteur privé.

De g. à d., Ousmane Kaba, conseiller du président chargé notamment des relations avec la Chine, Mohamed Lamine Fofana, ministre des Mines, et Kerfalla Yansané, ministre des Finances. © Maxppp-Youri-Lenquette-DR

De g. à d., Ousmane Kaba, conseiller du président chargé notamment des relations avec la Chine, Mohamed Lamine Fofana, ministre des Mines, et Kerfalla Yansané, ministre des Finances. © Maxppp-Youri-Lenquette-DR

ProfilAuteur_ChristopheLeBec

Publié le 11 octobre 2012 Lecture : 4 minutes.

L’économie guinéenne a longtemps été dominée par des « barons » proches du pouvoir. Sous Lansana Conté (président de 1984 à 2008), l’Italien Guido Santullo et l’ex-patron des patrons Mamadou Sylla, président de Futurelec, avaient la main sur les marchés publics grâce à leurs liens avec l’État. Sous la junte militaire (2008-2010), la situation avait empiré. Kerfalla Person Camara, proche du général Sékouba Konaté (ex-président de la transition), avait ainsi pu décrocher – sans appel d’offre – un contrat de construction des casernes de l’armée de 73 millions d’euros.

Depuis l’élection d’Alpha Condé, les autorités s’efforcent de montrer que les choses ont changé. Dans les allées du Forum économique de Conakry, les 14 et 15 septembre, pas de barons à l’horizon. Dans la capitale, les anciens caciques des affaires font aujourd’hui profil bas (lire encadré). « Les contrats publics sont plus transparents », se réjouit Habib Attya, patron de Socadi Construction et membre influent de la communauté libanaise. Il faut dire aussi que le « Professeur » Alpha Condé, qui a longtemps vécu en exil en France, dispose de peu de relais dans le secteur privé local. Pendant la campagne électorale, l’importateur de motos Kabiné Sylla, alias « Bill Gates », était l’un des rares à l’avoir soutenu : il est aujourd’hui l’intendant de la présidence.

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Triptyque

Pour piloter sa politique économique, basée sur le triptyque mines-agriculture-infrastructures, Alpha Condé compte avant tout sur l’appareil d’État. Faute d’un secteur privé structuré et d’un réseau personnel étoffé, il s’appuie essentiellement sur ses ministres, des hauts fonctionnaires et des experts internationaux. Aux ressources naturelles, les rôles sont désormais plus clairs entre Mohamed Lamine Fofana, ministre des Mines, et Ahmed Kanté, administrateur général de la Société guinéenne du patrimoine minier (Soguipami). « Il y a désormais une séparation claire entre le ministère, qui mène la politique minière, et la Soguipami, actionnaire public des mines », assure Mohamed Lamine Fofana.

Les baronnies, c’est fini

De 2006 à 2008, Kerfalla Person Camara a connu une trajectoire météoritique : ancien gérant d’une boîte de nuit, il s’est retrouvé à la tête de Guicopres, détenteur des contrats de BTP de l’armée. Depuis la fin de la transition, il fait l’objet d’une investigation du ministère de l’Économie sur les conditions d’obtention de ses contrats publics. Ses affaires sont en plein déclin. Ancien proche de l’ex-président Lansana Conté, Mamadou Sylla, patron de Futurelec, s’est reconverti dans la politique. Candidat à la présidentielle, il n’a réuni que 0,5 % des suffrages mais obtenu la vice-présidence du Conseil national de la transition (parlement), qu’il a quittée voici quatre mois. Il est actuellement en France pour soins. Sadakadji Diallo, figure de l’import-export et soutien de l’opposant Cellou Dalein Diallo, s’est exilé au Sénégal. En revanche, les affaires d’Alpha Amadou Diallo, qu’on a aussi vu dans les meetings de l’opposition, continuent de prospérer. Il est notamment l’importateur de Nissan à Conakry. C.L.B.

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Dans la négociation des contrats signés avec les multinationales, les hauts fonctionnaires sont accompagnés par des experts internationaux. Ceux du Revenue Watch Institute, missionnés par le milliardaire américain George Soros (venu à Conakry en 2011), ont notamment conseillé le ministère dans la rédaction du nouveau code minier. Les juristes de l’International Senior Lawyers Project appuient également Naba Touré, conseiller technique à la présidence, qui prépare l’audit des contrats miniers signés avant 2010. En attendant, dans le domaine agricole, pourtant priorité affichée du président, les grands projets se font attendre et le ministre de l’Agriculture, Jean-Marc Telliano, un ancien candidat à la présidentielle rallié à Alpha Condé, a encore du mal à séduire les investisseurs.

Le « Professeur » a toutefois plus de succès auprès des bailleurs de fonds internationaux, grâce à Kerfalla Yansané, son ministre de l’Économie, qui a notamment été l’artisan de l’atteinte du point d’achèvement de l’Initiative en faveur des pays pauvres très endettés (PPTE), le 26 septembre. La soixantaine alerte, il a été consultant pour le Fonds monétaire international (FMI) et le Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad), mais aussi à la Primature de la RD Congo, où il fut chargé des réformes économiques de 2009 à 2010. C’est lui qui a orchestré le Forum économique de septembre, auquel il avait convié des personnalités comme la Nigériane Obiageli Ezekwesili, ancienne vice-présidente de la Banque mondiale, ou Paul Collier, économiste de l’université d’Oxford spécialiste des pays émergents.

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Planche à billets

À ses côtés, le gouverneur de la Banque centrale, Louncény Nabé, a mis un terme à la planche à billets et pacifié les relations avec les banques. « En 2008 il y avait six banques, aujourd’hui elles sont quatorze », se félicite-t-il. Enfin, Ousmane Kaba, conseiller du président, ancien ministre de l’Économie et proche de l’ex-Premier ministre Sidya Touré, entretient les liens économiques du pays avec la Chine. L’empire du Milieu finance ainsi, via China Exim Bank, 75 % du barrage de Kaleta, d’un coût total de 346 millions d’euros.

Reste que pour faire décoller l’économie, même si la bonne gestion est de retour et de nouveaux hommes clés à la manoeuvre, rien ne sera possible sans stabilité politique. De ce point de vue, l’organisation rapide d’élections législatives – sans cesse reportées depuis 2011 – sera la meilleure garantie de voir revenir les investisseurs.

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