Photographie : Nona Faustine, l’artiste qui pose nue pour dénoncer le racisme de la société américaine

La photographe africaine-américaine Nona Faustine pose nue sur des lieux emblématiques de l’esclavage aux États-Unis. Une démarche artistique audacieuse et provocatrice qui questionne la société américaine sur les causes de son racisme structurel.

Nona Faustine,  « From Her Body Sprang Their Greatest Wealth » (« De son corps jaillit leur plus grande richesse »). Autoportrait à Wall Street, où se trouvait un marché aux esclaves. © Nona Faustine

Nona Faustine, « From Her Body Sprang Their Greatest Wealth » (« De son corps jaillit leur plus grande richesse »). Autoportrait à Wall Street, où se trouvait un marché aux esclaves. © Nona Faustine

Publié le 12 août 2015 Lecture : 3 minutes.

Dans la série d’autoportraits intitulée « White Shoes » réalisée entre 2012 et 2014, Nona Faustine se met en scène à New-York dans des lieux emblématiques de l’histoire de l’esclavage. Trônant sur un caisson en carton au beau milieu de Wall Street, elle fait fi du flux des passants et nous rappelle qu’autrefois s’y trouvait un grand marchés aux esclaves. Lorsqu’elle grimpe les marches de l’Hôtel de Ville de New-York les points serrés, elle se trouve cette fois sur un site où l’on enterrait les esclaves. L’artiste pose aussi sur les marches de l’ancien palais de justice, sur la côte atlantique, ou encore dans le cimetière hollandais de Brooklyn, ville où elle a grandi, révélant à chaque fois des pans oubliés ou refoulés de l’histoire qui entrent en résonance avec le racisme structurel de la société américaine.

Nona Faustine, « Over My Dead Body », sur les marches de l'ancien palais de justice Tweed Courthouse, à côté de la mairie de la ville. © Nona Faustine

Nona Faustine, « Over My Dead Body », sur les marches de l'ancien palais de justice Tweed Courthouse, à côté de la mairie de la ville. © Nona Faustine

Autant de lieux dont elle prend possession par son corps imposant et dénudé. Ou presque dénudé, puisqu’elle arbore parfois aux chevilles et aux poignets les chaînes que portaient autrefois les esclaves. Quant à ses chaussures blanches qui donnent leur nom à la série (« White shoes »), « elles symbolisent le patriarcat blanc auquel on ne peut pas échapper  », confie-t-elle dans une interview à Dodge and Burn, un blog américain tenu par la photographe Qiana Mestrich. De même que la nudité représente la fragilité rémanente du statut des Africains-Américains aux États-Unis.

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Passionnée d’histoire, la photographe est passée par la prestigieuse School of Visual Arts (École des Arts Visuels) et s’est spécialisée dans l’étude de l’histoire des Africains-Américains et des questions de genre et d’identité. Ses photos sont lourdes de sens et de symboles, rendant hommage aux esclaves et aux souffrances vécues par leurs descendants même après l’abolition de la traite qui, à New-York par exemple, date de 1827.

Nona Faustine, « Of My Body I Will Make Monuments In Your Honor » © Nona Faustine

Nona Faustine, « Of My Body I Will Make Monuments In Your Honor » © Nona Faustine

Comment représenter artistiquement aujourd’hui la souffrance des Africains-Américains ? Le faire avec un corps de femme, qui semble faire écho par ses dimensions à celui de Sawtche (la Venus noire hottentote), voilà une démarche difficile qui peut choquer à plus d’un titre. L’artiste évoque cette difficulté dans la suite de l’interview à Dodge and Burn : « L’esclavage est un sujet qui se prête à la controverse. C’est un sujet dont nous évitons soigneusement de parler aux États-Unis. Cela gêne les gens. Il n’y a qu’à voir le changement sur leur visage quand vous le mentionnez […].  Il y a des blessures qui ne sont pas encore complètement cicatrisées […]. L’autre controverse est celle liée à mon corps de femme, obèse, noir, nu et exposé aux regards. Bien souvent les gens n’aiment pas voir ça parce que cela suscite beaucoup d’émotions. »

Dénonciation des « zoos humains »

Le travail de Nona Faustine et la double polémique qui l’entoure en évoque une autre, bien différente mais concernant un thème similaire : celle qu’avait suscitée l’exposition « Exhibit B » de l’artiste sud-africain blanc Brett Bailey. Celui-ci affirmait vouloir dénoncer les atrocités du colonialisme et l’injustice des politiques européennes en matière d’immigration par la mise en scène de douze tableaux vivants de « zoos humains » tirés de l’époque coloniale.

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L’exposition avait été taxée de raciste par un certain nombre de visiteurs et d’internautes, qui avaient provoqué un tollé sur les réseaux sociaux et lancé des manifestations à Paris. Certains considéraient que l’artiste, à travers ses œuvres, ne faisait que reproduire des « zoos humains » sans les dénoncer véritablement comme il le prétendait. De son côté, Nona Faustine a expliqué s’être plutôt inspirée de la « Vénus hottentote », qui fut elle aussi exposée en Europe comme un animal de foire au début du XIXe siècle. La démarche de la photographe est-elle plus légitime, plus originale, plus aboutie ou plus puissante que celle de Brett Bailey ? Chacun se fera son opinion. Mais une chose est sûre : en tant qu’artiste noire, Nona Faustine peut difficilement être accusée de racisme.

Nona Faustine, « She Gave All She Could Give And Still They Ask For More » © Nona Faustine

Nona Faustine, « She Gave All She Could Give And Still They Ask For More » © Nona Faustine

Nona Faustine, « Like A Pregnant Corspe The Shipe Expelled Her Into The Patriarchy » © Nona Faustine

Nona Faustine, « Like A Pregnant Corspe The Shipe Expelled Her Into The Patriarchy » © Nona Faustine

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