Kennedy contre Kennedy

C ‘est de loin qu’on voit le mieux, paraît-il.

Kennedy à Berlin, en juin 1963. © AFP

Kennedy à Berlin, en juin 1963. © AFP

Fouad Laroui © DR

Publié le 10 août 2015 Lecture : 2 minutes.

Le promeneur qui arpente les rues de Berlin en essayant de se souvenir, en ce mois d’août, du tracé exact de feu le Mur, eh bien, soudain il s’arrête, ce promeneur maghrébin, et il s’exclame (au grand effroi de quelques mémés berlinoises assises sur un banc) :

– Bon sang, mais c’est Kennedy contre Kennedy !

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Après m’être excusé d’un sourire contrit (« Entschuldigung ! »), je reprends mon chemin, creusant l’idée. Voilà, en gros, de quoi il s’agit.

Pendant près de trois décennies, de 1961 à 1989, ce mur hideux avait divisé la grande métropole allemande et, par conséquent, l’Allemagne elle-même. Tous ceux qui portaient haut les valeurs de liberté et de démocratie s’étaient indignés durant toutes ces années. À l’ombre des miradors, John F. Kennedy avait affirmé en 1963 : « Je suis un Berlinois ! » pour affirmer sa solidarité avec la ville mutilée. « Monsieur Gorbatchev, abattez ce mur ! » avait lancé Reagan en 1987, en forme de défi. Et lorsque le mur tomba enfin, tout le monde s’en réjouit, Rostropovitch joua du violoncelle devant les ruines et quelques intellectuels ou politicards parisiens clamèrent que c’était eux qui l’avaient démoli, ce foutu tas de briques. Bah, pourquoi pas ? C’était jour de fête.

Or aujourd’hui, c’est la propre nièce de Kennedy, la fille de son frère Robert, qui veut reconstruire le mur. Pas à Berlin, mais trois mille kilomètres plus au sud. Kerry Kennedy, puisqu’il faut l’appeler par son nom, n’en finit pas de clamer, de séminaires en colloques en conférences de presse, qu’il faut dresser un mur entre les habitants de Tan-Tan ou de Tarfaya, d’une part, et ceux de Laayoune et de Smara, de l’autre, sous couvert de donner « l’indépendance » à ces derniers. Or les uns et les autres sont le même peuple : même origine ethnique, mêmes tribus, même religion (islam sunnite malékite), même langue officielle (l’arabe classique) et même langue vernaculaire (le hassani). On chercherait en vain une différence entre eux. Pourquoi alors les diviser ?

Kerry Kennedy n’est pas la seule, malheureusement. Des gogos norvégiens, des ONG européennes plus ou moins intéressées et des braves gens mal informés s’activent ardemment à ériger une division aussi artificielle que le mur de Berlin : une ligne dans le sable entre Tarfaya et Laayoune. Supposons qu’ils parviennent à leurs fins. Champagne ! Mais combien d’années s’écouleraient avant que la bien-pensance ne change de camp sous le poids de l’évidence et que tout le monde se mette à clamer : « Effaçons cette frontière qui n’a aucun sens ! »

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Voici un truisme qu’il vous faudrait méditer, miss Kennedy : les murs les plus faciles à détruire sont ceux qu’on n’a jamais construits…

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