Lettre ouverte au Gouverneur de la BCEAO
Kako Nubukpo est agrégé des Facultés de sciences économiques et directeur exécutif du Caderdt à Lomé, au Togo.
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Kako Nubukpo
Économiste, commissaire chargé de l’agriculture, des ressources en eau et de l’environnement à l’Uemoa
Publié le 26 septembre 2012 Lecture : 4 minutes.
C’est avec stupéfaction que nous avons pris connaissance du programme du Symposium du cinquantième anniversaire de la BCEAO que vous vous préparez à organiser en grande pompe les 5 et 6 novembre 2012 au siège de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) à Dakar.
En effet, plus de cinquante ans après les indépendances des États de notre Union, cinquante ans durant lesquels nos États ont formé des centaines d’intellectuels : économistes, historiens, sociologues, politologues, etc, qui se sont spécialisés sur la problématique de la monnaie en Afrique de l’Ouest, quelle ne fut pas notre surprise de découvrir les noms des principaux intervenants à cette grand-messe programmée.
Mario Draghi Gouverneur de la Banque centrale européenne, Ben Bernanke Gouverneur de la Banque centrale américaine (FED), Christine Lagarde, directrice générale du FMI, Christian Noyer, Gouverneur de la Banque de France, Paul Krugman Prix Nobel d’économie, Joseph Stiglitz, Prix Nobel d’économie, etc, excusez du peu !
Pas un seul universitaire de l’espace Umoa comme intervenant principal !
Pas un seul universitaire de l’espace Umoa comme intervenant principal et le seul à avoir été invité à prendre la parole devant cette auguste assemblée se contentera de commenter un exposé d’une universitaire française dont les liens consanguins avec la zone Franc sont avérés.
Monsieur le Gouverneur, vous ne pouvez pas être fier d’un tel programme de célébration du cinquantenaire de l’Union monétaire ouest-africaine. À l’extraversion réelle et monétaire de nos économies, vous ne pouvez pas ajouter l’extraversion intellectuelle, plus de cinquante ans après l’indépendance de nos États. À la servitude monétaire issue du pacte colonial, vous ne pouvez pas ajouter la servitude volontaire de la délocalisation de la pensée sur le bilan et les perspectives de la gestion de notre monnaie commune.
Monsieur le Gouverneur, ce serait faire insulte aux intellectuels de l’espace Umoa que de les priver d’un débat sain, franc et sincère sur l’état de notre zone, aux prises avec une multiplicité de crises : sociopolitiques, économiques, identitaires et la place que la gestion de la monnaie doit y prendre. Le Panel de haut-niveau de l’Uemoa qui a travaillé en 2009 et 2010 de façon prospective sur l’espace Uemoa à l’horizon 2020, a identifié trois principaux défis à relever par l’Union : l’éducation et la culture, la technologie et l’innovation et enfin la gouvernance. De quelles manières notre monnaie pourrait contribuer efficacement à relever ces défis ? De même, le Plan stratégique 2011-2020 de la Commission de l’Uemoa, qui s’intéresse à l’avenir de la Commission stricto sensu et non plus à celui de l’espace Uemoa dans son ensemble, a défini cinq axes majeurs de travail, dont l’approfondissement du marché commun, l’amélioration de la performance des États Membres et le développement des synergies et partenariats avec les autres organismes d’intégration régionale.
Ces axes paraissent stratégiques pour le succès de l’intégration régionale en Afrique de l’Ouest. Il serait à cet égard souhaitable que la prise en charge de ces préoccupations qui sont le fruit d’un processus largement participatif au sein de l’Union, puisse être compatible avec les orientations de notre dispositif de gestion monétaire, dans le cadre d’un « Policy-Mix » optimal. De même, il serait hautement souhaitable que vous preniez explicitement en charge la question cruciale des liens entre la multiplicité et la récurrence des chocs affectant la zone Uemoa et l’absence de réponse structurelle aux problèmes de développement de la zone. Part belle devrait donc être faite à la préoccupation démographique, à la disponibilité des infrastructures, à l’éducation des populations, à la maîtrise de l’espace communautaire et au rôle du politique aux prises avec les problèmes de légalité et de légitimité.
Monsieur le Gouverneur, à l’heure où des milliers d’enfants souffrent de faim, de malnutrition, de conséquences fâcheuses de sécheresse ou d’inondations au sein de notre espace communautaire, à l’heure ou une grande partie du territoire de notre zone est aux mains de forces obscurantistes au Mali, vous ne pouvez pas vous permettre de brader ainsi la délégation de souveraineté que nos États ont concédée à la Banque centrale, en dépensant des centaines de millions de F CFA pour entretenir le narcissisme anachronique de l’Institution que vous avez l’honneur de gouverner.
La place des doyens des facultés des sciences économiques et de gestion des universités de l’espace UEMOA que vous avez bien voulu inviter ne devrait pas être celle que vous leur assignez à l’heure actuelle, à savoir celle de spectateurs disciplinés.
Monsieur le Gouverneur, la place des doyens des facultés des sciences économiques et de gestion des universités de l’espace UEMOA que vous avez bien voulu inviter au Symposium du cinquantième anniversaire de la BCEAO, ne devrait pas être celle que vous leur assignez à l’heure actuelle, à savoir celle de spectateurs disciplinés de discussions qui les concernent au premier chef. Elle devrait au contraire être celle des conducteurs du véhicule de la pensée sur notre avenir commun. La recherche africaniste est vieille de ses écoles de pensée et riche des faits stylisés issus de ses multiples terrains de recherche. Il n’y a aucune raison que les solutions aux problèmes que vivent les populations africaines soient corsetées par les recettes du prêt-à-penser idéologique, provenant de Washington, de Francfort, de Paris, et nous en oublions.
Monsieur le Gouverneur, permettez-nous, pour finir, de faire nôtre un conseil d’un éminent fils du Burkina Faso, « pays des hommes intègres », un historien aujourd’hui disparu dont l’avenue qui longe le siège de la Commission de l’Uemoa porte le nom, il s’agit du Professeur Joseph Ki Zerbo, qui avait l’habitude de dire : « Il ne faut pas dormir sur la natte des autres car c’est comme si on dormait par terre… ».
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